Présentation :
David Rousset occupe une place à part dans l’histoire du XXe siècle. Son nom reste à jamais associé à ce que cet âge de feu et de sang engendra de plus atroce : les camps. D’abord parce qu’il a écrit L’Univers concentrationnaire et Les jours de notre mort, deux œuvres magistrales achevées d’une seule coulée dans la fulgurance créatrice de son retour de Buchenwald. Ensuite parce qu’en fondant en 1949 la Commission internationale contre le régime concentrationnaire (CICRC), il ose braver les interdits de son temps et de son milieu en comparant, ô sacrilège, les camps nazis et les camps soviétiques, le Lager et le Goulag. C’est là un geste historique d’un courage exemplaire. Car à la suite du succès de ses livres sur les camps, David Rousset devient un écrivain reconnu et fêté et par le tout-Paris intellectuel de l’après-guerre, il fréquente des écrivains de renom et parle d’égal à égal avec la grande vedette du moment, Jean-Paul Sartre, avec lequel il fonde en 1948 le Rassemblement démocratique révolutionnaire, plus communément appelé à l’époque « le parti de Sartre et de Rousset ».
Or, cette notoriété, que nombreux à sa place auraient prudemment fait fructifier, David Rousset décide de la compromettre, de la remettre en jeu en quelque sorte, en l’employant à alerter l’opinion sur ce qui lui parait gravissime, insupportable, à savoir l’existence en URSS, dans la patrie du socialisme, d’un système concentrationnaire analogue à celui des nazis. Et pour avoir dit ça, preuves à l’appui, l’ensemble de la gauche politique et intellectuel lui tombe dessus, la presse communiste lance une campagne de dénigrement d’une violence inouï, il se fait insulter jusque dans les travées de l’Assemblée nationale, il devient, du jour au lendemain, le Traître, le Renégat, celui au devant duquel on change de trottoir.
Commencent alors dix années d’un immense travail de documentation et d’enquêtes sur les régimes concentrationnaires à travers le monde, dix années entièrement consacrées aux activités multiformes de la CICRC (budget, édition et diffusion, négociations avec les gouvernements, organisation matérielle des enquêtes, ordre du jour des réunions, relations avec la presse, etc.), activités dont témoignent ses archives déposées à la BDIC qui se composent, pour un bon tiers, des archives propres à cette Commission internationale dont il contrôla tous les rouages et qu’il tint à bout de bras jusqu’à sa fin en 1959.
Aux documents de cette période s’ajoutent ceux de toute une vie : une multitude de notes et dossiers de travail, une volumineuse correspondance qui s’étend sur près de 50 ans, les manuscrits de ses œuvres publiées ainsi que ceux de projets restés inachevés, des centaines d’articles de presse, chroniques radiophoniques, interviews et conférences, un certain nombre de documents audiovisuels, agendas et photographies, enfin toute une série de dossiers relatant les diverses étapes d’un parcours politique mouvementé (Parti communiste internationaliste, groupe de la Revue internationale, RDR, députation gaulliste, appels et pétitions diverses...).
Un parcours politique mouvementé, atypique et qui recèle encore bien des mystères. Comment et par quelles voies passe-t-on du trotskisme de la jeunesse au gaullisme social de l’âge mûr ? C’est une trajectoire qui a peu à voir, pourtant, avec un déplacement classique de la gauche vers la droite au fil de l’âge et des illusions perdues. Les « gaullistes de gauche », comme on disait, avaient bien souvent des idées plus avancées en matière économique et sociale que les socialistes de l’époque. Il fut par exemple le seul député gaulliste à prendre publiquement fait et cause pour la révolte étudiante en mai 1968. Aux élections présidentielles de 1974 et de 1981, c’est en faveur de François Mitterrand qu’il appellera à voter. De fait, c’est dès l’après-guerre, semble-t-il, que David Rousset se sent à l’étroit dans les catégories partisanes en place : le RDR se distingue des autres partis par son refus en pleine guerre froide d’un quelconque alignement sur les États-Unis ou l’Union soviétique.
Dilemme analogue à la tête de la CICRC où l’on affiche une neutralité bien difficile à maintenir dans le climat politique du moment, et les tiraillements de la Commission sur les priorités à donner aux enquêtes dans les pays occidentaux et ses colonies ou dans les pays du glacis soviétique, illustrent bien le jeu des contradictions qui n’ont cessé d’accompagner David Rousset au cours de ses engagements successifs. Aux historiens et biographes maintenant d’en restituer la cohérence et la complexité.
Grégory Cingal
Pour accéder à l’inventaire du Fonds David Rousset de la BDIC, allez sur l’URL :
http://www.bdic.fr/pdf/David%20Rousset.pdf