A l’automne 2013, il fut encore annoncé que les troupes françaises allaient être réduite à 1.000 soldats, après un pic de 4.500 hommes qui avait été atteint pendant les premiers mois de la même année. Or, le nombre a de nouveau atteint les 3.000 hommes depuis le début de l’opération « Barkhane », puis est repassé à 4.000 pour la zone, depuis la mi-octobre 2014. Cette annonce a été faite le 14 octobre dernier par le général Jean Pierre Bosser. Le journal Le Monde en date du 23 octobre parle, en évoquant les opérations successives « Serval » et « Barkhane », du « plus grand théâtre français depuis la Seconde guerre mondiale ». Un propos qui se réfère aux théâtres d’opération extérieurs, et qui n’est logiquement correct que si on ne décompte pas les guerres d’Indochine et d’Algérie… en considérant qu’elles se déroulaient, à l’époque, sur des territoires « français ».
En attendant, le 29 octobre 2014, un dixième soldat français a été tué depuis le début des opérations au Mali, il y a un an et demi. Thomas Dupuy est mort au combat dans l’Adrar des Ifoghas, une chaîne de montages désertiques proche de la frontière algérienne.
Des djihadistes toujours présents
Une partie, au moins, des djihadistes que l’armée française avait prétendu chasser du Nord du Mali y sont toujours présents. D’autres, en revanche, se trouvent plutôt dans le sud de la Libye où les groupes armés du Sahel ont pu trouver un ancrage, mais se déplacent à travers la région.
Le 03 octobre 2014, ce sont ainsi neuf soldats nigériens de la mission des Nations Unies pour le Mali, de la MINUSMA, qui ont été tués dans le nord du Mali. En septembre dernier, c’étaient dix soldats tchadiens. Entre fin mai et la mi-septembre 2014, au total 28 attaques armées émanant de groupes rebelles et/ou djihadistes contre la MINUSMA furent enregistrées au nord du Mali. Par ailleurs, le 23 septembre, on a appris qu’un Touareg dénommé Hama Ag-Sid Hamed, auparavant enlevé par des djihadistes – probablement par AQMI (« Al-Qaida au pays du Maghreb islamique ») – avait été tué. Ses ravisseurs lui avaient coupé la tête pour l’accrocher sur la place du marché de la petite ville de Zouera.
Négociations à Alger
Depuis le 1er septembre 2014, des négociations sont en cours à Alger où une quarantaine de délégués représentant l’État malien, mais aussi les « organisations de la société civile » et enfin les groupes armés se font face. A l’heure où ces lignes sont écrites, les négociations directes sont suspendues pour reprendre le 17 novembre. L’enjeu principal consiste à savoir si une autonomie sera accordée aux régions du nord du Mali, et si oui, sous quelles formes. Pour l’État central, mais aussi pour de larges pans de la société au centre comme au sud du Mali, un statut particulier du Nord (« autonome ») serait inacceptable ; sans même parler d’une séparation et d’une indépendance des régions du Nord. Les habitant-e-s du Sud argumentent, en général, que les problèmes économiques et sociaux, de pauvreté et de mal-développement se posent dans toutes les parties du pays, et non pas uniquement dans ses régions situées au Nord. Sous certaines conditions, une décentralisation serait acceptable, mais avec des règles générales appliquées à l’ensemble des régions, et non pas un statut particulier uniquement pour le nord.
Du côté des groupes armés, il existe différents intérêts. Les djihadistes ne sont pas directement assis à la table des négociations à Alger. Mais le HCUA (« Haut conseil pour l’unité de l’Azawad »), qui participe aux pourparlers, se coordonne avec eux ; il constitue la vitrine civile du mouvement islamiste malien Ansar ed-Din, dont le nom signifie « défenseurs de la religion ». Par ailleurs, le mouvement séparatiste mais non islamiste du MNLA (« Mouvement national de libération de l’Azawad »), soutenu par certains membres de la population Touareg, négocie sur ses propres bases. Mais à la fin août 14, les groupes touareg (MNLA) et djihadistes s’étaient coordonnés à Ouagadougou, pour décider qu’ils ne parleront « que d’une seule voix ».
Le choix de la capitale burkinabè n’est pas dû au hasard : c’était la ville où le MNLA possédait sa principale base arrière. Base dont il risque cependant d’être privé désormais, après la chute de Blaise Compaoré en fin octobre 2014. Le renversement du président Compaoré lui fait en effet perdre un soutien de taille, ce pilier de la Françafrique ayant en effet longtemps apporté un soutien décisif aux dirigeants du MNLA.
Les séparatistes du MNLA utilisent un langage de « libération nationale », rappelant le vocabulaire de mouvements anticolonialistes et souvent progressistes par le passé. Cependant, la réalité est plus complexe. Le principal enjeu pour les groupes armés, tels qu’ils existent, est de voir aménagée une zone, dans le nord du Mali, qui échappe au contrôle de l’État central malien. L’intérêt étant de maintenir ou de développer, sans être « dérangés », les trafics divers qui prospèrent dans la zone saharienne : certaines des principales routes mondiales de la drogue (pour le transport de la Cocaïne de l’Amérique du Sud, arrivant par les ports de la Guinée-Conakry ou de la Guinée-Bissau, avant de partir vers l’Europe) passent par là. Mais aussi des trafics d’armes, de cigarettes, d’otages, et de plus en plus de migrant-e-s placés – bien malgré eux et elles - sous l’emprise de cartels de « passeurs ».
L’État malien avait fait comprendre, au cours de l’été, qu’il pouvait être prêt à intégrer une partie des troupes du MNLA dans les organes de l’État et notamment dans l’armée. Le MNLA a revendiqué, en réponse, l’intégration de 3.000 de ses hommes dans les rangs de l’armée et l’attribution de 100 postes de généraux (ce qui nécessiterait le doublement des postes actuellement disponibles). Si le chiffre fera sans aucun doute l’objet de négociations – à la baisse –, le principe même pourrait éventuellement faire l’objet d’un accord.
Toujours est-il qu’un tel mécanisme pourrait être accompagné de différentes modalités. Ainsi, les groupes armés eux-mêmes souhaiteraient disposer de leurs propres unités dans l’armée, formées à partir de leurs combattants, qui contrôleraient de larges parties du Nord qui seraient sous sous leur propre responsabilité. Cela équivaudrait peu ou prou à la situation qui prévalait suite aux accords d’Alger de 2006, conclue avec une rébellion précédente du Nord-Mali, et jusqu’à la crise aiguë de 2011/2012. Sachant que certaines unités entières de l’armée avaient alors rejoint le MNLA, avec armes et bagages. Certain-e-s observateurs dans le sud seraient, au contraire, pour accepter l’intégration de combattants du MNLA dans l’armée malienne… mais à condition qu’ils soient ensuite répartis sur le reste du territoire national, en pratiquant un « mix » des troupes à travers le pays.
Par ailleurs, le gouvernement central a déclaré que le principe même de l’« unité de la République » et son caractère laïque – les deux étant inscrits dans la Constitution – étaient intouchables, c ‘est-à-dire « non négociables ». Ce dernier point est, bien sûr, contesté par les groupes islamistes et djihadistes.
Le Mali, l’économie et le FMI
En attendant, la situation financière de l’État malien s’est quelque peu améliorée depuis la fin septembre dernière. A cette date, le FMI ( Fonds monétaire internationale) a repris sa coopération avec le gouvernement malien, qui reste malheureusement toujours autant dépendant de crédits extérieurs, puisque le pays occupe une place très défavorable dans la division du travail internationale du capitalisme.
Ainsi, sur l’une de ses principales richesses, l’or, l’État malien touche aux maximum 15 % sur les bénéfices d’exportation des groupes capitalistes qui l’exploitent (européens, canadien, sud-africains…). La plupart des biens exportés par le Mali ne subissent aucune transformation sur place, la plus-value résultant de la transformation étant réalisée ailleurs. Pendant la première décennie après l’indépendance de 1960, le gouvernement de Modibo Keïta – renversé par l’armée en novembre 1968 – avait tenté d’y remédier, en substituant les produits d’une économie nationale aux importations (et aux exportations de bien non transformés). Or, après le putsch de fin 1968, la plupart des « expériences socialistes » ont été arrêtées et leurs résultats détruits.Il restait un certain nombre d’entreprises nationales, parfois productives comme la Huicoma (pour « Huileries et cotonneries du Mali ») à Koulikoro, à soixante kilomètres de la capitale Bamako. Celle-ci transformait les grains du coton en huile, savons et d’autres produits transformés.
Or, objet d’une privatisation de type mafieuse au profit d’un richissime homme d’affaires malien, cette unité a été cassée en 2008. Les travailleurs-travailleuses ont été licencié-e-s, mais grâce à une lutte longue et exemplaires d’une durée de deux ans, ils et elles ont pu partir avec des indemnités substantielles. Récemment, en septembre 2014, le gouvernement malien a publiquement évoqué l’idée d’un investissement public pour faire redémarrer la production de la Huicoma. Il reste à confirmer l’annonce par des faits concrets…
Le FMI avait sanctionné le gouvernement malien, depuis plusieurs mois, en lui reprochant une absence de « bonne gouvernance » : il aurait dilapidé l’argent public et celui emprunté. En partie, cette critique est fondée, dans la mesure où le président « IBK » (Ibrahim Boubacar Keïta), élu en août 2013 et arrivé au pouvoir au mois de septembre suivant, s’était dépêché de faire acheter un nouvel avion présidentiel. L’ancien avion ne semblait pas assez bon à ses yeux ou à ceux de son entourage. Or, l’achat de cet Airbus pour une somme d’environ trente millions de dollar a donné lieu au versement de multiples et juteuses « commissions » à plusieurs intermédiaires.
Ce type d’enrichissement plus ou moins mafieux (que connaissent aussi sous d’autres cieux les Charles Pasqua, Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, Ziad Takieddine…) est, bien entendu, hautement critiquable. Cependant il avait permis au FMI, mais aussi à l’Union européenne et à d’autres représentants des grandes puissances l’occasion de s’ériger en donneurs de leçon, à propos des bonnes manières de gérer l’argent public. Or, en réalité, ce sont surtout les dépenses publiques en matière de santé, d’éducation… qui sont dans la ligne de mire d’institutions telles que le FMI : pas question de laisser augmenter cette dépense, pourtant socialement utile !
Au mois de septembre 2014, le FMI a cependant considéré qu’il avait suffisamment montré ses muscles, et que sa leçon avait apparemment été comprise par les premiers intéressés. Depuis, la coopération a de nouveau été reprise… l’« aide budgétaire » et surtout de nouveaux emprunts permettant au gouvernement maliens de rembourser les anciens crédits et de payer le service de la dette (taux d’intérêt etc.). Cela ne permettra nullement au Mali de sortir de la dépendance structurelle, dans laquelle les grandes puissances aimeraient bien le maintenir. N’oublions pas de préciser qu’en mai 2013, à la sortie de la première phase de la guerre, plusieurs puissances internationales réunies à Bruxelles avaient « généreusement » promis d’apporter une aide financière au Mali. A l’époque, c’était formulé comme s’il s’agissait de dons. Or, il s’est avéré par la suite qu’au moins une partie des sommes en questions (p.ex. 25 % de l’argent mis sur la table par l’exécutif français) correspondait à des crédits, remboursables sous conditions. L’une des conditions étant que le Mali ne doit surtout pas arrêter de payer sa « Dette », aussi illégitime qu’elle puisse être…
Bertold du Ryon