La prolifération croissante des brevets est en train de mettre en danger des vies.
Les malades de cancer dépourvus d’assurance maladie, par exemple, sont souvent obligés d’interrompre leur traitement parce qu’ils ne peuvent pas assumer plus longtemps les coûts exorbitants. Le gouvernement grec est largement responsable de cette tragédie car il y a des voies d’accès à des médicaments d’un prix abordable même sous les strictes conditions du mémorandum du FMI.
Par exemple, l’Accord de l’OMC sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Trade Related Aspects of Intellectual Property Rights/TRIPS-ADPIC) autorise les pays à édicter des licences obligatoires pour des produits pharmaceutiques brevetés [1]. En recourant à cette disposition de la loi internationale, qui a été invoquée par l’Allemagne et l’Italie, entre autres pays, la Grèce pourrait obtenir de producteurs de génériques des substances contre le cancer et d’autres médicaments, à des prix bien plus bas en contournant entièrement, et légalement, les brevets détenus par les compagnies pharmaceutiques afin d’obtenir des prix plus favorables pour des médicaments très nécessaires.
Une autre solution, c’est l’achat groupé de médicaments, par lequel un groupe de pays pourrait ensemble négocier avec les compagnies pharmaceutiques des meilleurs prix pour des médicaments d’urgente nécessité.
Entreprendre de telles actions est le strict minimum que tout gouvernement responsable confronté à une crise de la santé publique devrait faire. Mais SYRIZA place la barre plus haut. En tant que principal parti d’opposition en Grèce luttant pour une Union européenne qui serve les besoins des gens plutôt que les intérêts des multinationales, nous devrions repousser la limite plus loin en remettant en question l’actuel régime de rémunération de la recherche pharmaceutique. Dans l’état actuel, le régime existant favorise la rentabilité d’un petit nombre de compagnies pharmaceutiques tout en excluant des millions de patients de l’accès à des médicaments qu’ils puissent se payer. Une Europe socialement équitable a besoin d’un paradigme complètement nouveau.
Alternatives à la rémunération de l’innovation pharmaceutique
Aujourd’hui la rémunération de la recherche de nouveaux médicaments est basée sur des droits de propriété intellectuelle qui sanctifient légalement le monopole des compagnies pharmaceutiques sur les médicaments qu’elles développent. Essentiellement, la compagnie qui a créé le médicament est seule autorisée à le vendre en pouvant fixer son prix aussi haut qu’elle veut. L’industrie pharmaceutique prétend que c’est là la seule façon de couvrir les coûts très élevés de la recherche. Ce n’est là qu’un prétexte pour une course aux profits qui aujourd’hui met en danger des vies. En fait, le prix des médicaments contre le cancer a doublé depuis dix ans, malgré les réactions véhémentes des médecins et des associations de patients [2].
Le système des brevets aboutit à des coûts prohibitifs pour les patients et à des factures immenses pour les fournisseurs de soins. Qui plus est, cela encourage le développement de médicaments d’une efficacité douteuse, cela donne naissance à des pratiques de marketing agressives et souvent trompeuses, et cela exclut de la recherche ultérieure sur la substance en question la communauté scientifique plus largement. Tout bien considéré, le système actuel de rémunération de l’innovation pharmaceutique est impudemment injuste, gaspilleur et inefficace et il mine les droits à la santé des Grecs et des citoyens européens.
Si l’on recherche une alternative, la question cruciale consiste à détacher les encouragements à la recherche et développement des prix élevés des médicaments brevetés. Cela peut être accompli en établissant un Fonds pour des prix à l’innovation pharmaceutique financé par les contributions des pays membres de l’UE. Un tel fonds récompenserait directement les programmes de recherche en se basant sur les résultats pour les soins de santé et pour l’encouragement à la recherche pour le bénéfice des patients. Une fois récompensées par un tel prix pour les coûts de développement d’un nouveau médicament, les compagnies pharmaceutiques seraient alors en concurrence ouverte avec les producteurs de génériques sur le libre marché. Cela va entraîner une déflation substantielle des prix et une allocation des ressources bien meilleure. L’autorisation d’accès au marché pour tous sera naturellement soumise à une stricte surveillance par les autorités tant européennes que nationales afin de respecter les normes de qualité.
Cela n’est pas sans précédent. Sous la pression de groupes de patients, de professionnels de la santé, et de militants pour la santé publique, de telles propositions ont été avancées depuis plus de dix ans. Elles ont été débattues dans des commissions de l’OMS et incluses dans des projets de lois déposés devant le Congrès des Etats-Unis [3].
Ce système proposé est clairement plus juste, moins cher et plus efficient. La seule raison pour laquelle il n’est pas mis en œuvre, c’est l’influence extra-institutionnelle de l’industrie pharmaceutique.
L’exigence que l’UE donne la priorité aux droits des patients aux médicaments sur les droits aux monopoles des compagnies a toujours été évidente par elle-même. Mais aujourd’hui, dans une telle crise de la santé publique, elle est plus pertinente que jamais. Depuis la Grèce, où ils luttent littéralement pour leurs vies, les appels des patients devraient être entendus à travers l’Europe : les droits humains avant les droits à la propriété intellectuelle !
La propriété intellectuelle contre l’accès à la connaissance
La santé est peut-être le plus critique, mais ce n’est pas le seul domaine public que les grandes compagnies contrôlent au travers des droits de propriété intellectuelle. Ces dernières années, la prolifération croissante de la propriété intellectuelle dans quantité de domaines variés, depuis les semences jusqu’aux programmes informatiques en passant par les œuvres culturelles et toutes sortes de résultats scientifiques, ne signifie rien de moins qu’une appropriation des produits de la créativité humaine et une exclusion légale de la société de son atout le plus cher à l’Age de l’information : le libre accès à la connaissance.
Dans un monde interconnecté, le potentiel pour l’innovation culturelle et scientifique est grandement accru par la synthèse sur une échelle entièrement nouvelle. Afin de tirer profit de la pléthore de produits de la créativité collective, les compagnies multinationales doivent en restreindre l’accès. Pour que la société en bénéficie dans le sens le plus vrai, ils devraient être accessibles à tous. Cette question émerge comme un des plus grands conflits politiques de ce début de XXIe siècle.
Les défenseurs des droits de la propriété intellectuelle négligent le fait qu’en sciences, pas plus que dans l’Art, il n’y a de parthénogenèse [4]. La quintessence du progrès humain, c’est de copier et modifier des œuvres antérieures afin de les améliorer. Après tout, les grands accomplissements scientifiques sont rarement le résultat de la recherche orientée vers le profit. Ils tirent leur origine plus souvent d’individus ou de groupes mus par des motifs humanitaires ou intellectuels qui expérimentent librement avec les œuvres de leurs prédécesseurs. Un exemple actuel en est la communauté mondiale des programmes libres qui développent des produits informatiques innovateurs et fiables pro bono, tout en capitalisant sur le savoir existant sans restrictions. La même chose était vraie au XVIIe siècle quand Isaac Newton, après avoir été célébré pour la découverte de la loi de la gravitation universelle, a rappelé le crédit qu’il devait à Galilée et à Kepler : « Si j’ai vu plus loin, c’est en montant sur les épaules de géants. »
L’élan du progrès humain est aujourd’hui accéléré et démocratisé par le développement des technologies de partage de l’information. Cet élan se heurte aux grandes multinationales qui essayent de l’exploiter, de le contrôler et de le manipuler en faisant pression pour des lois plus strictes et plus extensives sur la propriété intellectuelle.
Au sein de l’Union européenne, où le Partenariat transatlantique de commerce et de l’investissement (TTIP) proposé menace d’institutionnaliser le pouvoir des trusts, il faut lui opposer la vision totalement réalisable et certainement bénéfique d’un écosystème de l’innovation et de la créativité où l’accès au savoir soit gouverné par les principes de liberté, de justice et d’égalité.
Panagiotis Kouroumplis