Pour la première fois, le plus grand exercice militaire mondial compte parmi ses participants le compétiteur le plus direct de l’hôte américain, la Chine. La présence de l’Armée populaire de libération (APL) au cours du mois de manœuvres baptisé « Rim of the Pacific » ou RIMPAC, qui rassemble jusqu’au 1er août 22 pays, 25 000 soldats, près de 50 navires et 245 avions autour de Hawaï, suscite quantité d’interrogations. Début juillet, le commandant de la flotte américaine du Pacifique, Harry Harris, se désolait lors d’une conférence de presse : il voulait bien répondre à toutes les questions, mais les six qui venaient de lui être posées portaient exclusivement sur la présence de la marine de l’APL, au risque de vexer les autres participants.
La présence chinoise est l’aboutissement des efforts déployés par Washington et Pékin pour aboutir à une relation de « maturité », dans laquelle l’évidente concurrence stratégique ne bloque pas les échanges économiques, et où prévisibilité et transparence limitent le risque d’incidents militaires. En juin 2013, la République populaire avait confirmé sa participation inédite au RIMPAC, qui a lieu tous les deux ans, tandis que Barack Obama recevait son homologue chinois, Xi Jinping, à Rancho Mirage (Californie).
« ÉTABLIR UNE SORTE DE CONFIANCE »
Pour Ni Lexiong, expert des questions navales à l’université de sciences politiques et de droit de Shanghaï, les Etats-Unis sont convaincus de la nécessité en termes de sécurité d’opter pour la collaboration plutôt que l’isolement – une leçon de la guerre froide –, et la Chine, si elle avance ses revendications territoriales, tente simultanément de se montrer plus souple dans l’art de la diplomatie militaire. « Les deux espèrent établir une sorte de confiance, mais celle-ci est inatteignable car le scepticisme est lié à des contradictions structurelles, qui ne sauraient être résolues par la seule communication militaire », analyse le professeur Ni.
Les échanges en matière navale leur permettent toutefois de se targuer d’un succès commun, alors que la situation est de plus en plus conflictuelle en matière de cybersécurité et que demeurent de multiples tensions commerciales.
Très rapidement, l’organisation en amont du programme de cet invité sensible s’est révélée une affaire diplomatique complexe. Selon le Wall Street Journal, la Chine a retiré sa demande de participation à un exercice d’assistance humanitaire basé sur un scénario de catastrophe naturelle en apprenant que l’opération serait placée sous commandement du Japon.
Les limites de l’ouverture américaine se sont révélées lorsque la Chine a fait part de son souhait de participer à un abordage de navire par hélicoptère. Il lui fut refusé, car l’opération aurait été jugée illégale au regard du National Defense Authorization Act, qui interdit aux forces américaines de s’exposer de manière « inappropriée » à l’ennemi potentiel, notamment par des simulations d’opérations de combat avancées.
De son côté, la deuxième puissance militaire n’a pas hésité à envoyer un navire de surveillance à proximité de la zone d’exercice mais techniquement en dehors des eaux territoriales américaines. Un pied de nez de la part de Pékin, qui se plaint régulièrement de la présence de vaisseaux de surveillance de l’US Navy trop proches de son littoral à son goût.
SIMULATION D’ASSAUT
Côté américain, il ne s’agissait pas non plus de faire baisser la pression sur Pékin en mer de Chine, où les Etats-Unis soutiennent activement le Japon, les Philippines et, de manière croissante, l’ancien ennemi vietnamien, tous en discorde avec les Chinois sur les limites géographiques de leurs souverainetés respectives. En même temps que se déroulaient les premiers échanges du RIMPAC à Pearl Harbor début juillet, la marine américaine lançait ainsi avec Manille une simulation d’assaut sur une plage des Philippines.
Du point de vue d’Andrei Chang, rédacteur en chef de Kanwa, une revue spécialisée sur la défense en Asie basée à Hongkong, l’invitation faite à la Chine reflète la dualité de la politique américaine, oscillant entre engagement mutuel et efforts pour endiguer l’ascension chinoise. « L’exercice permet aussi de montrer les muscles américains dans le Pacifique, de dire à la Chine qu’elle est encore loin derrière et qu’elle n’a qu’à se tenir à carreau », estime M. Chang.
La Chine n’est pas dupe, et probablement n’est-ce pas un hasard si elle a profité de ce mois de juillet pour tester un système de missiles anti-satellites, un pan important de sa stratégie dite « anti-accès », consistant à travailler sur sa capacité à neutraliser les moyens américains, consciente qu’elle ne disposera pas d’outils offensifs équivalents avant longtemps.
Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)
Journaliste au Monde