En commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la tuerie sexiste des quatorze étudiantes en génie de l’École polytechnique de Montréal le 6 décembre 1989. La lutte féministe est nécessaire pour vaincre l’impérialisme néolibéral tout comme la défaite de celui-ci est une condition nécessaire mais non suffisante pour la disparition de la violence contre les femmes et les enfants.
L’impérialisme néolibéral se caractérise par une contradiction extrême, près de la rupture, entre l’État-nation, resté le cadre politique central de l’époque impérialiste, et le marché mondial, devenu son cadre économique majeur.
Cette contradiction n’est pas nouvelle mais elle a été maîtrisée, in extremis dans la période 1914-1945, dans le contexte colonial de l’impérialisme première manière où il a fallu que la bourgeoisie « appliqu[e] à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique » (Aimé Césaire, 1955). Le sérieux recul capitaliste qui a découlé de cette crise existentielle a produit l’impérialisme néo-colonial de la guerre froide qui a facilité une unité impérialiste « campiste » dite anti-communiste sous hégémonie étasunienne. Elle faisait suite à une substantielle perte territoriale pour l’accumulation du capital à laquelle perte s’est substituée une drastique déprédation de la nature et de l’être humain lui-même, physiquement et psychiquement.
L’impérialisme s’en est défaussé surtout sur le dos des peuples de la (semi-)périphérie impérialiste où se sont déplacées les tentatives révolutionnaires après l’échec allemand de 1918 dont le succès aurait pérennisé la révolution bolchevique dans la Russie « émergente » de l’époque et jusqu’à un certain point de l’échec espagnol de 1936-37 dont le succès aurait pu couper court au à l’hécatombe de la Seconde guerre mondiale au bénéfice d’un renouveau révolutionnaire. Sans le Godot allemand qui se fait toujours attendre, toutes ces révolutions (semi-)périphériques ont abouti au « socialisme dans un seul pays » (et son miroir « tigre dans un seul pays ») dont la « social-démocratie dans un seul pays » fut l’écho dans les pays impérialistes.
Ces pseudo-solutions, variations sur un même thème, coûteuses en plus-value pour financer tant « l’économie de guerre permanente » que le bureaucratique « État providence » et son corollaire consumériste, ont épuisé depuis le tournant des années 1980 les ripostes tant révolutionnaire que réformiste. En reniant la perspective révolutionnaire, le paradigme partis / syndicats stalinien / social-démocrate en a perdu même la capacité d’obtenir des concessions réformistes significatives et, dorénavant, celui de conserver les acquis des « trente glorieuses ». Cet épuisement a éclaté au tournant des années 1990 par l’implosion des économies collectives et par la panne sociale-démocrate des économies nordiques, tout en provoquant une crise écologique et nucléaire ébranlant l’écosystème terrestre et de ce fait les bases matérielles de la civilisation.
La grande impasse créée par la grande défaite
La grande défaite prolétarienne du XXiè siècle a créé les conditions de la reconquête néolibérale de la plus-value et des territoires perdues. Le capital mondial a ainsi retrouvé la marge de manœuvre d’une relance de l’accumulation qui pourrait être le « capitalisme vert » avec, sur le dos des peuples, sa financiarisation de la pollution, sa technologie d’apprenti-sorcier et ses projets pharaoniques. Pour ce faire, il lui faudrait cependant retrouver une unité politique sous la houlette d’une puissance hégémonique, seule façon capitaliste de battre en brèche la loi de la concurrence. C’est ce qu’ont tenté de redevenir les ÉU avec, jusqu’ici, un cuisant échec au Moyen-Orient et en Amérique latine après l’espoir fou de la « fin de l’histoire » gâchée par la résistance des peuples refusant une nouvelle ère (néo-)coloniale.
Le prétendant chinois réalise qu’il ne peut pas s’imposer par une troisième guerre mondiale parce qu’il n’en a pas (encore) les moyens en termes matériel. Si sa capacité industrielle est en train de parvenir rapidement au même niveau que son principal concurrent, sa capacité technologique retarde de beaucoup sans garantie de l’égaler tout en restant dépendante de celle du camp adverse, ce qui compromet la construction de sa capacité militaire. La Chine est encore loin d’avoir réussi à former un bloc asiatique dont la délimitation fait déjà l’objet de guerres locales et d’escarmouches de l’Ukraine aux mers de Chine orientale et méridionale en passant par le Moyen-Orient et l’Asie centrale.
Sans compter qu’une guerre généralisée employant tous les moyens de destruction disponibles deviendrait fort probablement « MAD » (mutually assured destruction - destruction mutuelle assurée). Reste l’illusion pacifiste d’un super-impérialisme basé sur une entente stratégique américano-chinoise mettant au rancart la fondamentale loi de la concurrence. En attendant, les grandes puissances naviguent à vue se noyant dans une montagne de plus-value inemployée, dite surabondance d’épargne, disponible pour la stérile spéculation. La masse de capital fictif en découlant, pour être rémunérée au même titre que le capital réel, commande des taux de plus-value et de profit faramineux.
La mondialisation réactionnaire, sans filet de sécurité politique
Pour y parvenir, l’impérialisme néolibéral a créé les conditions d’une compétitivité oligopolistique de molochs financiers transnationaux prospérant dans un marché global grâce à l’intégration des ex économies collectives imposant la norme chinoise des conditions de travail, à la mobilisation à rabais des femmes sur le marché du travail et pour des tâches domestiques reprivatisées, à l’immigration dans les pays impérialistes de plus en plus réprimée donc corvéable à merci, et à l’assujettissement des PME devenus sous-traitantes et franchisées.
Les nouvelles technologies de l’information, des communications et des transports, mais aussi le pétrole bon marché à coups de guerre et de dépravation écologique, ont rendu possible une division internationale du travail englobant toute la chaîne de valeur, du financement à la mise en marché en passant par la recherche-développement et la production proprement dite. Cette globalisation du cycle de production-réalisation de la marchandise a facilité la mise en concurrence des nationalités tant à travers les frontières qu’à l’intérieur de celles-ci, amplifiant xénophobie et racisme au prorata de la faiblesse de la gauche anticapitaliste.
L’intensité de la compétitivité oligopolistique dans un marché mondial qui a récupéré les vastes zones géographiques perdues aux tentatives révolutionnaires, qui se réapproprie les services publics quand ce ne sont pas les programmes sociaux non encore charcutés, qui privatise jusqu’à la sécurité nationale, qui s’accapare les processus vitaux, les formes de vie et les biens restés communs, qui mêle profits mafieux et ceux légaux, qui pratique à une échelle multi-milliardaire l’évasion dans les paradis fiscaux, a converti la politique visant hier la « paix sociale » en « gouvernance » visant l’attraction des investissements... et au diable le compromis politique.
Ont bénéficié de cette « course vers le fond du baril » salariale, fiscale et sociale les pays non seulement répressifs mais surtout les plus en mesure d’offrir des infrastructures adéquates, une main d’œuvre à bon marché mais relativement formée, un État structuré et un marché important. Rien de surprenant que ces pays « émergents » furent dans la période précédente ceux qui ont le mieux tenu tête aux impérialismes coloniaux et néo-coloniaux... et qui continuent de le faire vis-à-vis l’impérialisme néolibéral mais dorénavant comme compétiteurs y compris dans le domaine crucial des investissements hors frontières.
La mondialisation économique a créé les conditions d’une mondialisation institutionnelle (G-20, FMI/BM, OMC et ONU et leurs équivalents régionaux) qui a fait ses preuves dans la gestion de la crise économique de 2008 en maintenant, contrairement à la grande crise des années 30, le marché global. Ces institutions en ont été quitte pour recourir à des expédients pseudo-keynésiens, comme sauver les institutions financières à coup de plus de dix mille milliards de dollars, et à renoncer momentanément aux buts ultimes du libre-échange asymétrique. Cependant, misant sur la défaite/recul du mouvement des places, la contre-offensive libre-échangiste, revers des austérités nationales, se restructure en fonction, cette fois-ci, de l’affrontement du « vieil impérialisme » sous hégémonie étasunienne contre le défi des puissances émergentes emmenées, en ordre dispersé, par la Chine.
Crise systémique et riposte en panne d’internationalisme
La crise de 2008 s’est convertie en stagnation par le biais d’une politique monétaire très laxiste qui se pérennise, tout en se modulant à la lutte inter-impérialiste des taux de change, ce qui crée de nouvelles bulles spéculatives. Cette crise est la conséquence d’un régime d’accumulation déséquilibré qui détruit la demande finale quitte à lui substituer un endettement systémique, processus épuisé dans la majorité des secteurs des pays du « vieil impérialisme » mais non dans la plupart des pays émergents où il progresse rapidement et dangereusement. En a résulté une hypertrophie du capital fictif, direct et dérivé, qui accentue la quête effrénée de plus-value.
L’impérialisme néolibéral s’éternise malgré son accentuation de l’exploitation et de l’oppression excitées par la virulence de la compétition et la pression du capital fictif qui s’empile, malgré la crise écologique devenu paroxysmique, malgré la crise du politique transformant la démocratie en fac-similé de gouvernance d’entreprise et malgré son épuisement visible dans la « grande dépression ». Cette dramatique durabilité s’explique par sa globalisation économique, idéologique et politique versus un prolétariat tétanisé par son nationalisme (« …dans un seul pays ») qui l’a confiné à un réformisme concertationniste devenu un cul-de-sac le rendant vulnérable à la xénophobie et au racisme.
L’impasse stratégique prolétarienne n’empêche en rien le développement spontané de la riposte contre le bulldozer de l’austérité, de la répression, des discriminations et des guerres. Faute d’alternative anticapitaliste, celle-ci déchoit trop souvent en un repli identitaire de diverses formes (religieuse, ethnique, de caste...) jusqu’à un nouveau fascisme, envers de la médaille d’une globalisation très inégalitaire et combinant la plus haute productivité avec la pauvreté la plus abjecte et les inégalités les plus criantes. La fabrication de l’Autre qui fait peur en est devenue une industrie idéologique très florissante.
Cette riposte réactionnaire, souvent suscitée par les puissances impérialistes et toujours manipulée par elles ou par des aspirants régionaux, dégénère en guerres de toutes sortes, sans aucune issue progressiste sauf aux yeux des « campistes ». Ces guerres incessantes et de plus en plus nombreuses installent une ambiance mondiale de « guerres chaudes » propices à toutes les crispations autoritaires, sexistes et racistes, fournissant le prétexte à toutes les austérités et grosses de tous les dérapages de guerre généralisée.
Miser sur les imparfaites exceptions tout en leur offrant une perspective anticapitaliste
Dans ce désert politique, les anticapitalistes ont à déceler des oasis pouvant servir de bases à son reverdissement. Ce sera une entité syndicale ou populaire prête à une lutte conséquente contre l’austérité et la guerre, parfois un parti politique à gauche de la gauche. Ce sera une organisation démocratique ou de libération nationale affrontant des gouvernements barbares et des organisations fascisantes, parfois un petit parti politique de masse luttant sur deux fronts, tant contre l’impérialisme et ses suppôts nationaux que contre le fondamentalisme.
En plus d’appuyer, de se lier et de participer à ces forces dispersées, la tâche stratégique des anticapitalistes reste la construction de partis anticapitalistes de masse. Ces partis, composés de militantes crédibles, proposent, en toute transparence, un programme d’expropriation du capital financier, de renversement de l’État capitaliste, d’auto-organisation prolétarienne et populaire, de plein emploi écologique et de libération des femmes et des nations opprimées.
Dans les rapports de forces très dégradés de ces temps de grande noirceur, ces militantes sauront accomplir ces tâches puisant dans la conjoncture un programme d’urgence ouvrant la voie anticapitaliste et dont le but sera la plus immédiate mobilisation de grande ampleur. Les anticapitalistes sauront prendre lucidement les plus grands risques en misant sur des organisations et, si nécessaire, des partis de gauche dont la dynamique est prometteuse malgré des positions et pratiques problématiques qu’il faut cependant critiquer en toute transparence.
Ils s’appuieront sur l’espoir du grand mouvement de l’occupation des places et autres soulèvements similaires, le plus souvent impliquant une forte proportion de jeunes et de femmes.
Malgré leurs insuffisances de programme et d’organisation, reflet d’une gauche anticapitaliste en reconstruction, la simultanéité plurinationale de ces mouvements des places sur un axe Nord-Sud manifeste un internationalisme nouveau prenant le relais d’un altermondialisme à bout de souffle parce que trop gangrené par le social-libéralisme masqué par le radicalisme idéologique .
L’espoir euro-méditerranéen... ou la surprise venue d’ailleurs
Les anticapitalistes sont coincés tant dans l’espace entre globalisation des enjeux et mobilisation nationale que dans le temps entre déploiement accéléré des crises systémiques et la marginalisation sinon le recul de leurs organisations. La conjoncture d’aujourd’hui paraît aussi désespérée qu’elle l’était il y a exactement un siècle et pourtant il y eut, peu après, Octobre 1917. L’histoire anticapitaliste de la lutte contre les impérialismes colonial et néo-colonial fournit deux points d’appui pour celle contre l’impérialisme néolibéral, soit le « front unique » et le « programme de transition ».
L’histoire récente du mouvement des places sur le pourtour méditerranéen a créé l’espoir de la résolution de la solution de continuité qu’est cette révolution dans un grand pays impérialiste qui se fait attendre depuis un siècle. Ce « maillon faible » euro-méditerranéen de l’impérialisme néolibéral s’appuie sur un glorieux passé révolutionnaire, bourgeois et prolétaire. L’échec révolutionnaire fut le socle paradoxal de réformes avancées que la proto-bourgeoisie européenne veut aujourd’hui liquider, compétitivité dans le marché global oblige, et que défend le prolétariat avec acharnement quoique cycliquement et à géométrie variable selon les pays. Le récent soulèvement des places fut une suite en rafale de mobilisations marquant une situation, mais non une crise, révolutionnaire — ceux d’en haut ne peuvent plus, ceux d’en bas ne veulent plus et le cœur des « classes moyennes » balance — au « Sud » ou pré-révolutionnaires au « Nord ».
Pour le moment, le terrible héritage du « socialisme réellement existant » et son corollaire, la pesante et paralysante bureaucratisation des appareils syndicaux, empêchent tout aboutissement laissant un vide programmatique et organisationnel que comblent les fondamentalismes néolibéral et identitaire, ce qui crée une désespérance conjoncturelle. Reste que la rapide aggravation tout aussi réellement existante de l’exploitation et de l’oppression met à nue la fausseté des idéologies réactionnaires et le cul-de-sac des politiques des organisations s’en réclamant. Les peuples issus du mouvement des places commencent à rejeter les alternances électorales et, non sans subir une implacable austérité et une dure répression, quand ce n’est pas la violence armée, à chercher des alternatives oscillant entre la rue et les urnes, d’une suite de grèves générales trop brèves à Syriza en Grèce, du mouvement des Indignés et des marées citoyennes à Podemos en Espagne.
Un possible dénouement heureux euro-méditerranéen, quoique l’instabilité post guerre froide puisse réserver des surprises venues de nulle part, aura besoin de la brèche de la lutte démocratique moyen-orientale pour la récupération de la rente pétrolière, inspirée mais en plus aboutie que celle andine restée prisonnière du redistributif et extractiviste nationalisme anti-étasunien. Il lui faut l’apport de la résistance de cette nouvelle grande armée des damnées de la terre est-asiatiques sorties d’un roman de Dickens ou de Zola. Leur éveil revendicateur, bien en marche malgré le joug bureaucratique ou (semi-)militariste, mettra en échec le bon marché consumériste qui, combiné au bon marché des énergies fossiles, séduit et trompe encore le prolétariat des pays impérialistes aux dépens de la terre-mère. Un coup de pouce du prolétariat de l’Amérique du nord impérialiste, dont les luttes de libération nationale afro-américaine et québécoise sont les maillons faibles, créerait plus d’espace en ébranlant l’hégémonie du gendarme mondial et de son très fidèle allié nordique.
Le succès de ce renouement pré-stalinien dépendra de la réussite de ces fronts uniques anti-austérité, anti-réactionnaire et anti-guerre sur la base de revendications transitoires appropriées.
Revendications transitoires pour la « révolution de la rue »
Une gauche sociale-libérale ou antilibérale se présente comme alternative à l’alternance cul-de-sac. Il faudra dissiper l’impuissance du discours de la « révolution des urnes », qui veut changer les politiques sans changer les rapports sociaux, le tout sans rupture des institutions quitte à en modifier la forme. Par contre, proposer le front unique à cette gauche, tant politique que sociale, favorise l’alternative de l’auto-organisation des exploitées et des opprimées pour abolir la grande propriété privée, en premier lieu son stratégique noyau financier. La médiation par un ambivalent « gouvernement ouvrier », ou encore par une assemblée constituante, se présente comme une question d’analyse concrète de cas concret. Il doit être un accélérateur de la rupture anticapitaliste et non pas un cul-de-sac pour sauver in extremis les institutions de la démocratie formelle même passablement remaniées.
Le fer de lance des revendications transitoires va droit au cœur du capital financier en lui arrachant le contrôle des grands moyens de production et la mainmise du créditeur sur le débiteur, en particulier celui public. En l’expropriant, il faut faire de la finance un service public démocratisé tout en annulant la dette publique, cette « épargne » capitaliste inutilisée pour une nécessaire consommation ou pour un investissement socialement utile. Ce n’est qu’une fois le capitalisme politiquement hors jeu et achevée la démocratisation du contrôle des grands moyens de production qu’on pourra allouer les ressources disponibles, y compris celles restées aux mains du secteur privé grâce à l’encadrement par une profonde réforme fiscale, pour atteindre le plein emploi écologique suite à une révolution des systèmes agricole, énergétique, de transport et de l’urbanisme sans oublier de gigantesques transferts internationaux compensant le séculaire pillage impérialiste.
Un front unique ajusté au prolétariat du XXIiè siècle
Le prolétariat est devenu mondialement majoritaire en se déployant aux confins du globe par l’urbanisation et la prolétarisation du paysannat mais surtout par la ré-intégration des ex économes collectives au sein des rapports sociaux capitalistes. Cette favorable mécanique statistique s’est vue ruinée par la grande défaite de l’internationalisme prolétarien. En a résulté une profonde crise politico-idéologique doublée d’une crise identitaire due à l’éclatement du prolétariat. Celui-ci s’est ventilé en termes d’entreprises, en particulier entre assembleurs et sous-traitants, de secteurs, en particulier entre celui privé et celui public, de statuts, en particulier entre plein-temps et précaires, de zones géographiques, en particulier entre celles manufacturières et celles financières et commerciales. Ce bouleversement de fond en comble impose à la stratégie frontiste de la « grève générale » et de la « guerre prolongée », élaborée par les révolutions ayant mené au « socialisme du XXiè siècle », une profonde mue.
Tant les blocages de routes des sans travail argentins au tournant du millénaire et les occupations des usines abandonnées que les grands rassemblements du mal nommé « printemps arabe » annoncent cette « grève sociale » du XXIiè qui rassemble les diverses formes (in)organisées de la pluralité prolétarienne. Mais que faire sans grèves massives des prolétaires à partir de leurs lieux de travail, en particulier de ceux générateurs de plus-value ou qui sont indispensables à sa réalisation ? À quand ce renouveau syndical qui jusqu’ici a cruellement manqué même dans les meilleurs cas comme en Tunisie et en Égypte ? Si jadis il fallait souvent encercler les villes par les campagnes, il faut dorénavant encercler le mouvement syndical par les mouvements populaires, particulièrement ceux des jeunes, des femmes, des nationalités opprimées et écologistes, tout en le pénétrant par une vigoureuse opposition anticapitaliste. Reste à réapprendre à faire face à la lutte armée qu’imposent l’impérialisme et ses Frankenstein, ce que révèlent les tragédies palestinienne et syrienne, en l’absence d’assez larges et solides fronts uniques et surtout faute de sérieuse solidarité internationaliste.
Une stratégie internationaliste est plus que jamais nécessaire du fait de la globalité du marché et des crises systémiques à dimension mondiale du capitalisme contemporain tout autant qu’elle l’est de par la cause fondamentale de l’échec d’Octobre 17, abandonnée à elle-même, et de ses suites chinoise, cubaine et nicaraguayenne. Une stratégie internationaliste, si elle rompt avec toute idéologie nationaliste, intègre les luttes contre toutes les formes d’oppressions, y compris les luttes féministes, déterminantes contre le conservatisme et le fondamentalisme tous deux deux alter ego du néolibéralisme, et les luttes de libération nationale, déterminantes pour les peuples opprimés et, par effet de miroir, ceux oppresseurs. Il faut se garder tant du fondamentalisme anticapitaliste, économisme hérité du stalinisme qui réduit en « réserves » toute forme d’oppression, que de la tentation des « multitudes » indifférenciées évacuant toute réflexion stratégique. Tous les chemins mènent à Rome mais pas nécessairement en ligne droite.
Le dilemme de l’organisation : Lénine ou Rosa Luxembourg ?
Dans ce nœud gordien de complexités stratégiques et tactiques, la seule spontanéité, après un moment d’exaltation triomphale, conduit le prolétariat dans le mur de la défaite et de ses suites identitaires. Tant la dés/sur-information médiatique d’aujourd’hui, et son corollaire de « société-spectacle », que l’étranglement prolétarien dans les griffes de la finance atomisent et désorientent le prolétariat. Ils le font autant que l’ignorance et l’abrutissement de jadis livraient un prolétariat plus uniforme mais généralement minoritaire aux prêtres, démagogues et tutti quanti... tout comme une partie de celui d’aujourd’hui, particulièrement la jeunesse, désespérée par la crise systémique à laquelle la gauche n’arrive pas à répondre.
La collecte de l’information épurée, l’apprentissage systématique des acquis et leçons de l’histoire de la lutte de classe, les vigoureux débats sur la conjoncture nécessitent plus que jamais le rassemblement d’une avant-garde, notion discréditée autant par l’ennemi bourgeois que par l’adversaire réformiste. Anti-élitiste, cette avant-garde est mise à l’épreuve et se sélectionne dans le combat dans la rue qui comprend celui des urnes, sa composante institutionnelle dont elle modifie la forme électoraliste, champ d’affrontement que les gauchistes abandonnent à la bourgeoisie. Les partis anticapitalistes, et leur regroupement international, restent incontournables tout en admettant leur pluralisme interne et leur pluralité nationale tant le prolétariat est divers et la réalité un labyrinthe sans fin.
Se pose, décuplé, le dilemme faustien entre le parti léniniste et la fraction luxembourgiste. La démarcation entre le petit parti de masse et le cul-de-sac de la secte propagandiste coupée de la classe comporte une bonne zone grise. Celle entre la fraction délimitée et la perdition dans le maelström social-libéral ou antilibéral comporte aussi une telle zone grise. On ne résout pas la crise interne du NPA français en le quittant pour s’allier au « parti des urnes », tout bien démarqué soit-on. On assume le difficile pluralisme toujours préférable à l’alliance avec le social-libéral Parti communiste français. On ne résout pas l’isolement propagandiste en s’alliant avec la bureaucratie sociale-libérale et électoraliste qui dirige Québec solidaire. On se délimite clairement et publiquement sur la base d’un programme et d’une stratégie anticapitalistes dont le noyau dur est l’expropriation de la finance et la « grève sociale » vers l’indépendance nationale. Il n’est jamais trop tard pour faire un tournant.
Marc Bonhomme, 6 décembre 2014
www.marcbonhomme.com ; bonmarc videotron.ca