Depuis des semaines, le débat fait rage au sein de la société tunisienne, et notamment parmi les Tunisien-ne-s qui se réclament de la gauche, sur l’attitude à avoir pour le deuxième tour des présidentielles du 21 décembre.
Cette discussion traverse en premier lieu les militant-e-s et sympathisant-e-s du Front populaire qui est désormais la troisième force politique du pays, avec 15 députés au Parlement.
Deux grands points de vue étaient en présence au sein du Front :
* L’appel à voter Essebsi était en particulier défendu publiquement par certains dirigeants de deux des partis appartenant au Front, (1) ainsi que la veuve de Chokri Belaïd. (2)
* Certains des arguments utilisés en interne par ceux qui voulaient que le Front renvoie dos à dos Marzouki et Essebsi figurent notamment dans un appel public daté du 27 novembre. (3)
Après de longues discussions internes, le Front populaire a annoncé le 11 décembre l’état actuel de son positionnement. Celui-ci peut être ramené à trois grands points.
1) « Barrer la route au retour au pouvoir du projet « frériste » réactionnaire » représenté par Marzouki
Le Front populaire « appelle le peuple tunisien à barrer la route au retour du candidat effectif du mouvement Ennahda et de ses alliés, M. Mohamed Moncef Marzouki, à la présidence, après que la Tunisie et son peuple ont souffert sous son règne des assassinats politiques, en particulier l’assassinat des martyrs Chokri Belaïd et Hadj Mohamed Brahmi et le terrorisme qui a touché des dizaines de martyrs - soldats et agents de la sécurité - et menacé l’unité de l’Etat et de la société en plus d’une série de désastres économiques, sociaux et diplomatiques, sans compter son inféodation au parti du mouvement Ennahda et son association éhontée aux ligues de violence criminelle et aux groupements salafistes hors la loi qui incitent à la sédition, au takfirisme (excommunication) et à la division ainsi qu’à d’autres groupes et partis hostiles à la démocratie, ainsi que ses relations extérieures avec des axes régionaux qui ne veulent pas du bien pour la Tunisie et le monde arabe en général ».
2) « Faire face à tout risque de retour de la tyrannie et de la corruption » représenté par Essebsi
Le Front « appelle à prendre au sérieux la possibilité du retour du système de la tyrannie et de la corruption avec de nouveaux mécanismes, nouvelles méthodes et alliances hostiles aux exigences de la révolution en termes de liberté, démocratie et justice sociale, d’autant plus que le candidat de Nidaa Tounes, M. Béji Caïd Essebsi, n’a pas encore clarifié son projet de gouvernance en ce qui concerne ses relations avec le mouvement Ennahda et la possibilité de le faire participer au gouvernement.
En ajoutant que son parti comprend dans ses rangs et au sein de sa majorité parlementaire et ses soutiens de nombreux symboles de l’ancien régime, ce qui aura des répercussions négatives sur des dossiers qui à notre niveau n’acceptent aucun marchandage dont les plus importants :
* le dossier des assassinats politiques et en premier lieu l’assassinat des dirigeants du Front populaire Chokri Belaid et Mohammed Brahmi, et les « événements de chevrotine » de Siliana et autres (7 et 9 Avril (4) et 4 décembre 2012 (5)),
* le dossier de la justice transitionnelle et la lutte contre le terrorisme,
* les dossiers économiques et sociaux brûlants qui ne peuvent plus supporter le report ».
3) « Empêcher la mise en œuvre d’un rapprochement bipolaire » , c’est à dire entre Nidaa et Ennahdha
Ce rapprochement « vise à étouffer la révolution et à contourner les revendications du peuple tunisien pour la liberté, la dignité, la justice sociale et le progrès ».
Dans ce cadre le Front populaire s’en remet, à « la volonté de notre peuple et aux choix que lui dicte sa conscience ». Il a déclaré lors de sa conférence de presse qu’il pourrait être amené à préciser cette formulation en fonction de l’évolution des rapports entre Nidaa et Ennahdha d’ici le 21 décembre.
Il est en effet notamment prévu qu’Ennahdha décide le samedi 13 décembre si son alliance de fait avec Nidaa au sein de l’Assemblée se prolongeait ou pas par la demande d’une coalition gouvernementale avec Nidaa. L’ampleur de la crise interne du parti islamiste (6) ne permet pas pour l’instant de savoir quelle décision sera finalement prise.
L’acceptation par Nidaa des propositions éventuelles d’alliance par Ennahdha s’accompagnerait au sein du parti « moderniste » du développement d’une crise parallèle à celle du parti islamiste. D’ores et déjà, nombre de membres et d’électeurs de Nidaa, farouchement anti-islamistes, sont déjà désorientés par l’alliance de fait à l’Assemblée de leur parti avec Ennahdha.
Le 12 décembre 2014
Notes :
1. Hakim Bécheur (La Presse 2 décembre) http://www.lapresse.tn/02122014/91964/sur-la-bonne-voie….html
Mongi Rahaoui http://www.realites.com.tn/2014/11/06/mongi-rahoui-parmi-nos-conditions-figure-celle-de-ne-pas-sallier-avec-ennahdha/
2. http://www.businessnews.com.tn/Besma-Belaïd--Salah-Belaïd-et-moi-même,-voterons-BCE-(Vidéo),520,51776,3
http://www.letemps.com.tn/article/88090/c%E2%80%99est-bien-dans-les-vieilles-marmites-qu%E2%80%99-fait-les-meilleures-soupes
3. Lettre ouverte parue le 27 novembre http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article33662 http://www.astrolabetv.com/ar/رسالة-مفتوحة-إلى-مناضلي-وقيادة-الجبهة/?fb_action_ids=844504558903471&fb_action_types=og.comments
Cette lettre a notamment été signée par des militant-e-s du Parti des travailleurs (ex-PCOT), de la LGO (organisation liée à la IVe internationale) et Sonia Jebali qui avait été une des principales animatrices de la lutte des ouvrières de Latelec-Tunisie.
4. Les 7 et 9 avril 2012, des manifestations ont été violement réprimées par la police.
5. Le 4 décembre 2012, le siège de l’UGTT a été attaqué par des milices islamistes
6. Hamadi Jebali se retire du mouvement Ennahdha
http://www.tunisienumerique.com/tunisie-hamadi-jebali-se-retire-du-mouvement-ennahdha/241417
Coup de tonnerre dans le ciel islamiste
http://assawra.blogspot.fr/2014/12/tunisie-coup-de-tonnerre-dans-le-ciel.html