En France, près de quatre millions de personnes — 25 000 à Montréal — ont marché derrière les dirigeants, ou leurs représentants, des grandes puissances pour affirmer l’unité de la nation contre le terrorisme des « fous d’Allah », pour la liberté d’expression et de presse. Plusieurs ont vu l’incongruité de défiler derrière des chefs d’État qui ne toléreraient pas une minute un Charlie Hebdo chez eux. Peu ont compris l’immense contradiction d’une manifestation monstre sous la houlette des directions du terrorisme d’État autrement plus meurtrier que celui réactif des djihadistes. Je m’en suis expliqué ailleurs [1], je n’y reviens pas. Les conséquences de ce succès politique incontestable de la néolibérale droite guerrière, y compris de son aile dite de « gauche », sont déjà visibles en termes de renforcement sécuritaire et d’annonces de nouvelles réglementations répressives, de hausses de budget de la police et de conférences internationales anti terroriste. Seul une partie de la gauche de la gauche a su résister à la pression de la « manufactured consent » (l’opinion publique fabriquée). Habilement, la droite lui a attaché au pied le boulet de l’extrême-droite écartée de la manifestation officielle malgré son intense désir d’y être.
Inutile à la gauche anticapitaliste de répondre aux forces coalisées droite-gauche sur leur préféré terrain sécuritaire. Il faut quand même rappeler certaines réalités élémentaires comme l’ont fait Claude Gabriel et Étienne Ballibar :
« La liberté d’expression ? Absolument ! Mais ceci ne supprime pas la notion de responsabilité.[...] L’histoire chrétienne de notre pays s’est progressivement décollée de notre histoire contemporaine. Ce n’est pas le cas de l’Islam.[...] En France, l’Islam est vécu par ses adeptes comme une religion opprimée, celle des gens méprisés.[...] Alors oui on peut se moquer de toutes les religions à condition d’avoir la responsabilité de les distinguer et de ne pas prêter à la confusion entre la religion de l’oppresseur et celle(s) des opprimés. » [2]
« ...le sentiment d’humiliation de millions d’hommes déjà stigmatisés, qui les livre aux manipulations de fanatiques organisés. » [3]
Le peuple québécois est bien placé pour le comprendre, lui qui sait ce qu’est l’humiliation due au « Quebec bashing » tout en se rappelant de son attachement à la religion catholique, avant la « révolution tranquille », considérée alors comme un pilier de son identité au même titre que la langue française.
Une réponse démocratique s’impose, particulièrement contre l’islamophobie et l’antisémitisme, mais reste carrément insuffisante tellement les austérités tous azimuts, quand ça ne sont pas des guerres, taraudent le bien-être le plus élémentaire des peuples qui cherchent un bouc émissaire à défaut d’alternative à gauche. Souvenons-nous que l’islamophobie d’aujourd’hui a remplacé l’antisémitisme d’avant 1945 et le « communisme » de la guerre froide, sur fond de racisme généralisé contre les non-blancs, comme bouc émissaire universel. Ces boucs émissaires, à qui on fait porter tous les péchés du monde, ont de tout temps été nécessaires à bloquer la construction d’un grand front uni contre le capitalisme. Aujourd’hui, ce docteur Folamour fait souffler le vent glacial de l’austérité tout en fomentant guerres et répressions contre ses Frankenstein hors contrôle.
Heureusement, plusieurs peuples, à tour de rôle, ont entrouvert les portes de l’espérance. Avant-hier, ce fut ceux de l’Amérique andine qui n’ont pas dit leur dernier mot, hier ceux des révolutions du monde arabe, feu qui couve toujours sous terre, aujourd’hui, en 2015, ce sont les peuples grec et espagnol/catalan qui se sont mis à l’avant-garde. La première épreuve de force qui se présente est au coin de la rue soit les élections grecques du 25 janvier pour lesquelles le parti de la gauche radicale Syriza est donné gagnant. Les anticapitalistes ont aperçu cette lumière au bout du tunnel. Ils ont compris la nécessité d’une internationaliste solidarité envers le peuple grec. La déclaration de la Quatrième Internationale sur le sujet en explicite les tenants et aboutissants [4].
Les premiers concernés par cet internationalisme sont certes les peuples européens. Ce ne justifierait en rien « le confort et l’indifférence » des peuples québécois et canadien, eux qui viennent de se mobiliser derrière le consul de France, le Premier ministre du Québec et le maire de Montréal, beaucoup plus qui ne l’ont fait lors du déclenchement du dit « printemps arabe ». Comme la solidarité dans la rue avec le peuple grec est une question éminemment politique, on s’attendrait à ce que Québec solidaire prenne les devants et convoque une manifestation, même modeste, en appui au peuple grec. Jusqu’à ce jour (15/01/15), la direction du parti n’a même daigné émettre un humble communiqué de presse dont elle est pourtant friande.
Il s’agit non seulement d’assurer un vote fort garantissant à Syriza une majorité parlementaire mais surtout d’encourager les peuples grec et européens à se remobiliser afin d’aider et de pousser Syriza, dont la direction vacille, à tenir tête au chantage des bourgeoisies de la zone euro. Pour rester crédible, il lui faudra réaliser, sans y déroger, sa plate-forme de Thessalonique laquelle reste une nette rupture avec l’austérité malgré son recul par rapport au programme du parti toujours défendu par son aile gauche. Pour dire vrai, on ne voit pas très bien comment cette plate-forme pourra être appliquée sans un moratoire immédiat sur le remboursement de la dette ce qui nécessite une prise de contrôle publique du système financier.
Marc Bonhomme, 15 janvier 2015
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