La doyenne des moudjahidate est partie. Agée de 95 ans, la Moudjahida – littéralement « femme combattante » – Jacqueline Guerroudj est décédée dimanche dernier à Alger, des suites d’une longue maladie a-t-on appris par ses proches. Cette femme aux engagements exceptionnels a éprouvé les plaies du 20e siècle. Parmi ses nombreux combats, l’histoire retiendra la manière dont elle s’est illustrée en faveur de l’indépendance de l’Algérie. « Née en 1919 à Rouen, de famille française et de confession israélite, elle fit des études de philosophie et de droit. Internée à Tours au début de 1942 par les nazis, elle échappa à la déportation et à la chambre à gaz en réussissant à gagner la zone Sud.
Nommée institutrice en Algérie, elle y épouse en 1951 Abdelkader Guerroudj, instituteur lui aussi, membre du Parti Communiste Algérien » résume en 1957 Pierre Durand, journaliste à l’Humanité. Dans cette période, la militante intègre le réseau du Comité de défense des libertés (CDL) et s’engage, en 1956, au Front de Libération nationale (FLN) comme agent de liaison dans les commandos de l’Armée de libération nationale (ALN). Ces faits lui vaudront d’être arrêtée et condamnée à mort en 1957. Si elle échappe à l’application de cette peine, son compagnon de lutte, l’ouvrier syndicaliste Fernand Iveton, est lui exécuté, en dépit d’un recours en grâce et des efforts répétés de Jacqueline pour le sauver.
« Ce matin, ils ont osé/Ils ont osé/Vous assassiner/C’était un matin clair/Aussi doux que les autres/Où vous aviez envie de vivre et de chanter » écrit, dans une plainte poétique, Annie Steiner. « Je vais mourir, mais l’Algérie sera indépendante » furent les dernières paroles entonnées par le militant communiste avant d’être guillotiné. Eclair de lucidité dans le ciel de la mort. L’indépendance établie, Jacqueline poursuit une carrière de bibliothécaire à la Faculté d’Alger tout en élevant ses cinq enfants.
Pour mesurer l’intégrité de cette femme qui a fait l’histoire entre deux rives, il est utile de relire La Guerre d’Algérie (Temps Actuels, sous la direction d’Henri Alleg). Dans un passage qui relate le procès retentissant des « combattants de la libération » du 4 au 7 décembre devant le tribunal permanent des forces armées d’Alger, Jacqueline revient fièrement sur la nature de ses convictions, qui évoquent la couleur de l’époque : « Sous l’occupation nazie en France, j’ai été, en tant que juive, internée dans un camp de concentration pendant un temps assez bref d’ailleurs ; mais j’ai été aidée et sauvée, ainsi que d’autres membres de ma famille, par des résistants français, alors que je n’avais aucune conscience, aucune activités politiques. J’ai pleinement réalisé qu’il y avait des circonstances où il était impossible de ne pas prendre position et que j’avais contracté une dette que me suis promis de payer dès que j’en aurais l’occasion. Toute mes sympathies allaient au communisme, mais je n’ai commencé à militer que lorsque je me suis installée en Algérie, pour pouvoir lutter efficacement contre les injustices que j’avais constamment sous les yeux et qui me révoltaient ».
Nicolas Dutent