Kobane a été repris par les combattant-e-s kurdes du YPG/YPJ. Il s’agit des unités armées du PYD lié au PKK (principale organisation du mouvement de libération kurde en Turquie), alliés aux peshmergas du PDK (dont l’influence porte sur le Kurdistan irakien) et à la coalition « Volcan de l’Euphrate », regroupant des groupes kurdes non affiliés au PKK et des groupes arabes sunnites dont certains participent à l’Armée Libre Syrienne (Liwa Thuwwar al-Raqqa) ou au Front Islamique (Brigade Al-Tawhid).
Cette victoire marque probablement la fin d’une séquence commencée le 15 septembre 2014. Le soutien logistique des puissances occidentales ne doit pas tromper : c’est une victoire héroïque et chèrement payée de nombreuses vies, plusieurs centaines même si aucun chiffre fiable n’est disponible.
La bataille de Kobane renforce bien évidemment la position du mouvement kurde en Syrie et en Turquie et marque un coup d’arrêt ne serait-ce que symbolique pour l’EI. Elle signifie également un nouveau camouflet pour le gouvernement turc du parti conservateur-autoritaire-ultralibéral de l’AKP. Le président turc Erdogan n’est pas particulièrement enthousiaste en ce qui concerne l’EI, mais comptait sur la défaite des troupes kurdes liées au PKK afin s’améliorer le rapport de force en sa faveur en Turquie. Après cela, il s’agissait probablement de se débarrasser de l’EI par l’intervention de la coalition tout en s’assurant de la chute d’Al-Assad en Syrie... Et ainsi gagner sur tous les tableaux. Mais cette manœuvre (trop) ambitieuse, à plusieurs bandes, s’est révélée au-dessus des capacités des dirigeants turcs.
Au contraire, c’est le PKK qui a réussi à fédérer autour de lui contre l’EI et a affermi sa position dans le Kurdistan syrien dont il a proclamé l’autonomie alors qu’au début, lorsque les troupes ont débarqué dans cette zone, cette démarche n’était pas sûre de réussir. De plus, il apparaît internationalement comme le fer de lance de la lutte sur le terrain contre l’EI.
La réaction d’Erdogan ne s’est pas fait attendre. De retour d’une tournée en Afrique, celui-ci a déclaré :
« Nous ne pouvons pas accepter une Syrie du Nord ! » (c’est-à-dire une Syrie du Nord kurde et autonome, entendu comme un pendant au gouvernement régional kurde en Irak du Nord).
Ce cri du président turc a été suivi par une déclaration véhémente comportant une part de vérité lorsqu’il déplore l’abandon à son sort de la ville d’Alep face au régime criminel d’Al-Assad… mais dont la conclusion prouve son impuissance internationale : « J’espère que les Américains vont réviser leur jugement (NdlA soutien à Kobane) et feront ce qui est juste. »
Ce qui confirme que le grand frère américain fait peu cas de ce partenaire qui s’est embourbé… Mais n’est pas impuissant pour autant.
En effet, la victoire à Kobane n’efface pas les dangers auxquels font face les peuples de la région :
– L’EI n’est pas désarmé et contrôle des parties importantes de la Syrie et de l’Irak. Il s’installe comme une réalité tangible, cherche à implanter un régime avec son administration. Il ne peut pas être assimilé à une bande de brigands armés. Vouloir sa destruction sans proposer une solution viable aux Arabes sunnites de la région est toujours une impasse.
– Le régime d’Al-Assad continue à massacrer son peuple et le danger est grand de le voir redevenir d’une manière ou d’une autre de rompre définitivement son isolement et d’asseoir son autorité à la faveur de la « lutte contre l’EI ».
– Enfin, mis en échec en Syrie, il est tout à fait possible qu’Erdogan utilise les « sympathisants » de l’EI en Turquie même dans sa fuite en avant autoritaire-conservatrice, tout en échouant dans les pourparlers avec le PKK…
Une bataille est gagnée… Mais l’avenir est encore lourd de dangers.
Emre Öngün