Le dessinateur Luz, qui a échappé au massacre du 7 janvier à la rédaction de l’hebdomadaire Charlie Hebdo, s’est confié dans une vidéo au magazine en ligne Vice. La voix nouée, il raconte ce qu’il a vu ce jour-là, et revient sur la « une » tant décriée du dernier numéro.
[Pour la vidéo, voir l’article original]
« J’ai eu beaucoup de chance, affirme-t-il en débutant son récit. C’était mon anniversaire le 7 janvier, et je suis resté longtemps au lit avec ma femme. Du coup, j’étais en retard à la réunion, bêtement. Quand je suis arrivé à Charlie, j’ai vu des gens qui m’ont interpellé et qui m’ont dit « Faut pas rentrer, il y a deux mecs en armes qui viennent de rentrer dans l’immeuble ». »
Luz voit les deux terroristes sortir et s’engouffre, quelques minutes plus tard, dans le bâtiment. « Je commence à voir des traces de pas ensanglantées. J’ai compris après : c’était les traces du sang de mes amis. J’ai vu qu’il y avait des gens à terre, des culs. J’ai vu un copain face contre terre. » Entre deux sanglots étouffés, il poursuit : « Il y avait besoin de ceintures pour faire des garrots. Je me suis rendu compte que je n’avais pas de ceinture. Alors je porte des ceintures maintenant. »
Pardon mutuel
Depuis, il y a eu la mobilisation internationale, un nouveau numéro de Charlie Hebdo et des polémiques autour de sa « une » représentant Mahomet. Plusieurs manifestations contre l’hebdomadaire se sont déroulées dans le monde musulman. « Je pense que la majorité des musulmans s’en foutent de Charlie Hebdo, répond Luz. Je pense que les gens qui s’arrogent le droit de dire que l’ensemble de la communauté musulmane a été offensée sont des gens qui prennent les musulmans pour des imbéciles », souligne le dessinateur, « triste » que des journaux comme le New York Times aient décidé de ne pas publier leur couverture.
Une couverture dont la genèse a été difficile. En panne d’idées, Luz se tourne vers « la raison pour laquelle une partie de l’équipe de Charlie a été tuée » : le dessin de Mahomet, en « une » du « Charia Hebdo », « qui nous a valu un incendie » en 2011. « Je me suis adressé là lui. Mon pauvre vieux, toi que j’ai dessiné en 2011, qui nous a valu beaucoup d’emmerdes... Quelque part, c’était presque un pardon mutuel qu’on se faisait. Moi, en tant qu’auteur, en disant « Je suis vraiment désolé de t’avoir foutu là-dedans », et lui, en tant que personnage, qui me pardonnait, qui me disait « C’est pas grave, toi, tu es vivant, tu vas pouvoir continuer à me dessiner ». »
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