Robert Pelletier – Au-delà des statistiques, quelle est pour l’Apeis la perception de la détresse sociale sur le terrain ?
Malika Zediri – Les plus grandes difficultés frappent d’abord les chômeurEs. La moyenne des allocations versée par l’Unedic se monte à 800 euros, avec des dépenses qui, sur tous les postes, augmentent constamment : loyers, chauffage, téléphone, nourriture... Les gens n’ont pas les moyens de vivre, ils sont coincés dans cette situation. Sans emploi, pour plus de la moitié, c’est rapidement la perte des droits aux allocations chômage. En 1 an et demi ou 2 ans, on perd tous ses droits au chômage. Il s’agit alors de vivre avec le RSA c’est-à-dire avec moins de 500 euros. Et une question pour chacunE : combien de temps je peux tenir avec ça ? Parmi les précaires, 50 % des adultes, 20 % des enfants n’ont pas mangé pendant au moins un jour au cours du dernier mois, et présentent des pathologies aiguës liées à l’alimentation...
Dans le même temps, le gouvernement diminue tous les moyens humains et matériels des professions chargées de l’accompagnement social et, donc, laisse ces populations dans un abandon total.
En matière de logement, c’est la multiplication des expulsions locatives qui touchent les plus défavoriséEs : immigréEs, familles monoparentales, notamment féminines. Les logements d’urgence sont soumis à une rotation sur deux mois, car trop peu nombreux et très coûteux pour l’État. En France, il y a 30 000 enfants à la rue et les situations de déscolarisation se multiplient. Et la dernière mesure du gouvernement préconise la mise à disposition d’hébergements d’urgence à moins 5 degrés !
Les plus mal lotis sont les plus démunis : les Roms, les immigréEs, les femmes, toutes celles et ceux qui en sont en « fin de course ». Quels que soient les gouvernements, les Roms subissent un traitement indigne, une véritable incitation au racisme, une stigmatisation systématique. Ils et elles font l’unanimité contre eux, jusqu’aux plus démunis, jusqu’aux enfants...
La société est en panne de parler, de faire, avec les plus démunis. Les populations ont peur de la misère, peur de tout : on n’entend plus rien de cette détresse.
Dans ces situations de détresse, quelles sont les résistances ?
Les résistances sont à reconstruire, à construire. Aujourd’hui, les gens sont seuls. On fabrique l’isolement par la suppression des lieux collectifs : Pôle emploi, la CAF, accueil d’urgence, les centres de Sécu, etc. Et donc, ce n’est pas à la mode de mettre en commun, de s’organiser. Il faut retrouver des formes de solidarité concrète qui aident vraiment les gens : à manger, à trouver un logement, un boulot.
Personne ne parle de la détresse sociale, elle est absente des discours politiques. Qui parle du mal-logement ? De celles et ceux qui ne mange pas à leur faim ? Il y a une rupture du contrat social.
Plus de 15 % de la population renonce à des soins médicaux pour raisons financières. Avec des proportions semblables concernant l’accès aux droits sociaux par méconnaissance et difficultés culturelles. Il existe même un organisme gouvernemental chargé d’étudier ces questions : l’Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore)...
Une note d’optimisme ?
Pas beaucoup d’optimisme concernant la situation d’aujourd’hui. L’optimisme se trouve dans notre capacité à impulser le retour vers le collectif, à aider à trouver des solutions concrètes. Un espoir fondé sur le fait qu’il existe des militantEs associatifs, syndicalistes, politiques, qui n’ont pas renoncé à combattre les inégalités, l’exploitation, la misère. Et sur le fait que les personnes concernées vont prendre leurs affaires en main.
Propos recueillis par Robert Pelletier
Pour contacter l’Apeis : www.apeis.org