Réponse aux sophistes
Stathis Kouvélakis
Deux sophismes, ou plutôt deux sophismes et demi, circulent ces derniers temps de la part de celles et ceux qui refusent de voir la réalité en face et de prendre la mesure du recul auquel Syriza a été contraint, ainsi que de ces conséquences possibles. Et je dis bien « contraint », car enfermé dans une stratégie erronée ; je ne dis pas « trahison » ou « reniement », qui sont des termes moralisants et fort peu utiles pour comprendre les processus politiques.
Premier sophisme : Syriza n’avait « pas de mandat de sortir de l’euro ». S’il était sur cette position, il n’aurait pas gagné les élections. Dit sous cette forme le raisonnement est absurde. Certes, il n’avait pas de « mandat de sortir de l’euro ». Mais il n’avait certainement pas de mandat d’abandonner l’essentiel de son programme pour rester dans l’euro ! Et il n’y a aucun doute que s’il s’était présenté aux électeurs en disant « voilà mon programme, mais si on voit que son application n’est pas compatible avec le maintien dans l’euro alors oubliοns-le », il n’aurait obtenu le moindre succès électoral. Et pour cause : le maintient dans l’euro A TOUT PRIX est exactement l’argument de base des partis pro-Mémorandum qui ont gouverné la Grèce pendant toutes ces années. Et Syriza, s’il n’avait jamais clarifié sa position sur l’euro avait toujours refusé la logique de « l’euro à tout prix ».
Rappelons sur ce point que, contrairement à ce que pensent la plupart des commentateurs, les textes programmatiques de Syriza n’excluent ni la sortie de l’euro en tant que conséquence imposée par le refus des Européens ni le défaut de paiement sur la dette, mais il est vrai que ces derniers temps ces textes avaient été quelque mis mis au placard.
Variante du premier sophisme : Syriza avait un double mandat : rompre avec l’austérité ET rester dans l’euro. Cela sonne plus rationnel que le précédent, mais relève néanmoins du sophisme. Car on fait comme si les deux termes du mandat avaient le même poids et qu’il est donc politiquement légitime, s’il faut choisir (et il fait bien choisir, tout le problème est là), de sacrifier immanquablement le premier terme (l’euro) au détriment du second (la rupture avec l’austérité). Et cela sans que le mandat en question soit trahi ! Et pourquoi ne pourrait-on pas renverser le raisonnement en disant : « comme je me rends compte que les deux sont incompatibles, je choisis le premier volet, car au fond c’est pour cette raison que les Grecs ont voté pour un parti de la gauche radicale ». De donner donc une préférence pour la rupture et non pour la « stabilité » à l’intérieur le cadre existant, ce qui, on peut du moins le penser, paraît plus conforme à la mission d’un parti de la gauche radicale, qui se réfère au « socialisme » comme à son « but stratégique » (même si ce n’est bien sûr pas sur l’objectif du socialisme qu’il a gagné les élections).
Troisième sophisme, celui d’Etienne Balibar et de Sandro Mezzadra qui, de ce qui s’est passé, et après avoir ironisé sur la « gauche de Syriza » qui parlerait de « reniement » (personne bien entendu n’a jamais utilisé ces termes dans la gauche de Syriza, mais passons...), tirent la conclusion que cela montre « qu’une politique de liberté et d’égalité ne se construira pas en Europe sur la simple affirmation de la souveraineté nationale ». L’essentiel selon eux serait d’avoir gagné du temps, au prix certes de concessions (avec la référence obligée à Lénine pour garantir le radicalisme du propos), et de permettre d’autres victoires politiques (ils mentionnent l’Espagne) et le déploiement de mobilisations sur le terrain des mouvements sociaux, de préférence « transnationaux » (type Blockupy).
Ici encore on nage en plein sophisme, d’une pseudo-naïveté confondante mais après tout logique de la part d’ardents défenseur du « projet européen » (certes dans une « bonne version ») tels que ces deux auteurs. Car bien sûr les rythmes des forces politiques et des mouvements sociaux auxquels ils se réfèrent ne sont pas synchrones. D’ici l’été, le gouvernement Syriza sera confronté à des échéances plus que pressantes et on ne voit pas en quoi le succès d’une manifestation à Francfort ou un possible succès de Podemos aux législatives de novembre pourrait d’ici là modifier la situation en sa faveur. Ce décalage entre rythmes temporels est l’une des modalités sous lesquelles se présente aux acteurs de la lutte politique le caractère stratégique du niveau national : il est le terrain où se condense de façon décisive le rapport de forces entre les classes.
Ce que Balibar et Mezzadra sous-estiment gravement par ailleurs, c’est l’effet de démobilisation que ne manqueront pas d’avoir, au niveau grec interne et au niveau européen, la perception (qui s’imposera terme à tous malgré le battage qu’essaient d’organiser les défenseurs à courte vue du gouvernement grec) d’une Grèce et d’un gouvernement Syriza contraints de plier l’échine devant les diktats austéritaires de l’UE. Déjà en Grèce le climat de mobilisation et confiance retrouvée des premières semaines après les élections est loin derrière. Ce sont le désarroi et une certaine confusion qui dominent actuellement. Bien sûr les mobilisations peuvent reprendre mais d’une part elles seront cette fois dirigées contre les choix gouvernementaux et, de l’autre, elles ne peuvent surgir « sur commande ».
Conditionner un choix politique sur l’émergence de mouvements est plus qu’hasardeux. C’est une manière de dire qu’il ne sera pas tenu, du fait de leur absence ou de leur insuffisance. En réalité, c’est en sens inverse qu’il s’agit de procéder. On assume un choix de rupture, et c’est cela qui stimule la mobilisation, laquelle possède ou acquiert sa propre autonomie. C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé en Grèce lors de la phase de « confrontation » entre le gouvernement et l’UE, entre le 5 et le 20 février, lorsque des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue, de façon largement spontanée et en dehors des cadres partidaires.
Par ailleurs, l’argument du « temps gagné » relèvent en l’occurrence de l’illusion. Pendant ces quatre mois de supposé « répit », Syriza sera en réalité obligé de se mouvoir dans le cadre actuel, donc de le consolider en mettant en œuvre une bonne part de ce que la Troïka (relookée en « Institutions ») exige, et en « reportant » l’application des mesures-phares de son programme, celles qui lui auraient justement permis de « faire la différence » et de cimenter l’alliance sociale qui l’a porté au pouvoir. Ce « temps gagné » risque fort en effet de s’avérer comme du « temps perdu », qui déstablisera la base de Syriza tout en permettant aux adversaires (notamment à l’extrême-droite) de regrouper leurs forces et de se présenter comme les seuls partisans d’une « vraie rupture avec le système ».
Relevons également que, malgré le dégoût qu’inspire toute référence nationale à des mordus de l’européisme comme Balibar et Mezzadra, que les succès politiques auxquelles eux-mêmes se réfèrent, ceux de Syriza ou de Podemos, sont non seulement des victoires dans le cadre national, qui ne modifient le rapport de forces que parce qu’elles permettent à des forces politiques de gauche radicale d’accéder aux leviers d’un Etat national, mais aussi que ces succès se sont pour une part déterminante construits sur la revendication de la souveraineté nationale, dans un sens démocratique, populaire, non-nationaliste, et ouvert sur autrui. Le discours « national-populaire », et les références au « patriotisme » abondent, de façon parfaitement assumée dans les discours de Tsipras et d’Igglesias, comme abondent les drapeaux nationaux (grec ou républicain dans le cas de l’Espagne, sans mentionner ceux des nationalités de l’Etat espagnol dans son ensemble) parmi les foules et les mouvements « autonomes » (pour reprendre le terme de Mezzadra et Balibar) qui remplissent les rues et les places de ces pays.
Plus que tout autre élément, cela montre que le référent national est, tout particulièrement dans les pays dominés de la périphérie européenne, un terrain de luttes que dans des pays comme l’Espagne ou la Grèce des forces progressistes ont réussi à hégémoniser, pour un faire l’un des moteurs les plus puissants de leur succès. C’est sur cette base que peut se construire un véritable internationalisme, et non sur le discours creux, entièrement déconnecté des réalités concrètes de la lutte politique, d’un niveau censée être d’emblée et sans médiation « européen » ou « transnational ».
Une dernière chose enfin pour conclure : il y a bien un élément de vérité dans les deux premiers sophismes, quant au « mandat » pour la sortie de l’euro. Cet élément est qu’il y avait bien une contradiction dans l’approche dominante de Syriza qui éclate maintenant au grand jour. L’idée d’une rupture avec l’austérité et avec le fardeau de la dette dans le cadre européen actuel a été mise en échec de façon on ne peut plus claire.
Dans un cas pareil, il est vital de tenir le langage de la sincérité et de l’honnêteté et de commencer par admettre qu’il y a échec, donc besoin de rediscuter de la stratégie la plus adaptée pour tenir ses engagements et sortir le pays de l’ornière tout en envoyant un message de combat à tou-te-s ceux/celles, et ils sont fort nombreux/ses, qui avaient misé sur « l’espoir grec » et qui refusent, à juste titre, de s’avouer aujourd’hui vaincu-e-s.
Stathis Kouvélakis, Londres, 25 février 2015
Syriza gagne du temps et de l’espace
Etienne BALIBAR, Sandro MEZZADRA
TRIBUNE. Est-il donc vrai que, comme le proclament les gros titres de plusieurs journaux, Athènes a cédé devant les exigences de l’Eurogroupe (La Repubblica) et fait le premier pas vers la restauration de la politique d’austérité (The Guardian) ? A en croire certains leaders de la fraction de gauche de Syriza, le courage n’aurait pas tenu bien longtemps et le « reniement » aurait déjà commencé…
Il est un peu tôt pour porter un jugement sur les accords qui ont été passés à la réunion du conseil de l’Eurogroupe. Ce n’est que dans les prochains jours que seront publiés les détails techniques et qu’apparaîtra toute leur signification politique.
Cependant, sans attendre, nous proposerons ici une autre méthode pour analyser la confrontation entre le gouvernement grec et les institutions européennes, qui vient de se traduire à la fois par des compromis de la part du premier et par l’esquisse d’une fissure au sein des secondes. A quels critères allons-nous mesurer l’action de Tsipras et de Varoufakis, pour juger de son efficacité et de sa justesse ?
Redisons-le d’emblée, le conflit ouvert par l’arrivée de Syriza au pouvoir survient dans un moment de crise aiguë pour l’Europe. Les guerres qui se déchaînent aux frontières de l’Union, à l’Est comme au Sud et au Sud-Est, ou la succession des hécatombes de migrants noyés en Méditerranée signalent quelque chose comme une décomposition de l’espace européen, mais il y a d’autres aspects. En quelques années la récession les a dramatiquement multipliés. Des forces politiques plus ou moins racistes et néofascistes s’en emparent d’un bout à l’autre du continent. Dans ces conditions la victoire électorale de Syriza et la montée de Podemos en Espagne apparaissent comme une occasion unique de réinventer une politique de gauche, visant à l’égalité et à la liberté, au niveau de l’Europe entière.
Ne l’oublions pas non plus, ce qui sous-tend ces possibles, ce sont de formidables luttes de masse contre l’austérité, durant depuis des années en Grèce aussi bien qu’en Espagne. Mais ces luttes, en même temps qu’elles s’étendaient « horizontalement », se heurtaient à des limites verticales tout aussi formidables : la domination des banques et des institutions financières au sein du capitalisme contemporain, la nouvelle distribution du pouvoir politique qui s’est mise en place à la faveur de la crise. Ce qu’il y a quelques années nous avions appelé une « révolution par en haut » et dont la Troïka était à la fois le symbole et l’instrument [1].
C’est à ces limites que Syriza s’est heurtée, à peine avait-elle réussi à implanter sur le terrain un axe de pouvoir « vertical », en faisant résonner le refus de l’austérité jusque dans les palais européens. Aussitôt, elle a dû faire face au régime de pouvoir existant en Europe et subir toute la violence du capital financier. Il serait naïf de croire que le gouvernement grec puisse à lui seul ébranler ces limites. Même un pays pesant beaucoup plus lourd que la Grèce aux points de vue démographique et économique n’en aurait pas eu les moyens. S’il était besoin, ce qui vient de se passer démontre à nouveau qu’une politique de liberté et d’égalité ne se construira pas en Europe sur la simple affirmation de la souveraineté nationale.
Et pourtant les « limites » dont nous parlons ici apparaissent désormais sous un jour nouveau, ainsi que la possibilité de les faire sauter. Les luttes et les mouvements de protestation en avaient fait ressortir le caractère odieux, mais la victoire de Syriza et l’ascension de Podemos, puis l’action du gouvernement grec, commencent à dessiner une stratégie. Ce n’est pas à nous qu’on apprendra qu’un résultat électoral ne suffit pas, et d’ailleurs Alexis Tsipras lui-même n’en a jamais fait mystère. Il faut que s’ouvre un processus politique, et pour cela que s’affirme et se structure un nouveau rapport de forces sociales en Europe.
Lénine a dit un jour à peu près qu’il y a des situations où il faut savoir céder de l’espace pour gagner du temps. L’adaptation de ce principe aux « accords » de vendredi dernier (aléatoire, comme toujours en politique) nous conduit à risquer le pari suivant : c’est pour gagner du temps et de l’espace que le gouvernement grec a « cédé » en effet quelque chose. C’est pour permettre à la chance qui vient de surgir en Europe de tenir bon, dans l’attente de prochaines échéances (dont les élections espagnoles), et jusqu’à ce que les acteurs de la politique nouvelle aient réussi à « conquérir » d’autres espaces.
Mais pour que le processus se développe, il devra dans les mois à venir se déployer à de multiples niveaux : il faut des luttes sociales et des initiatives politiques, de nouveaux comportements quotidiens et un autre état d’esprit des populations, des actions de gouvernement et des contre-pouvoirs citoyens qui affirment leur autonomie. Au moment où nous reconnaissons l’importance décisive de ce qu’accomplit Syriza et que préfigure Podemos sur le terrain institutionnel, nous devons donc aussi en articuler les limites.
Dans un article extraordinaire que vient de publier le Guardian de Londres, le ministre Varoufakis montre qu’il en est lui-même parfaitement conscient. [2] Fondamentalement, nous dit-il, ce qu’un gouvernement peut faire aujourd’hui, c’est de chercher à « sauver le capitalisme européen de sa tendance à l’autodestruction », qui menace les peuples et ouvre la porte au fascisme. C’est de faire reculer la violence de l’austérité et de la crise, pour ouvrir des espaces de conservation et de coopération, où la vie des travailleurs soit un peu moins « solitaire, misérable, violente, et brève », pour le dire dans les vieux mots de Hobbes. Pas plus, mais pas moins.
Interprétons à notre tour le discours de Varoufakis. Le dépassement du capitalisme est par définition hors de portée de tout gouvernement, que ce soit en Grèce ou ailleurs. Par-delà le sauvetage en urgence du capitalisme européen de sa catastrophe qui serait aussi la nôtre, une telle perspective se situe à l’horizon de luttes sociales et politiques prolongées qui ne sauraient s’enfermer dans un périmètre institutionnel. Mais il se trouve que c’est aussi sur cet autre « continent » que doit se construire matériellement dès aujourd’hui la force collective dont dépendent les avancées des prochains mois ou des prochaines années. Et le terrain que doit investir une telle force ne peut être que l’Europe elle-même, en vue d’une rupture constituante avec le cours actuel de son histoire. D’où l’importance de mobilisations comme celle que le mouvement Blockupy convoque pour l’inauguration du nouveau siège de la BCE, le 18 mars à Francfort. C’est une occasion de faire entendre la voix du peuple européen en soutenant l’action du gouvernement grec. Par-delà l’indispensable dénonciation du capital financier et du régime postdémocratique (Habermas), c’est aussi l’occasion d’éprouver l’avancement des forces alternatives, à défaut desquelles l’action même des gouvernements et partis qui se battent contre l’austérité sera condamnée à l’impuissance.
Etienne BALIBAR philosophe, université Paris-Ouest Nanterre et Sandro MEZZADRA, philosophe, Université de Bologne
* http://www.liberation.fr/monde/2015/02/23/syriza-gagne-du-temps-et-de-l-espace_1208539
La Grèce sur le fil du rasoir
PIERRE KHALFA
Il me paraît trop tôt pour porter un jugement définitif sur l’accord conclu vendredi entre la Grèce et l’Union européenne puisque c’est lundi que le gouvernement grec fera connaître la liste des réformes qu’il propose. C’est à ce moment là que le texte signé prendra toute sa signification et c’est à ce moment que nous verrons si la politique d’austérité continue ou pas. De ce point de vue, le texte du communiqué est ouvert et indique que le processus de réforme a pour but, notamment, de « permettre la justice sociale » (« enhancing social fairness »). L’affrontement n’est donc pas terminé.
Sur le reste, le gouvernement grec a été effectivement obligé de céder sur un certain nombre de points majeurs. Le plus important, de mon point vue, est le fait que soit maintenu, pour permettre le remboursement intégral de la dette que le gouvernement grec a accepté, l’objectif d’un excédent primaire de 4,5 % du PIB en 2016, même si l’objectif de 2015 (3 %) pourra être réévalué en fonction des circonstances économiques. Se fixer comme objectif un excédent primaire de cet ampleur ne peut qu’entraîner des politiques d’austérité drastique. On voit mal le gouvernement grec s’engager dans cette voie. La prochaine échéance va être le remboursement à l’été de 6,7 milliards d’euros à la BCE, qui fera l’objet de nouvelles négociations. La Grèce va vivre sous la menace permanente des « institutions », le nouveau nom de la Troïka, et le bras de fer va continuer.
Au-delà, la question est de savoir ce qu’il aurait été possible de faire d’autre. L’objectif du gouvernement allemand et de la BCE, soutenus plus ou moins fortement par les autres gouvernements, a été d’enfermer la Grèce dans le dilemme « capitulation ou sortie de l’euro ». Le gouvernement grec a tenté de sortir de ce dilemme en se battant pour un compromis. Or la hauteur du compromis dépend du rapport de forces. Le gouvernement grec n’a pas réussi à diviser les autres gouvernements et la mobilisation populaire a été très faible. Alors que les institutions et les gouvernements européens avaient clairement compris l’enjeu de la situation - un succès de Syriza remettrait en cause 30 ans de néolibéralisme en Europe -, le soutien politique à Syriza n’a pas été à la hauteur et la Grèce est restée dramatiquement seule. Le cas de la France est d’ailleurs significatif. Alors que l’on aurait pu penser que le mouvement syndical, au moins pour ses composantes qui refusent l’austérité, soit à la pointe du soutien à la Grèce, son action a été quasi inexistante : la CGT et la FSU ont été aux abonnés absents et Solidaires ne s’est engagé qu’à reculons.
La question de la sortie de l’euro se posait évidemment. Mais celle-ci aurait été très couteuse économiquement et politiquement. Economiquement, la dévaluation importante de la monnaie aurait entraîné un appauvrissement massif des grecs et aurait été précédée par une fuite des capitaux (celle-ci a d’ailleurs commencé), la drachme aurait été soumise à la spéculation financière. Une éventuelle annulation de la dette aurait certes donné de l’air à la Grèce, mais la contrepartie en aurait été une impossibilité de se financer à l’extérieur. Les bénéfices attendus d’une sortie de l’euro sont donc très aléatoires.
Mais la sortie de l’euro aurait été aussi politiquement coûteuse. Syriza s’est fait élire sur la promesse de ne pas sortir de l’euro. Comment renier une telle promesse au bout de quelques semaines ? Une sortie aurait donc dû être validée par référendum par le peuple grec avec toutes les incertitudes que cela comporte. Mais c’est au niveau européen que le prix à payer aurait été le plus important. Une sortie de l’euro, forcement chaotique, aurait servi de contre-exemple, aurait renforcé l’idée qu’il n’y a pas d’alternative à la situation actuelle et aurait affaibli considérablement Podemos.
Il n’y avait donc pas de bon choix. Le gouvernement grec a-t-il eu raison de faire celui-ci ? L’avenir nous le dira. La rupture a eu lieu, comme cela a été souvent le cas dans l’histoire passée, dans le pays qui avait le moins de moyens politiques et économiques de l’assumer. La perspective d’une sortie de l’euro de la Grèce pouvait être assumée par les institutions européennes au vu du faible poids économique du pays et du fait que l’essentiel de la dette grecque est aujourd’hui dans les mains d’institutions publiques. Certes cela remettait en cause le dogme de l’irréversibilité de l’euro avec les conséquences imprévisibles que cela aurait pu avoir notamment en matière de spéculation sur la dette publique (quel pays après la Grèce ?). Mais ils pouvait penser maitriser cela avec le programme massif d’achat de titres de la BCE.
L’histoire n’est pas encore terminée et encore moins écrite. Les institutions européennes n’ont pas renoncé à étrangler la Grèce et celle-ci n’a pas encore perdu. Dans cette situation, le soutien à la Grèce est aujourd’hui le combat essentiel pour tous les progressistes. Car c’est notre avenir qui s’y joue.
Pierre Khalfa, 21 FÉVRIER 2015
* http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-khalfa/210215/la-grece-sur-le-fil-du-rasoir