Les musulmans ont toujours su gérer, au cours de l’histoire, un espace politique qui n’était pas sacré. C’est donc aussi à partir de ces pratiques multiples léguées par l’histoire des empires et royaumes musulmans qu’il convient d’étudier le rapport actuel des musulmans à la politique et au sacré.
Cette approche historique est rendue d’autant plus nécessaire que les débats sur l’islam, en France et en Europe, sont dominés par des discours contradictoires qui ont en commun de nier toute historicité aux questions qui se posent. Les sociétés européennes placent les musulmans d’Europe dans un cadre principalement caractérisé par la tension entre le pluralisme de religions « confessionnalisées »(1), dans le cadre de la laïcité ou de la sécularisation, et l’autonomie de l’ « individu citoyen ». Le discours qui refuse a priori toute capacité d’intégration de l’islam dans les systèmes de valeurs des pays d’accueil européens est tout aussi idéologique que le discours contraire selon lequel l’islam a « vocation naturelle » à s’intégrer dans ces systèmes. La référence fréquente à la vertu intégratrice de l’ « individu citoyen » dans le cadre de « pactes laïques » occulte en particulier le rôle politique joué par l’islam au cours du siècle, en particulier de l’islam réformiste(2). Celui-ci s’est imposé comme un standard de modernité pour l’ensemble des sociétés à majorité musulmane. Dans la plupart des pays arabes, un puissant processus sociétal de réarmement identitaire entend disputer aux valeurs de l’Occident leur suprématie et leur universalisme. Il s’agit bien d’un clivage colonial, puis post-colonial, dans lequel l’islam joue un rôle fédérateur d’intérêts souvent divergents. Ce clivage, qui séparait la société européenne des musulmans en Algérie française, passe aujourd’hui au sein même de la société française.
L’avenir de l’islam en Europe ne peut être séparé de celui de l’islam dans les pays à majorité musulmane. Il dépend en grande partie d’enjeux qui sont extérieurs à l’Europe. C’est une première constatation qui implique que personne, parmi les acteurs politiques ou religieux en France et en Europe, ne dispose des cartes lui permettant de se poser en tant qu’acteur global indépendant et de prédire ce qui va arriver.
Il ne s’agit pas seulement de la capacité de nouvelles autorités religieuses musulmanes européennes à émerger de façon indépendante de celles des pays d’origine. Il s’agit aussi de la capacité des musulmans d’Europe à s’affranchir du clivage colonial et post-colonial déjà évoqué - un clivage dont le réformisme musulman est devenu la manifestation privilégiée. C’est là que semble résider le véritable enjeu de l’avenir de l’islam européen, plus que dans la question théorique (et sortie de tout contexte historique) du rapport entre islam et laïcité.
Avec les pays arabes qui forment l’essentiel de ce qu’on appelle le Proche et le Moyen-Orient, on considérera ici des espaces unifiés par la tradition ottomane. Même si cette région n’est pas celle qui fournit les plus gros contingents de l’immigration en Europe, elle est symboliquement la plus importante. Considérée comme le berceau et le cœur du monde musulman, même si son poids démographique y est marginal, elle continue à abriter d’importantes autorités religieuses qui sont des références pour l’ensemble des musulmans.
L’espace politique dans le système ottoman
Le système politique ottoman a reposé sur un équilibre assez stable jusqu’au 19e siècle. Il s’agissait d’un système pyramidal avec au sommet le sultan, le détenteur du pouvoir politique, puis les docteurs de la Loi, dont le premier, le shaykhulislâm, légitimait le sultan d’un point de vue religieux, à condition qu’il respecte les ulémas et qu’il garantisse l’unité du pays, et, en troisième lieu, les tenants du ta’wîl mystique (l’exégèse allégorique et symbolique des textes sacrés), représentés par les confréries soufies. Le mot « soufi » désigne l’ensemble des courants de la mystique musulmane, mais, avec le temps, il a fini par se confondre avec la piété populaire. Ainsi, la sharî’a et la mystique, plus ou moins imprégnée de piété populaire, deux importantes sphères de l’islam, trouvaient là un mode d’expression public. Jusqu’à la fin du 19e siècle, on ne se demandait pas si le soufisme était ou non en conformité avec l’islam « orthodoxe » et il n’existait pas de séparation entre l’islam des ulémas et celui des cheikhs de confréries soufies. La voie soufie était la voie obligée des ulémas(3). L’ijtihâd, l’effort raisonné d’interprétation de la religion, et la falsafa, la philosophie d’origine hellénistique, étaient en revanche sinon interdits, du moins suspects(4). L’Etat ottoman était le garant d’un pluralisme islamique limité, auquel il faut ajouter la reconnaissance de certaines communautés dans le cadre des millet-s (l’empire ottoman reconnaissait les religions, mais pas les ethnies). Porte-drapeau de l’islam sunnite, l’empire ottoman mettait en pratique une conception de la religion dominée par l’Etat, qui semble apparenter le pouvoir ottoman au césaro-papisme orthodoxe de la Russie.
L’absence d’illusion sur la légitimité proprement religieuse du souverain semble cependant caractériser davantage la conception ottomane du pouvoir que celle attachée à certains Tsars. La légitimité religieuse du sultan était en fait tirée de sa capacité à assumer le pouvoir dans un cadre déjà établi, à protéger le bien public (maslaha) et le consensus (ijmâ’), avec une aversion toute sunnite pour l’action violente et/ou minoritaire (la fitna). Ce système a permis jusqu’au 19e siècle un relatif équilibre entre pouvoirs politique et religieux dans l’empire ottoman. La légitimité du sultan et celle des ulémas semblaient complémentaires. Ce rapport d’utilité réciproque empêchait que l’une des deux légitimités ne prenne durablement le dessus aux dépens de l’autre.
Les souverains ottomans avaient fini par ne même plus penser à s’affubler du titre de calife. La résurrection de leur fonction califale, durant les deux derniers siècles de l’empire, n’a pas fondamentalement modifié la conception ottomane du pouvoir précédemment décrite(5). Mais elle a commencé à faire pencher la balance en faveur du sultan-calife : le transfert d’une partie de la légitimité religieuse sur la personne du souverain signifiait l’augmentation de son pouvoir sur les ulémas.
C’est la nécessité de réorganiser l’empire et en particulier ses forces armées, face à la menace européenne, qui est à l’origine de la rupture définitive de cet équilibre devenu instable. En 1826, la révolte et l’écrasement des Janissaires, corps militaire d’élite qui avait parfois été utilisé par les ulémas contre certains sultans, préludaient à la constitution de la nouvelle armée moderne et à la centralisation de l’empire. Dans certains des pays arabes du Moyen-Orient, les Mamlûks, un autre corps militaire composé d’anciens esclaves, s’étaient transformés en élite dirigeante et en aristocratie foncière locale. Leur élimination (1811 en Egypte, 1836 en Irak) renforça encore l’autorité du pouvoir politique, qu’il s’agisse du sultan d’Istanbul ou du vice-roi d’Egypte Muhammad Ali, qui gouvernait à ses débuts la vallée du Nil au nom du sultan d’Istanbul. Ces événements consacrèrent la prééminence du sultan et la subordination des ulémas au pouvoir politique.
Durant l’ère des réformes, (les Tanzîmât, décrétées par l’ordonnance de Gülhâne en 1939), les ulémas furent de plus en plus assujettis au pouvoir politique, au point de devenir des quasi-fonctionnaires. D’inspiration occidentale, les Tanzîmât proclamaient, pour la première fois, l’égalité de tous devant l’Etat, musulmans ou non-musulmans. Il ne s’agissait pas tant de se conformer au principe d’égalité que de contraindre les non-musulmans à servir dans l’armée, désormais basée sur la conscription obligatoire. Mais les réformes des forces armées, puis de la justice et de l’enseignement, eurent comme effets secondaires d’inscrire de façon croissante l’action politique en dehors du religieux. Et à la fin du 19e siècle, la sharî’a, la loi religieuse, coexistait déjà avec le qânûn, la législation impériale, et avec la Medjelle, code civil ottoman composite élaboré de 1869 à 1876, dont certaines dispositions étaient directement inspirées des lois européennes.
La revification de la fonction califale trouva son apogée avec le panislamisme du sultan Abdülhamîd II (1876-1908). Le panislamisme ne remettait pas en cause la prééminence du politique sur la religion. Bien au contraire, ulémas et cheikhs de confréries soufies se virent transformés en propagandistes de l’Etat ottoman. Le pouvoir politique, représenté par l’Etat et le sultan, avait définitivement assis son autorité sur les représentants de la religion. Ceci est d’autant plus vrai que l’ère des réformes avait déjà bien ancré l’idée d’une légitimation du pouvoir par la société (le premier parlement ottoman date de 1877). C’est désormais le pouvoir politique, marqué par une concurrence de plus en plus affirmée entre la légitimité du sultan et un réformisme militaire constitutionnaliste, qui régente la religion, une caractéristique tardive du pouvoir ottoman dont se souviendront ceux qui lui succéderont. Dès lors, le panislamisme, comme le califat, n’apparaîtront que comme un moyen de mobilisation contre la menace européenne.
Effondrement du pouvoir islamique et choc de la colonisation
Si, face aux appétits coloniaux européens, le panislamisme pouvait mobiliser de nombreuses couches de la société et cimenter le corps social par le biais des ulémas et des confréries soufies, il s’accompagnait aussi d’un despotisme qui est resté attaché au nom du souverain qui en a été le promoteur. Abdülhamit II fut détrôné par les Jeunes-Turcs en 1908 au nom de la « liberté et de l’égalité entre citoyens ». Mais les unionistes (du nom du Comité Union et Progrès que s’étaient donné les Jeunes-Turcs) sont vite apparus comme des nationalistes turcs intolérants, animés du désir de turquifier les non-Turcs de l’empire. Un despotisme chassait l’autre. En instaurant de façon effective l’égalité entre tous les citoyens ottomans, les Jeunes-Turcs ont rompu le lien religieux qui unissait au sultan-calife d’Istanbul la grande majorité des musulmans de l’empire, qu’ils soient Arabes, les plus nombreux, Turcs ou Kurdes. Ils ont ainsi précipité la fin de l’empire ottoman, en favorisant en réaction l’émergence de forces opposées à la turquification forcée. Les puissances européennes guettaient le moindre signal de sécession parmi les peuples de l’empire. Elles se saisirent de l’occasion pour encourager le nationalisme arabe, prélude au démembrement de l’empire et à la colonisation, en quelques années, de la quasi-totalité de ses provinces arabes moyen-orientales par la Grande-Bretagne, la France et l’Italie. Ce désastre, le plus grand que le monde musulman ait connu, aboutit à la disparition du pouvoir musulman (le califat est aboli en 1924 par Ataturk). Le monde musulman était alors en état de choc, privé de l’institution qui symbolisait la continuité de la communauté islamique, à un moment où le colonialisme européen, de commercial et culturel, avait pris le visage de l’occupation militaire directe de la quasi-totalité des pays musulmans, depuis l’Inde jusqu’au Maroc, en passant par l’Iran et l’Egypte.
La colonisation et la laïcité : histoire d’un non-dit
L’histoire des idées laïques dans la plupart des pays musulmans est inséparable de l’aventure coloniale. Toutefois, la domination européenne dans les pays arabes du Moyen-Orient ne s’est pas faite au nom des idéaux laïques. Ainsi, le choc de la colonisation n’a pas été, sur le coup, associé à une laïcité que les puissances mandataires et d’occupation n’ont pas tenté d’exporter. Ce n’est que plus tard, à partir des années 1930, à un moment où la trahison des promesses des Alliés de permettre aux Arabes d’accéder à une complète indépendance était devenue le principal enjeu politique, qu’une prise de conscience s’opéra sur la nature des bouleversements vécus par les pays arabes depuis la Première Guerre mondiale(6). Le projet chérifien(7) n’avait accouché que de mini-Etats-nations aux frontières artificielles, tracées au terme d’accords laborieux entre la Grande-Bretagne et la France, dépourvus de toute légitimité et soumis à des mandats britanniques ou français, qui apparurent bien vite comme un simple paravent à une colonisation qui n’osait pas dire son nom. L’idée selon laquelle l’effondrement de l’empire ottoman et l’abolition du califat avaient permis la colonisation européenne commença à s’ancrer dans les sociétés et parmi certaines élites. Le mouvement des Frères musulmans, apparu en 1929 en Egypte, devint rapidement la première force politique du pays.
Si les puissances européennes n’exportèrent en pratique ni laïcité ni sécularisation, leur vision de l’islam était cependant empreinte des notions sécularisées des sociétés métropolitaines. L’arabisme, tel qu’il fut conçu dans le projet chérifien, était peut-être basé sur l’islam. Mais, dans le cadre des Etats-nations « modernes » inachevés, sous mandats européens et en l’absence d’une autorité religieuse reconnue comme légitime, il portait en lui le germe de la séparation du politique et du religieux. L’arabisme ne pouvait qu’évoluer vers des positions ethniques où la nation remplacerait la religion. L’islam a ainsi rapidement été considéré par les nouvelles élites arabes au pouvoir comme une simple catégorie culturelle du nationalisme arabe. C’est donc par un non-dit qu’un processus de sécularisation a pris place dans les pays arabes du Moyen-Orient : les politiques de la plupart des Etats arabes, les lois et les réformes des institutions religieuses ont toutes été dans le même sens. Elles manifestaient un nouvel ordre politique, basé sur un cadre étatique souvent issu de la colonisation et de plus en plus sécularisé. Ces Etats se sont presque tous ralliés aux systèmes juridiques des puissances coloniales. Tandis qu’en Turquie kémaliste s’était installée une laïcité autoritaire qui rima avec parti unique jusque dans les années 1950, les pays arabes vivaient une sécularisation rampante.
L’adoption dans les années 1950 de constitutions « modernes » par les Etats « révolutionnaires » post-coloniaux (Egypte, Syrie, Tunisie, Irak) s’accompagna, pour certains d’entre eux, de l’affirmation de l’Etat « laïc ». Le mouvement s’intensifia vers l’alignement sur les législations occidentales. Celles-ci sont devenues les modèles sur lesquels ont été calqués la plupart des constitutions et des système juridiques arabes actuels. Après une première fracture, marquée par la colonisation et la fin du califat, une seconde, non moins cruelle, s’affirmait, celle de sociétés soumises à des régimes répressifs se réclamant d’une forme de laïcité ou plus souvent engagés dans une sécularisation inavouée.
Les Etats arabes et l’héritage ottoman
De façon schématique, trois cas de figure se sont présentés dans le paysage étatique arabe à partir des années 1950. Les Etats basant leur légitimité de façon explicite sur la religion étaient l’exception. L’Arabie saoudite était le fruit d’un compromis local entre des forces tribales traditionnelles et l’islam réformiste dans sa version wahhabite. Le triomphe des idées réformistes aidant, la fonction de gardiens des lieux saints des souverains saoudiens, ainsi que la manne pétrolière permirent à ce compromis local de se présenter comme un modèle dans le monde musulman. L’Etat égyptien, qui partage avec l’Arabie saoudite le fait de ne pas être une création coloniale, a continué sous Nasser et Sadate à développer l’héritage de la tradition ottomane, avec la relation pyramidale Etat/ulémas/confréries soufies. Al-Azhar, l’institution qui forme et légitime les ulémas, ainsi que les confréries soufies, ont même été totalement intégrées à l’Etat(8). Les confréries ont besoin d’être arrimées à une orthodoxie, sans laquelle elles ne peuvent résister aux dérives de la piété populaire (divisions lors des successions à la fonction de cheikh de confrérie, mouvements messianiques, revendications de type « mahdiste », ou pratiques relevant de la sorcellerie). L’islam des ulémas, celui de la sharî’a, joue ce rôle d’amarre. Comme naguère l’Etat ottoman, l’Etat égyptien gère donc deux importantes sphères de l’islam : la piété populaire, source inépuisable d’énergie, qui continue à structurer la vie religieuse de la majorité de la population autour du culte de saints intercesseurs, et l’islam savant, celui de la sharî’a, au nom de laquelle ceux qui ont pour profession de parler au nom de l’islam trouve leur légitimité religieuse. L’Etat égyptien a ainsi poussé à son extrême l’inféodation traditionnelle des ulémas sunnites à l’Etat (une caractéristique de l’époque ottomane) jusqu’à en faire des fonctionnaires directement nommés et rétribués par l’Etat. Dans les deux cas (Al-Azhar et confréries soufies), l’institutionnalisation sous l’égide de l’Etat a été de pair avec la réforme. Depuis le 19e siècle, l’Etat égyptien se veut le principal promoteur de l’islam réformiste, standard de modernité dont il dispute aujourd’hui l’exclusivité aux islamistes. L’histoire des institutions d’enseignement de la religion montre que leur rencontre avec le réformisme musulman a profondément modernisé le système qui légitime les ulémas, sans pour autant modifier la base de leur pouvoir. Cependant, la fiction selon laquelle il n’existe pas de clergé en islam sunnite est mise en évidence par le processus qui a accompagné l’action de l’Etat : le Cheikh Al-Azhar est devenu le premier des ulémas sunnites, dont l’audience sert les intérêts de l’Etat égyptien bien au-delà des frontières du pays. Il s’agit bien d’un processus de cléricalisation sous l’égide de l’Etat. Le Cheikh Al-Azhar étant nommé par le président de la République arabe d’Egypte, l’Etat égyptien remplit une fonction religieuse directe. L’Egypte fournit ainsi le prototype d’un processus achevé de « nationalisation » de l’islam, suivie en cela par les autres pays arabes, dans le cadre étatique existant. La fonction de muftî de la république illustre bien le rôle de légitimation du pouvoir qui est celui de l’islam officiel dans ces pays. La conception ottomane du pouvoir a ainsi abouti à la subordination de la religion et des ulémas par l’Etat arabe moderne.
Créations coloniales à la légitimité encore faible, les Etats arabes du troisième groupe ont été marqués par une grande instabilité. Le cas de l’Irak est peut-être le plus éclairant. Ce pays, à majorité chiite, accueille sur son territoire quatre des villes saintes, ainsi qu’une part importante de la direction religieuse chiite. Les chiites ont, dans leur immense majorité, combattu le nouvel Etat sous mandat, dans lequel ils voyaient un instrument visant à légitimer la domination britannique. La « question irakienne » actuelle a en grande partie son origine dans la défaite militaire du mouvement religieux chiite face aux forces britanniques et dans la mise des élites arabes sunnites au service de la puissance mandataire(9). On peut la définir comme un rapport de domination confessionnelle des sunnites sur les chiites et ethnique des Arabes sur les Kurdes, occulté en tant que tel par un système politique d’apparence moderne et de plus en plus sécularisé. Retardé par la manne pétrolière, qui a donné au pouvoir en place une marge de manœuvre inattendue, le retour de la « question irakienne » a consacré la faillite du système politique mis en place en 1920. On ne comprend pas comment un régime tel que celui de Saddam Hussein peut exister aujourd’hui si on ne le relie pas à une « question » et à un système qui existait bien avant son avènement en 1968. L’Etat irakien apparaît comme le maillon le plus faible du système étatique arabe (10). Une faiblesse que seul lui dispute, au Maghreb, l’Etat algérien.
A l’exception relative de l’Arabie saoudite, tous les Etats arabes du Moyen-Orient, qu’ils soient « révolutionnaires » ou monarchies modernistes, se sont engagés dans un processus de sécularisation croissante, mené conjointement avec une « nationalisation » plus ou moins achevée de l’islam. Ce sont des militaires qui constituèrent le plus souvent les élites des régimes post-coloniaux, « laïques » ou non, qui se mirent en place au nom de l’indépendance nationale. Inspirés par les Jeunes-Turcs, puis par l’expérience kémaliste, ils se voulaient « modernes », nationalistes, parfois socialistes et « laïques » ou laïcisants. Ces élites ont monopolisé le pouvoir à un moment où la société apparaissait comme un acteur à part entière sur la scène politique, d’abord mue par le nationalisme arabe et par des revendications sociales, puis par l’islamisme, au fur et à mesure que les idéaux nationalistes arabes et communistes s’effaçaient.
L’affrontement entre l’armée et les islamistes
Il existe aujourd’hui dans les pays de tradition ottomane une configuration assez généralisée : l’affrontement entre l’armée et les islamistes est devenu la principale manifestation d’enjeux par ailleurs divers, que ce soit en Algérie, en Tunisie, en Egypte, en Turquie, en Syrie, en Irak ou en Libye. Vecteur privilégié des idées occidentales, porteuse de conceptions modernes, souvent laïques ou laïcisantes, l’armée est en guerre avec des mouvements islamistes qui seraient probablement majoritaires ou en position d’arbitres dans la plupart des pays du Moyen-Orient s’il y avait des élections libres.
Aucune société arabe du Moyen-Orient n’est restée à l’écart de ce face-à-face souvent sanglant : la Syrie a connu dans les années 70 et 80 une répression féroce contre les Frères musulmans, dont le sommet a été la destruction en 1982 de la ville historique de Hama, l’Irak s’est engagé dans une guerre de huit ans avec l’Iran, prolongement d’une guerre intérieure avec le mouvement religieux chiite renaissant, l’Egypte vit toujours sous état d’urgence avec des lois d’exception datant de Nasser et de la guerre que le raïs mena contre les Frères musulmans. Les régimes non-laïques ne sont pas épargnés : l’Arabie saoudite connaît une opposition islamiste de plus en plus affirmée au sein même de son establishment.
Ce face-à-face entre les Etats, les élites au pouvoir et l’armée, d’un côté, les mouvements islamistes, de l’autre, exprime d’abord une formidable aspiration des sociétés à une forme de modernité et à se voir représentées au niveau du pouvoir. L’islamisation « par le bas » est la réponse de sociétés privées de participation à la vie politique, économique et sociale, dans des pays où des élites, souvent militaires ou liées à l’armée et se réclamant peu ou prou d’un nationalisme arabe laïque ou non, monopolisent le pouvoir depuis l’indépendance. Ceci se traduit par une quête de « davantage d’islam » en provenance de toutes les classes sociales. Car, au-delà de l’émergence du mouvement islamiste, il y a partout un processus de « réislamisation », reconstruction identitaire qui se fait aux dépens de ce qui constituait les piliers de la société traditionnelle musulmane. La modernité occidentale étant hors de portée et jugée assassine de l’identité, c’est donc vers une modernité islamique que tendent des secteurs toujours plus importants de ces sociétés (ce que vivent très mal les minorités religieuses). L’Egypte l’illustre peut-être le mieux. Le processus de « réislamisation » y a souvent été occulté par la médiatisation de l’islam politique ou par les protestations des artistes et intellectuels qui en sont les victimes. L’islam réformiste, fortement teinté de fondamentalisme littéraliste, est aujourd’hui devenu un standard de modernité avec lequel aucun protagoniste ne veut paraître en reste : l’Etat égyptien, qui avait été le premier protagoniste de cet islam « moderne » et réformiste, dispute au mouvement islamiste le rôle de meilleur défenseur de la sharî’a, ce qui l’a poussé à une surenchère permanente dans la « réislamisation ». L’évolution récente de la société dans la partie sud du Yémen est aussi spectaculaire : dans ce qui fut la seule société arabe dirigée par un parti marxiste-léniniste, l’islam fédère aujourd’hui le refus du sud de se voir dominé par un nord, où un autre mouvement islamiste, représentant la société zaydite des hauts plateaux, est associé au pouvoir. Dans les territoires palestiniens occupés et autonomes, le Hamas et le Jihad islamique expriment aussi la volonté des Palestiniens de l’intérieur de ne pas laisser le monopole de leur représentation à l’OLP et aux Palestiniens de l’extérieur (11).
Ce mouvement général de « réislamisation » se fait dans des contextes politiques particuliers à chaque pays : expression de sociétés civiles naissantes, sa cible semble être d’abord les élites locales au pouvoir, jugées corrompues et illégitimes. Cependant, il est aussi une forme de réappropriation symbolique d’un passé islamique glorieux face à un Occident omniprésent, injuste et conquérant, auquel on dispute l’exclusivité de la modernité et de l’universalisme. Le soutien des pays occidentaux aux élites, discréditées et sans légitimité démocratique, qui sont au pouvoir dans la plupart des pays arabes, confère à ce mouvement sociétal une signification clairement politique anti-occidentale. Les ravages sociaux provoqués par les politiques d’ajustement, dictées par le FMI aux gouvernements arabes alliés de l’Occident, rassemblent ces derniers dans la même opprobre populaire. L’anti-occidentalisme se nourrit aussi de la politique des deux poids deux mesures des pays occidentaux dans la région, et d’abord par la nature du processus de paix avec Israël. Condamné unanimement par les opinions arabes sous sa forme actuelle, qui permet à Israël de violer les résolutions de l’ONU, de ne pas appliquer les accords conclus et d’intensifier la colonisation, il ne peut être poursuivi que grâce à des gouvernements et interlocuteurs arabes qu’aucune véritable sanction démocratique ne peut toucher. Au même moment, la société irakienne vit une véritable descente aux enfers qui paraît sans fin, après près de dix ans d’un régime de sanctions sans précédent imposé par les vainqueurs de la seconde guerre du Golfe, alors qu’aux yeux des opinions arabes, Baghdad s’est plié à toutes les exigences de l’ONU. Face à ce qui est ressenti comme un double standard des discours et de la pratique des pays occidentaux, beaucoup ont été convaincus de la duplicité occidentale qui est considérée comme le prolongement d’un passé colonial récent. Ainsi semble se faire le lien entre des enjeux locaux, régionaux et l’histoire au sens plus large. En ce sens, l’islamisme, qui est une des expressions politiques de cette « réislamisation », est l’héritier des principaux mouvements politiques arabes de ce siècle. Il tire sa légitimité du rôle joué par l’islam dans l’histoire moderne de ces pays, ainsi que dans le prestige des combats réformistes du début du siècle. Dans l’histoire plus récente, il semble faire la synthèse de courants politiques antagonistes, en réconciliant les exigences de réforme sociale, incarnées pendant des années par les partis communistes, et celles de l’identité, davantage portées par les mouvements nationalistes arabes et par les Frères musulmans.
La difficile intégration des islamistes au jeu politique :
L’un des principaux enjeux de la vie politique des pays arabes est aujourd’hui l’intégration des mouvements islamistes à la vie politique légale et leur transformation en partis politiques. Ceci signifie que ces mouvements renoncent à représenter l’umma musulmane dans son ensemble et qu’ils se considèrent désormais comme des partis politiques soumis à la légitimité du suffrage universel.
Ce choix fut celui retenu en Algérie et en Turquie : dans ces deux pays, le mouvement islamiste a joué le jeu de la démocratie et des élections, remportant une nette victoire. L’intervention de l’armée est venue mettre un terme brutal au processus d’intégration de l’islam politique, par un coup d’Etat en Algérie et par une sorte de pronunciamiento larvé en Turquie, au nom de la défense de la laïcité kémaliste. Ces deux échecs, en hypothéquant gravement tout consensus démocratique, pèsent lourdement sur la vie politique des pays arabes du Moyen-Orient. La politique des pays occidentaux, qui est d’excuser le plus souvent les limitations aux droits démocratiques quand les islamistes en sont les victimes, ou qui ferment les yeux sur la répression à leur encontre, est aussi devenue un obstacle à leur intégration au jeu politique.
Dans ce face-à-face entre élites au pouvoir et société, la plupart des Etats arabes ont opté pour la confrontation. Il existe, cependant, des expériences de multipartisme limité en Jordanie, au Yémen, au Koweit, au Liban et en Egypte. Dans certains pays comme la Jordanie, le Yémen, le Soudan, le Koweit et Qatar, les islamistes participent au pouvoir. Mais aucune de ces expériences n’a véritablement réussi à régler la question de leur représentation politique. Quand ils sont associés au pouvoir, les islamistes gardent, la plupart du temps, un pied en dehors du gouvernement et maintiennent leurs anciennes structures confrériques, ce qui montre que leur intégration est encore à faire. En Egypte, le débat sur la transformation des Frères musulmans en parti politique a tourné court.
La répression est la réponse la plus généralement retenue par les gouvernements arabes face aux mouvements islamistes. Il y faut ajouter un « traitement économique » du conflit, grâce à un nouveau libéralisme économique et aux aides internationales. Chez une partie de la jeunesse, notamment la plus aisée, un individualisme consumériste débridé tente ainsi de faire oublier le blocage politique. Accompagnée d’une répression constante, la stratégie des gouvernements a contribué à faire éclater des mouvements qui représentent des forces sociales souvent contradictoires. Condition de réussite des mouvements islamistes, l’alliance entre les élites musulmanes, religieuses, intellectuelles et économiques, et la base populaire représentée par la masse des laissés-pour-compte, n’a pas résisté à la politique des pouvoirs en place. En Egypte, le clivage entre les Frères musulmans et les Gamâ’ât islâmiyya est du même registre que celui qui existe entre le FIS et les GIA en Algérie. Les premiers se situent toujours dans la tradition sunnite et seraient prêts à intégrer le jeu politique si l’Etat leur en laissait la possibilité. Les seconds ont déclaré la guerre à l’Etat et parfois même au reste de la société, dans une vision de l’islam qui les rejette en dehors de la tradition sunnite (12).
Ainsi, c’est l’incertitude qui semble dominer l’avenir politique des pays arabes du Proche et du Moyen-Orient. Ultime expression des fractures coloniales et post-coloniales, un islam réformiste plus ou moins fondamentaliste continue à être la référence privilégiée de sociétés en plein réarmement identitaire. Des sociétés dont les chercheurs occidentaux ne peuvent que constater la fermeture, qui a été croissante tout au long de ces dernières années... Au-delà d’une quête commune de modernité et d’universalisme, la trajectoire de ces sociétés semble donc inverse de celle des sociétés européennes. Ces dernières sont sorties des religions (et même de l’histoire affirment certains...), ce qui a ancré un relativisme pluraliste aux antipodes de l’affirmation identitaire basée sur la religion qui caractérise les sociétés arabes. A la perte de prestige des institutions officielles, comme Al-Azhar, au discrédit des dirigeants saoudiens comme référence religieuse, s’ajoute un éclatement croissant du mouvement religieux. L’exclusion du jeu politique des mouvements islamistes condamne ces pays à une perpétuelle guerre civile larvée ou déclarée.
Contraintes de surfer sur une vague identitaire et confrontées à un contexte d’affrontement dans leur propre pays, la plupart des autorités religieuses musulmanes des pays arabes du Moyen-Orient semblent difficilement pouvoir adopter un discours relativiste répondant aux aspirations de certains musulmans d’Europe, qui les obligerait à considérer que ce qui est harâm au Caire peut être halâl à Paris, Londres ou Bruxelles. Jusqu’à il y a peu, le discours de l’ensemble des ulémas concernant l’émigration musulmane en Europe était anti-intégrationniste. Ce n’est que récemment que, sollicités de façon plus pressante et prenant en compte l’enjeu de l’émigration, certains ulémas en Egypte, en Syrie, au Liban et dans les pays du Golfe, ont commencé prudemment à donner des avis sur le sujet. Parmi eux, certains, parce qu’ils sont en exil ou hors de leur pays d’origine, ont réussi à échapper à la pesanteur du local et se sont lancées dans des élaborations doctrinales de plus en plus libérales. C’est le cas du Cheikh Yûsuf al-Qaradâwî, un uléma égyptien sorti d’Al-Azhar proche des Frères musulmans, qui, depuis les pays du Golfe où il s’est installé, s’adresse au vaste monde par les canaux les plus modernes (internet notamment). Toutefois, les autorités religieuses musulmanes du Moyen-Orient, qu’elles soient officielles ou non, privilégient avant tout les enjeux de leur société et se déterminent d’abord en fonction de ceux-ci. Ce fut le cas de ces prédicateurs (dâ’î-s) célèbres, qui ont profité de la perte de prestige des institutions officielles pour apparaître comme indépendants du pouvoir, à l’instar du Cheikh Sha’râwî ou de Muhammad al-Ghazâlî, ou encore d’Abd al-Hamîd Kishk, tous récemment décédés, et qui n’ont pas apporté de changement notable dans la vision du statut du musulman vivant en dehors des pays à majorité musulmane. Le respect de la lettre de la sharî’a, ce credo réformiste désormais unanime parmi les ulémas sunnites du Moyen-Orient, peut bien n’être qu’une façade : il bloque toute réouverture d’un réel ijtihâd, surtout dans un contexte conflictuel. Les effets retour de la constitution d’un islam libéral en Europe risquent d’être annulés par la guerre larvée que connaissent nombre de pays arabes et par la politique européenne de soutien à des gouvernements jugés illégitimes.
Ce contexte conflictuel et d’incertitude quant à l’avenir ne pourra pas être sans conséquence sur l’islam des pays européens. Le réformisme musulman, qui est né en réaction à l’Europe et qui symbolise aujourd’hui la modernité islamique, peut-il s’affranchir du clivage colonial en s’acclimatant aux pays occidentaux ? Une autre forme de modernité islamique en Europe peut-elle faire l’économie du réformisme ? Ces questions n’ont pas de réponse à ce jour.
Ceci est d’autant plus grave que l’Etat laïque ou sécularisé dans les pays européens a tendance à laisser les musulmans d’Europe livrés à eux-mêmes, rendant ces derniers orphelins d’un Etat dont beaucoup attendent une forme de légitimité religieuse indirecte ou de « guidance », conformément à une tradition sunnite ottomane, à laquelle a succédé la « nationalisation » de l’islam par les Etats arabes modernes. La prise de position de Cheikh Tantawî, le Cheikh Al-Azhar, lors de la visite de Chevènement en Egypte en avril 1998, affirmant que « les musulmans, qui ont le devoir de se conformer aux lois du pays où ils vivent, ont le choix de s’y plier ou bien de quitter le pays », a été critiquée en France comme l’illustration de son ignorance des réalités de l’islam en Europe, et même dénoncée comme un coup de poignard dans le dos des musulmans français. Pourtant, il y avait dans sa position, au-delà d’une évidente complaisance envers son invité, un élément conforme à une pratique héritée de la tradition sunnite ottomane, que les autorités françaises auraient pu relever : à savoir que la loi, fût-elle laïque, est la Loi. Encore faut-il que l’Etat laïque soit porteur d’un projet suffisamment clair et identifiable par les musulmans.
Les Etats européens ne pourront pas échapper à une régulation normative de l’islam, à laquelle ils paraissent pourtant répugner. Cette répugnance semble avoir deux raisons essentielles. Elle exprime un refus de se laisser entraîner sur le terrain de la théologie, où l’Etat jouerait envers l’islam un rôle qu’il entend ne plus avoir depuis longtemps envers les autres confessions. Pourquoi donc avoir envers l’islam une pratique discriminatoire ? Il semble évident que la réalité de l’islam en Europe ne le place pas dans une position comparable aux autres religions (catholicisme, protestantisme et judaïsme). Ces religions ont participé au processus historique de constitution de la laïcité ou de la sécularisation et elles se sont « confessionnalisées ». Ce n’est pas le cas de l’islam. Même si, en tant qu’individus, les musulmans d’Europe semblent rejoindre en majorité des conceptions européennes de la religion, même si, ici et là, émergent quelques autorités religieuses qui revendiquent leur intégration aux sociétés européennes, l’islam-religion demeure non-« confessionnalisé » en tant que communauté et institution. Cette réalité est dans les faits prise en compte par les autorités françaises, lorsque nos responsables politiques laïques nous expliquent, sans gêne apparente, ce qu’est le « vrai islam », face à ce qui est présenté sans distinction comme l’ « islam intégriste », auquel est dénié toute qualité islamique. Ces mêmes autorités semblent démunies face à des symboles qui peuvent être interprétés de différentes façons : le foulard islamique est-il « intégriste » ou « permet-il l’accès à la citoyenneté »(13) ? Où se situe la limite entre l’ « intégrisme » et le « vrai islam » ? Qui est habilité à en fixer la frontière ? En tentant de le faire, l’Etat laïque prend une position religieuse à laquelle peu d’ulémas du Moyen-Orient arabe se hasarderaient (la condamnation de la violence au nom de l’islam est jusqu’à aujourd’hui le maximum qu’ils aient fait). La seconde raison de la répugnance de l’Etat à intervenir de façon déclarée dans la définition des bases de l’islam vient enfin du refus catégorique, surtout en France, d’envisager une période coloniale qui dérange et qu’on préfère croire soldée. On occulte ainsi volontairement le rôle historique de l’islam à l’époque moderne et contemporaine. Chevènement se trompe quand il déclare que la guerre d’Algérie est terminée. La guerre atroce qui est en cours en Algérie n’est pas sans rapport avec la période coloniale. L’Etat français y soutient un parti contre l’autre. Il a avalisé l’interruption brutale d’un processus électoral, n’hésitant pas à accorder le label de « démocratique » à des politiques issues d’un coup d’Etat militaire. La diabolisation d’un islam présenté en bloc comme « intégriste » a remplacé toute réflexion sur l’histoire de l’islam depuis le 19e siècle et sur son rôle dans la constitution des identités dans les pays colonisés, comme dans la lutte contre la colonisation et dans les enjeux de la période post-coloniale. Le poids de cette histoire est d’autant plus visible qu’il se double, en France notamment, d’un clivage économique et social et de la faiblesse des élites musulmanes.
Les limites de l’oubli de soi ou l’enjeu de l’intégration de l’islam en Europe :
Les Etats européens sont confrontés à une double légitimité historique de l’islam : celui de la tradition sunnite ottomane, qui a abouti à la « nationalisation » de l’islam par l’Etat, et celui de la mouvance réformiste, dont une partie peut s’intégrer à cette tradition. La mouvance réformiste n’est pas moins plurielle que la tradition sunnite ottomane - elle l’est même davantage car elle n’est pas institutionnalisée et reflète mieux les réalités sociales locales -, mais elle est moins pluraliste et plus réactive face à l’Occident. Ces deux légitimités sont devenues indissociables et fonctionnent aujourd’hui de façon complémentaire dans la plupart des pays musulmans. La référence réformiste est une base de légitimation indispensable aux institutions de l’islam officiel. Depuis Al-Azhar jusqu’au Conseil des confréries soufies, en passant par le ministère des Waqfs ou le muftî de la république, tous les acteurs officiels de l’islam en Egypte tentent de concurrencer le mouvement islamiste sur le terrain de la défense des conceptions réformistes. Mais en retour, les grands prédicateurs, comme les représentants des mouvements islamistes hostiles à la violence, tous trouvent dans l’existence d’un islam officiel une amarre contre les dérives liées à des ijtihâd-s incontrôlés, pour les premiers, et une garde-fou contre l’éclatement de leur mouvement, pour les seconds. De façon significative, s’ils ne se privent pas de critiquer la soumission d’Al-Azhar au pouvoir égyptien, les Frères musulmans n’ont jamais remis en cause la légitimité de l’institution ni les bases actuelles de légitimation du pouvoir des ulémas.
Cette capacité du sunnisme de tradition ottomane à intégrer les tendances de l’islam en apparence les plus opposées doit être prise en compte. Tenter de jouer la tradition sunnite ottomane, notamment la « nationalisation » de l’islam par l’Etat, contre le réformisme musulman semble voué à l’échec. Ainsi, on ne peut que se féliciter des évolutions récentes qui, en France notamment, ont conduit à revenir sur la diabolisation de certains acteurs politiques et religieux issus de la mouvance réformiste musulmane. On mesure le chemin parcouru à la trajectoire d’un Târeq Ramadân qui, en l’espace de moins de dix ans, est passé du statut de proscrit et d’ « intégriste » à celui d’interlocuteur obligé d’un monde politique et associatif français avide de trouver des représentants musulmans. Au rejet a succédé un enthousiasme d’autant plus grand que l’enjeu semble, pour certains, revêtir une importance historique : n’est-on pas en train d’assister à la rencontre tant désirée des principes laïcs français avec un islam « moderne » en voie de libéralisation ?
Peut-être conviendrait-il ici de mettre en garde contre un excès d’illusions que pourraient faire naître une certaine naïveté inspirée par la mauvaise conscience (qui n’est jamais bonne conseillère dans la mesure où elle empêche une véritable réflexion) ou les talents de tel ou tel acteur musulman. Le principal enjeu de l’intégration de l’islam en Europe me semble tourner autour d’une question : où se situent les limites de part et d’autre de l’oubli de soi, qui rendent possible une telle intégration ? Car il ne faut pas se cacher que l’islam, du moins celui lié à l’immigration, est une nouvelle religion en Europe. L’idée selon laquelle les sociétés européennes pourraient ajouter ou retrancher en leur sein une religion, qui est aussi une culture, sans modifier du même coup le regard que portent tous les citoyens sur eux-mêmes et sur les autres, est une idée fausse. Les sociétés européennes ne sont pas encore devenues (mais est-ce souhaitable ?) un vaste supermarché des religions, où chacun pourrait venir se servir y compris à la carte. Même si ces sociétés sont sorties des religions (en fait, surtout des religions anciennement majoritaires) et même si elles se sont sécularisées, les constructions politiques nationales y sont souvent héritées d’un rôle central des Eglises chrétiennes. Ainsi, l’institutionnalisation de l’islam en France est bien plus qu’une simple occasion de redéfinir les rapports de l’Etat laïque et des religions, comme on l’entend dire souvent. C’est là une conception très réductrice de l’identité française (mais aussi de l’identité musulmane), en la limitant à sa simple composante laïque, mais c’est aussi une façon dangereuse de réduire la culture d’une société à une série de principes politiques et juridiques régissant les rapports entre l’Etat et la religion. Ceci est d’autant plus vrai que le « sacré laïque », qui a constitué un lien social effectif à un moment où il avait à faire face à un ennemi réel, tend aujourd’hui à céder la place à une vague tolérance du fait communautaire, du fait que l’ennemi clérical a finalement disparu. Cette laïcité juridique désacralisée, abstraite et désincarnée, ne semble plus en mesure ni de constituer une culture ni de produire du lien social. Il en résulte un déficit d’identité de la société française que l’exhumation de mots volontaristes tout droit repris de la révolution française (citoyens, républicains) tente (mal) de cacher. Egalement fondements de cette identité, les modèles français de la citoyenneté et de l’Etat-nation sont remis en cause. Face à cette crise de l’identité française, qui est certainement à l’origine de l’effondrement des relations sociales et de la montée de la violence, maux dont on ne veut retenir en France que les seules causes économiques, la communauté ou la région en arrivent à apparaître comme des oasis d’humanité.
Dans ce contexte, l’arrivée de l’islam en France engage, aussi bien pour les Français non-musulmans que pour les musulmans, un changement d’identité dont la négation et l’occultation peuvent précisément constituer l’obstacle majeur à l’intégration. Parce qu’il est nié, ce changement d’identité n’a pas de limites. Or c’est justement la définition de ces limites qui est aujourd’hui plus que jamais nécessaire. Toute vie en commun nécessite un oubli relatif de soi, mais si les limites de cet oubli ne sont pas discutées, mises à plat et acceptées de part et d’autre, les réflexes identitaires induits par la peur peuvent prendre le dessus. Pour les musulmans originaires des anciennes colonies françaises, cela signifie qu’ils ont besoin de savoir jusqu’où il leur sera demandé d’oublier leur mémoire pour s’intégrer, et plus particulièrement la mémoire liée aux périodes coloniale et post-coloniale. Cette mémoire ne concerne pas seulement le passé. Elle se vit de façon tragique dans l’actualité. Le silence observé chez la quasi-totalité des Algériens de France sur la deuxième guerre d’Algérie, silence qui est souvent faussement interprété comme une volonté d’intégration, doit aussi être rapporté à la peur d’être accusé d’ « intégrisme », à la crainte de la sécurité algérienne et des représailles que les familles restées en Algérie pourraient subir. D’une façon plus générale, la complaisance des pays européens face à la politique du fait accompli et de la force menée par Israël et les relations amicales qu’ils entretiennent avec les régimes arabes les plus antidémocratiques peuvent sembler un prix à payer exorbitant aux musulmans de France qui cherchent à s’intégrer sans « s’oublier » totalement. Le traitement par les media de l’actualité des pays arabes et islamiques, qui peut paraître partisan aux yeux de nombreux musulmans d’Europe, est aussi un marqueur du degré d’intégration de l’islam. Il y a enfin les incantations à lutter contre l’ « intégrisme ». Un argument souvent entendu est que les musulmans d’Europe, parce qu’ils jouissent d’une liberté qui leur permet d’échapper aux pesanteurs des sociétés à majorité musulmane, sont à même de concevoir un autre islam. A une telle assertion, il faut aussitôt ajouter que le respect d’une certaine mémoire et d’une certaine identité est une condition nécessaire pour que cette liberté puisse s’exercer. Il n’y a pas de démocratie possible sans identité.
Pour les Français non-musulmans, les limites de l’oubli de soi sont tout aussi importantes, surtout pour les classes populaires qui sont en première ligne dans l’effort d’intégration des populations immigrées, mais à qui on dénie tout droit à l’expression, au nom d’un antiracisme abusif qui est étendu à toute chose. Le simple fait de considérer quelqu’un comme un étranger peut parfois aujourd’hui être assimilé au racisme, ce qui est une façon de nier l’identité d’une partie de la société. Pour bien accueillir l’autre, il faut en avoir les moyens, et en particulier être suffisamment sûr de soi et de son identité. L’accueil d’une nouvelle religion, dont les représentants sont massivement présents au bas de l’échelle sociale, ne peut pas être perçu de la même façon par des élites culturelles et sociales, qui ont la possibilité de choisir et pour qui cela constitue une richesse, et pour des classes populaires déjà fragilisées par la menace de l’exclusion, privées des repères identitaires que constituaient les utopies politiques et la culture ouvrière, et qui n’ont d’autre choix que d’accepter le fait accompli d’un nouveau paysage social (et culturel) dont elles se sentent les principales victimes. Ce sentiment est encore accru par un doute grandissant sur la capacité, et même la volonté des pouvoirs publics de conserver la maîtrise des flux migratoires, auxquels l’image de l’islam en Europe reste liée. Ajoutons que les élites les plus « ouvertes à l’autre » sont les mêmes qui s’empressent (c’est humain) de dresser d’autres frontières et d’autres barrières, politiques, sociales et intellectuelles (on accueille les sans-papiers et on exclut les électeurs du Front national, pourtant citoyens français, on appelle à la lutte contre l’exclusion, mais on fuit les « quartiers difficiles » ou les écoles classées « sensibles », on prône le multiculturalisme, mais on jette l’anathème sans distinction sur tous les « intégrismes »).
L’intégration de l’islam en France et en Europe est liée à une double remise en cause des identités des musulmans comme de celles des non-musulmans. Ces remises en cause ont des limites qui font qu’en l’état actuel des choses, il est probable qu’il sera difficile dans un avenir prévisible à des autorités musulmanes européennes d’émerger de façon indépendante de celles des pays d’origine ou de l’Etat du pays d’accueil. En effet, de telles autorités doivent se frayer un chemin entre deux dynamiques lourdes : d’une part, la tendance croissante des jeunes musulmans en Europe à « s’oublier » dans une citoyenneté individualiste et à renoncer à une mémoire coloniale encombrante, ce qui ne peut constituer une base pour l’émergence d’une autorité religieuse parlant au nom de l’islam, et d’autre part, une dynamique identitaire des sociétés d’origine à majorité musulmane où l’utilisation de la mémoire coloniale constitue l’outil privilégié des stratégies de pouvoir. Un gallicanisme islamique basé sur l’oubli ou l’occultation de la mémoire coloniale et des conflits actuels risquerait de faire apparaître les autorités musulmanes de France comme de nouveaux Harkis.
Les deux légitimités islamiques évoquées plus haut offrent cependant dans leur rapport dialectique de réelles possibilités d’intégration. Au regard de l’importance de l’ijtihâd exigé des autorités musulmanes de France, il serait suicidaire que l’Etat leur demande d’assumer seules un tel effort qui réduirait à néant leur légitimité. Là, la nationalisation de l’islam peut permettre de limiter la responsabilité des ces autorités, puisqu’elles peuvent invoquer le principe islamique de respect de la loi du pays d’accueil, sans être directement tenues pour responsables de cette loi. Mais une véritable intégration de l’islam ne peut se limiter à cela, ni à la signature d’une profession de foi laïque qui n’engagera que les signataires. Elle ne pourra pas non plus voir le jour si les musulmans sont les seuls à s’engager sur le chemin qui doit conduire à une rencontre avec l’Etat et le reste de la société française. C’est-à-dire qu’elle doit résulter d’une volonté de chacun de faire une partie du chemin vers l’autre, tant il est vrai qu’on ne peut dépasser un clivage colonial unilatéralement. Cela signifierait que l’Etat et la société française acceptent de remettre en cause leur mémoire coloniale, telle qu’elle s’est construite depuis la colonisation, qu’ils portent un regard critique sur certaines conceptions laïques et républicaines considérées comme intouchables et que certains aspects de la politique actuelle de la France s’en trouvent modifiés, de telle sorte que l’intégration de l’islam ne soit pas perçue comme un simple faire-valoir de la laïcité. Car intégrer l’islam en France, c’est aussi intégrer une culture et une histoire. Ce serait enfin intégrer de façon obligatoire une partie de la mouvance réformiste en tant que telle, ainsi que sa mémoire, et non pas seulement des acteurs issus de cette mouvance, comme c’est le cas actuellement. Certes, des avancées seront possibles un temps tout en contournant les sujets qui peuvent fâcher. Mais on imagine difficilement qu’une intégration puisse être complète sans la reconnaissance de la légitimité historique et religieuse du réformisme musulman. Car si l’on souhaite voir légitimées de nouvelles élaborations doctrinales, c’est la mouvance réformiste qui en sera le laboratoire privilégié, plutôt que les représentants de l’islam officiel.
Cela fait beaucoup de révisions déchirantes... Réintégrer l’histoire dans la politique permettrait de mieux appréhender les enjeux d’ici et de là-bas.
Notes
Cet article est en partie inspiré d’une recherche destinée au colloque du Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité, tenu à Paris les 7 et 8 décembre 1998 sur le thème « Laïcités, religions et démocratie : perspectives comparatistes ». La publication des actes de ce colloque est prévue pour 2000. La partie traitant de l’islam en Europe, qui n’est pas mon terrain de recherche, est basée sur les réflexions personnelles d’un chercheur à qui des séjours prolongés au Moyen-Orient ont donné un regard « extérieur » sur les réalités française et européenne.
1. Par « religions confessionnalisées », je désigne des religions institutionnalisées qui, non seulement ont intégré dans leur credo la séparation du politique et du religieux, mais qui ne définissent plus leur sphère de compétence comme « globale ». Il s’agit de religions qui ont en pratique accepté de limiter leur sphère au privé, dans le cadre d’une reconnaissance préalable mutuelle avec un pouvoir politique immanent, fondé sur un contrat social. Dans le cas de l’islam, cela signifie qu’il accepte de n’être plus que dîn et de laisser le dunya à un pouvoir politique qui, non seulement ne se définit pas comme musulman, mais ne revendique aucune sacralité religieuse, de considérer que les lois sociales sont faites par les hommes et que tous les citoyens sont égaux (ce qui implique le « droit d’apostasie » d’un musulman qui désire quitter sa religion, l’engagement de la partie musulmane de respecter la liberté religieuse du conjoint, dans le cadre de mariages mixtes, et de permettre aux enfants d’être éventuellement éduqués dans une autre religion que l’islam).
2. Le réformisme musulman désigne un mouvement « moderniste » né au 19e siècle en réaction à ce qui était perçu comme la décadence du monde musulman face à la domination européenne. Ses premiers hérauts, dans le milieu des ulémas, furent Jamâl ad-Dîn al-Afghânî (1838-1897) et Muhammad ‘Abduh (1849-1905). Il préconisait un « retour » à l’« islam des origines » et aux sources de l’islam, comme remède aux faiblesses et aux maux dont souffraient alors les musulmans. Il fallait « réformer » l’islam pour le rendre « moderne » et pour cela il fallait en retrouver le message originel, perdu au cours des siècles. Le tawhîd, principe d’unicité divine, fut réaffirmé avec force et il trouvait sa traduction dans l’appel à la nécessaire unité de l’umma. Les islamismes actuels figurent parmi les héritiers du réformisme musulman. Mais les conceptions réformistes se sont imposées dans toutes les sociétés musulmanes, bien au-delà des mouvements politiques, comme le standard incontournable de la « modernité musulmane », que ce soit parmi les ulémas, parmi les croyants, ou chez les dirigeants politiques. Reculant devant la modification du statut des ulémas qu’aurait impliquée une réouverture de la porte de l’ijtihâd, ce « retour » a finalement abouti, chez les sunnites, à un fondamentalisme fortement teinté de littéralisme (« il faut appliquer la lettre de la sharî’a ») - voir note 4.
3. A partir du début du 20e siècle, la critique réformiste prendra pour cible privilégiée les confréries soufies, accusées de propager un islam éloigné de la sharî’a et de relever davantage de la superstition et de croyances en la magie ou la sorcellerie. Cet islam populaire, organisé notamment autour du culte des saints et de leur tombeau, sera alors chargé de tous les maux, en particulier du retard du monde musulman face à l’Europe, et certaines confréries seront accusées de collaboration avec les puissances coloniales. Sur l’islam en Egypte d’avant le réformisme, voir : Gilbert Delanoue : Moralistes et politiques musulmans dans l’Egypte du XIXe siècle (1798-1882) - IFAO - Le Caire - 1982.
4. La fermeture de la porte de l’ijtihâd chez les sunnites, depuis la constitution, au Moyen-Age, des quatre rites officiels du sunnisme, a été souvent considérée comme la cause du déclin du monde musulman. La réouverture de la porte de l’ijtihâd est devenue un thème récurrent de la mouvance réformiste musulmane, même si celle-ci a échoué jusqu’ici à la mettre en pratique. Chez les chiites, au contraire, le triomphe de la tendance usûli-e au 18e siècle a consacré la nécessité absolue de l’ijtihâd, réservé aux mujtahid-s. La raison est devenue chez les chiites un des piliers de la religion.
5. Le califat est, pour l’immense majorité des théologiens sunnites, l’institution centrale du pouvoir islamique. Le calife est le « successeur » ou le « délégué » du Prophète. Le mot « sultân » désigne le détenteur du pouvoir temporel. L’effondrement du pouvoir ottoman a suscité diverses théories du califat au 20e siècle.
6. En Irak, seul pays arabe à n’avoir pas répondu à l’appel du Chérif Hussein de la Mecque à la Révolte arabe contre les Ottomans, les choses avaient clairement été comprises en ce sens par la direction religieuse chiite dès les années 1910-20. En appelant à combattre les Britanniques aux côtés de l’armée ottomane, les chefs religieux chiites ne prêtaient pas allégeance au sultan-calife ottoman, mais ils entendaient opposer un front islamique uni face à une menace qu’ils ressentaient comme mortelle pour l’islam, ses institutions et l’indépendance des pays musulmans.
7. Le projet chérifien était l’établissement d’un royaume arabe unifié dans les provinces arabes arrachées à l’empire ottoman. Le Chérif Hussein de la Mecque devait en devenir le souverain. Patronné par les Britanniques, il aboutit à la Révolte arabe de 1916-18 contre l’Empire ottoman. Partie du Hidjâz, l’armée chérifienne gagna la Jordanie et la Syrie. Avec l’appui de Lawrence (d’Arabie), Faysal, l’un des fils du Chérif Hussein, prit la tête du mouvement. Il participa, aux côtés du général britannique Allenby, à la prise de Damas en 1918.
8. Sur l’intégration d’Al-Azhar et des confréries soufies à l’Etat égyptien, voir :
– Frederick De Jong : Turuq and Turuq-linked institutions in nineteenth century Egypt - E.J.Brill - Leiden - 1978.
– Mâgda ‘Alî Sâleh Rabî’ : Ad-Dawr as-siyâsî li-l-Azhar 1952-1981 (Le rôle politique d’Al Azhar 1952-1981) - Université du Caire - Markaz al-buhûth wa ad-dirâsât as-siyâsiyya - Le Caire - 1992.
– Malika Zeghal : Gardiens de l’islam, Les oulémas d’Al Azhar dans l’Egypte contemporaine - Presses de Sciences Po - Paris - 1996.
– Pierre-Jean Luizard : « Al-Azhar : institution sunnite réformée », in Entre réforme sociale et mouvement national. Identité et modernisation en Egypte (1882-1962), sous la direction d’Alain Roussillon - CEDEJ - Le Caire - 1995.
– Pierre-Jean Luizard : « Les ordres soufis dans le Moyen-Orient arabe », in Les Voies d’Allâh, sous la direction d’Alexandre Popovic et de Gilles Veinstein - Fayard - 1996.
9. Voir : Pierre-Jean Luizard : La formation de l’Irak contemporain, Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’Etat irakien - CNRS Editions - Paris - 1991.
10. Sur l’actualité de la « question irakienne », voir : Maghreb-Machrek (La Documentation française) N° 163 - janvier-mars 1999 - Mémoires d’Irakiens : à la découverte d’une société vaincue..., sous la direction de Pierre-Jean Luizard.
11. cf. Jean-François Legrain, Autonomie palestinienne : la politique des néo-notables, in Les partis politiques dans les pays arabes 1. Le Machrek - sous la direction de Pierre-Robert Baduel Edisud-REMMM 81-82 - Aix-en-Provence - 1998.
12. Le Cheih Umar Abd ar-Rahmân, guide spirituel des Gamâ’ât islâmiyya, est au Moyen-Orient arabe un exemple unique d’uléma formé à l’école d’Al-Azhar qui soit passé à un islamisme partisan du recours à la violence. Accusé d’être impliqué dans l’attentat du Trade World Center en 1993 à New-York, il purge une peine de prison à perpétuité aux Etats-Unis. Sur les islamismes, voir : François Burgat : L’islamisme en face - Editions La Découverte - Paris -1995.
13. A propos du port du foulard dans les pays occidentaux où émigrent les musulmans, on ignore souvent que la grande majorité des ulémas du Moyen-Orient arabe, sunnites comme chiites, s’ils insistent sur la nécessité du port hijâb, subordonnent celui-ci au respect des lois du pays d’accueil, ainsi qu’au devoir de ne pas contrevenir à la paix publique. Si le port du foulard constitue une source de trouble pour l’ordre public, son bénéfice est annulé. Pour ces ulémas, les musulmans qui pensent qu’il leur est impossible de vivre leur foi dans une société ont le devoir de la quitter.