Arrestations, raids policiers, détentions prolongées et menaces de procès : le régime chinois s’en prend depuis plusieurs mois au milieu associatif. Pékin cherche ainsi à désamorcer toute « révolution de couleur », comme en Ukraine, un risque élevé au rang de menace prioritaire sous le président et secrétaire général du Parti communiste chinois (PCC) Xi Jinping.
Cette offensive récente cible la poignée d’ONG militantes qui ont vu le jour ces dernières années – des féministes et militants LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et trans) aux associations de défense des droits de populations vulnérables (comme les handicapés, les séropositifs, les prostituées ou les immigrés de l’intérieur). Ces domaines d’action, où les financements locaux sont rarissimes, sont l’apanage soit des antennes en Chine d’ONG étrangères, soit d’ONG chinoises qui reçoivent des fonds internationaux. Or toutes sont fragiles, car opérant dans une zone grise de la législation.
Tout a commencé au printemps 2014, avec une « enquête approfondie » sur les ONG étrangères ainsi que « les organisations chinoises ayant des liens avec l’étranger », ordonnée à tous les échelons du Parti communiste par la nouvelle Commission de Sécurité nationale, organe créé l’année précédente. Aux questionnaires à remplir et aux « invitations à boire le thé » – des discussions polies, routinières, avec les agents du renseignement – a vite succédé une campagne beaucoup plus brutale et systématique, qui s’est notamment soldée par l’arrestation de plusieurs dizaines de membres d’ONG au dernier trimestre 2014 et début 2015.
« Officiels corrompus »
Ainsi, mardi 24 mars à l’aube, à Pékin, vingt policiers ont pénétré dans les bureaux de l’ONG chinoise Yirenping, saisissant documents et ordinateurs. Fondée en 2006, Yirenping lutte contre les discriminations à l’embauche – au nom des personnes souffrant de pathologies telles que l’hépatite B, des handicapés ou encore des femmes. « Le gouvernement, en particulier la police, nous connaît très bien car ils nous surveillent depuis de longues années. Mais nos actions aux côtés de plaignants ou pour proposer des lois ont pu déplaire à certains groupes d’intérêts, comme de grosses sociétés sans scrupule, des officiels corrompus ou bien les départements de “maintien de la stabilité” [l’appareil de sécurité], ce qui explique qu’on cherche à salir notre réputation », confie, par courriel, Lu Jun, le directeur de l’ONG, depuis New York, où il se trouve pour une formation.
Yirenping avait vu en juin 2014 l’une de ses antennes locales, à Zhengzhou (Henan), fermée par la police. Cette démonstration de force est intervenue alors que cinq militantes féministes, qui ont travaillé par le passé à Yirenping ou ont été conseillées de diverses manières par l’ONG, sont détenues depuis le 6 mars.
Autre exemple, un jeune Pékinois trentenaire responsable d’une petite ONG offrant du conseil juridique, que l’on appellera Jin, a été cueilli au réveil par une escouade d’agents un matin de novembre à Pékin. Les interrogatoires se sont succédé. « Chaque fois que les enquêteurs mentionnaient les fonds provenant de donateurs étrangers, ils me disaient que ceux-ci devaient forcément avoir des buts cachés », explique-t-il, sous couvert d’anonymat, car sa remise en liberté, après un mois d’incarcération, lui a été présentée comme « conditionnelle ». Son association a été dissoute.
« Intellectuels libéraux »
Ce sont ses liens avec deux autres ONG plus connues, le think tank Transition Institute et le réseau de librairies rurales Liren, auxquels il collaborait, qui ont attiré l’attention. Toutes deux ont fermé cet hiver, et plusieurs de leurs dirigeants, arrêtés en même temps que Jin, sont toujours en détention – notamment Guo Yushan, un chercheur de 37 ans qui dirigeait le Transition Institute et a été récemment mis en examen pour « activité commerciale illégale ». Cette accusation est régulièrement brandie à l’encontre de ce type d’organisations, enregistrées en tant qu’entreprises car aucune structure étatique ne veut prendre la responsabilité de les parrainer comme l’impose la loi chinoise sur les ONG.
Certes considéré comme une « personnalité sensible » pour avoir aidé en 2012 le militant aveugle et dissident Chen Guangcheng à rejoindre l’ambassade américaine, Guo Yushan se gardait, depuis, d’attirer l’attention des autorités.
Le réseau Liren, en dehors de ses librairies en zones rurales, organisait des séminaires d’été pour lycéens avec des « intellectuels libéraux ». Une série d’événements – un voyage à Taïwan où des responsables de Liren ont rencontré un dissident exilé, puis les manifestations à Hongkong – ont déclenché l’alerte rouge : « Ce qui obsède [les autorités], c’est que l’on soit interconnectés. Ce qui est vrai, forcément ! Mais on ne peut pas dire que ces deux ONG avaient un programme ouvertement critique et agressif, c’est vraiment déplorable », réagit Jin, à qui les enquêteurs ont reproché, parce qu’il avait été membre du Parti quand il était étudiant, « de ne pas se consacrer à faire des choses positives ».
« Actions à petite échelle »
Se retrouver stigmatisés ainsi comme les agents naïfs d’une conspiration occidentale exaspère nombre de ces jeunes urbains, souvent diplômés de grandes universités. Déterminés à changer la Chine de l’intérieur, ils le font, disent-ils, « par des actions à petite échelle ». Tous sont convaincus que ce genre d’engagement est salutaire pour le pays.
« Nous nous sentons comme des criminels », soupire Shen Tingting, responsable du bureau pékinois d’une ONG basée aux Etats-Unis, Asia Catalyst, qui s’est fait connaître par un rapport sur le système de détention sans procès des prostituées. « On travaille avec des populations marginalisées, on essaie de les aider, il ne nous vient même pas à l’esprit de toucher des sujets “politiques” », dit la jeune femme, engagée depuis huit ans dans l’humanitaire et qui a eu son lot « d’invitations à boire le thé » et de pressions.
Pour Nicholas Bequelin, de Human Rights Watch à Hongkong, l’actuelle offensive, nourrie par un discours d’hostilité à l’Occident, « cherche à délégitimer les programmes visant à renforcer l’Etat de droit et le respect pour les droits humains : quand on ferme une ONG qui aide les handicapés, cela peut être mal vu. Mais en mettant l’accent sur le financement, et en éveillant la suspicion que ses membres accomplissent une mission politique en lien avec l’étranger, c’est tout de suite plus facile. »
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
Journaliste au Monde