L’entretien que nous [A l’encontre] publions par ailleurs [1] du ministre de la Reconstruction productive, de l’environnement et de l’énergie, Panagiotis Lafazanis, une figure du Courant de gauche de Syriza – un courant peu structuré et hétérogène –, traduit la distance entre des convictions effectives de Lafazanis et les orientations d’un gouvernement qui représente une addition de « points de vue » plus qu’une structure ayant un agenda clair et précis. Et il ne cesse de plier, pas à pas, face à l’Union européenne (UE). Certes avec des hésitations et des sursauts de divers ministres et même d’Alexis Tsipras, du moins dans ses déclarations au sein des instances de Syriza.
De fait, le gouvernement de Tsipras – en fait un gouvernement de coalition – met les vastes secteurs de la population qui le soutiennent encore dans une position de complète passivité politique : tous les deux jours, ils attendent les « résultats » d’une réunion à Berlin, à Moscou, à Pékin, à Bruxelles…
De quoi leur dire : attendez que l’on trouve une solution, même en « jouant les trouble-fête » sur le plan géopolitique. Ce qui est une illusion complète et dangereuse, faisant renaître les fantômes du nationalisme qui agissent comme des mânes dans les réflexes profonds d’ex-staliniens.
A l’inverse, ce gouvernement – ou Syriza – devrait appeler la population à descendre dans la rue sur une revendication simple : pour assurer des soins à tous, nous ne paierons pas les intérêts de la dette. C’est non négociable. Et nous en appelons à ceux et celles qui en Espagne, au Portugal, en France… savent ce que cela signifie.
Nous en appelons aussi aux médecins grecs qui travaillent en Suisse, en Autriche, en Allemagne pour bâtir une solidarité concrète. Nous en appelons au réseau syndical européen – même minoritaire – actif dans ce domaine. Sans une telle orientation, la passivité, cultivée de fait, se transformera en désenchantement. Sans une telle orientation, le champ sera laissé libre aux débats sur l’euro ou sur l’audit – certes nécessaire – de la dette, mais qui exige des mois.
Or, les échéances sont là, dans les semaines qui viennent. Et chaque fois se répétera le cycle : risque de défaut, négociations, listes de réformes proposées par le gouvernement grec (nous les analyserons dans un article), attente renouvelée de négociations, etc.
Pour prendre la mesure des échéances, il suffit d’avoir à l’esprit les échéances officielles qui s’annoncent :
1°- 9 avril : 450 millions au FMI.
2°- 14 avril : 1,4 milliard d’obligations arrivant à maturité, dont, selon les estimations, 750 millions sont dus à des étrangers.
3°- 15 avril : réunion de la BCE et contrôle sur les fonds libérés par l’ELA (Emergency liquidity assistance).
4°- 17 avril : 1 milliard d’obligations arrivant à maturité auprès de détenteurs domestiques.
5°- 17 avril : réunion de printemps du FMI.
6°- 24 avril : réunion de l’Eurogroupe (ministres de Finances) à Riga.
7°-1er mai : 200 millions à rembourser au FMI.
8°- 8 mai 2014 : 1,4 milliard de bons du Trésor (donc court terme), avec une partie détenue par des étrangers, émis le 11 novembre 2014.
9°- 11 mai, nouvelle réunion des ministres des Finances (Eurogroupe).
10°- 12 mai, 760 millions au FMI.
11°- 15 mai, 1,4 milliard de bons du Trésor arrivant à maturité, émis le 13 février 2015, donc détenus (probablement) par des nationaux.
Le gouvernement va-t-il continuer à se « battre » sur ce terrain ? Où va-t-il choisir de ne plus payer les intérêts de la dette et certaines sommes, cela en contrepartie de dépenses urgentes pour la santé, les retraites, les salaires, l’éducation et du refus de certaines privatisations. Les dizaines de milliers de médecins, d’infirmières, de spécialistes qui ont dû quitter la Grèce représentent déjà des millions et des millions d’euros de dette payée. Leur formation, combien a-t-elle coûté aux « finances publiques » grecques, alimentées par les impôts des salarié·e·s à plus de 90% ?
Dans une telle situation, il ne faut pas être seulement fidèle à un programme, il faut en appliquer, sans hésitation, quelques points essentiels. Et mobiliser la population – dans une orientation de front unique que la gauche de Syriza, au sens large, se doit de bâtir sur un calendrier qui court sur quelques semaines –, l’appeler à descendre dans la rue, car elle sera entendue en Europe. C’est cette « instabilité sociale » que les « dominants » européens craignent. Et non pas un « débat sur Grexit ».
Charles-André Udry