Au mois d’octobre 2014 [sous le gouvernement de coalition entre la Nouvelle Démocratie et le PASOK], j’ai visité la Grèce pour observer l’impact de l’austérité sur le peuple grec et en particulier sur la santé et sur le système des soins. J’ai rejoint d’autres travailleurs du secteur de la santé et la Campagne de solidarité avec la Grèce pour visiter des hôpitaux, des cliniques et des marchés de denrées alimentaires. J’ai discuté avec des soignants, avec des volontaires, avec des politiciens et avec des membres des gouvernements locaux.
Ce que j’ai observé m’a consternée et attristée.
Dans l’hôpital le plus important de Grèce, l’Evangelismos à Athènes, les conditions étaient pires que celles que j’ai rencontrées dans des pays en voie de développement.
Dès que les portes de l’hôpital s’ouvrent les jours « d’urgence », les gens affluent. L’effondrement des services de santé publique primaires et collectifs fait que toutes les personnes qui ont besoin de soins doivent se rendre au service des urgences et des accidents des grands hôpitaux, que ce soit pour un accident grave, pour des médicaments, pour des maladies chroniques ou pour faire vacciner les enfants. Des membres du personnel m’ont dit que des victimes de traumatismes majeurs devaient souvent attendre durant des heures pour une radiographie et un traitement à cause du manque de personnel [dû aux très nombreux licenciements]. Lorsque de trop nombreux cas affluent en même temps, il arrive que les gens meurent avant d’avoir été pris en charge.
Les conditions d’« austérité » imposées en Grèce par la Troïka (la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI) pour assurer le paiement de la dette aux créanciers, en priorité les banques, ont entraîné la fermeture de nombreux hôpitaux (y compris trois hôpitaux psychiatriques) et cliniques de soins primaires [1]. Ceux qui sont restés ouverts doivent effectuer des coupes drastiques dans le personnel. Des milliers de travailleurs de la santé ont été licenciés.
Trente pour cent de la population grecque vit dans la pauvreté, sans accès à des soins de santé abordables [en février 2014, The Lancet estimait à 47% des Grecs n’avaient pas accès à des soins adéquats]. Les soins de santé sont financés par l’assurance payée par les employeurs, et lorsque les gens perdent leur emploi ils perdent du même coup leur assurance médicale. Le gouvernement prétend avoir rétabli les soins de santé pour les plus pauvres, mais des médecins et des infirmières m’ont affirmé que c’était faux. Les commissions d’enquête promises pour évaluer et financer les requêtes de ceux qui n’ont pas les moyens d’avoir accès aux soins n’ont pas encore été créées.
A Evangelismos j’ai vu 50 patients psychiatriques empilés dans une salle de 25 lits, partageant deux toilettes et une seule infirmière en psychiatrie. Des patients psychiatriques d’âges et de sexes différents étaient allongés, amorphes, sur des brancards sur les deux côtés d’un long couloir. Au bout de ce couloir, j’en ai vu un autre aménagé de manière analogue. Ces brancards étroits et inconfortables, serrés les uns contre les autres, étaient le seul espace personnel des patients. Les infirmières et les médecins m’ont dit qu’il était impossible de faire un travail thérapeutique dans de telles conditions.
Malgré sa surpopulation, la salle était sinistrement silencieuse. J’ai eu l’impression que la majorité des patients étaient sous sédation, ou bien qu’ils avaient baissé les bras, succombant au désespoir.
L’« austérité » et les coupes budgétaires ont entraîné une forte augmentation des cas de dépression. Les suicides ont augmenté de 45%. Les patients à Evangelismos ont encore de la chance – beaucoup d’autres patients qui auraient besoin de lits ont été abandonnés dans la rue, sans soutien de la part de la collectivité. J’étais sur le point de quitter l’hôpital lorsqu’un médecin m’a demandé de dire aux gens du Royaume-Uni ce que j’avais vu et entendu. Il a ajouté qu’ils voulaient « non pas de la charité mais de la solidarité ».
Les gens sont en train de s’organiser pour résister et pour défendre leurs quartiers contre les impacts les plus désastreux de l’austérité. La multiplication des structures de solidarité dans les quartiers pour venir en aide aux gens qui manquent de nourriture ou de soins de santé est une expression de cette organisation sociale. Des cliniques de santé solidaires ont été mises sur pied partout en Grèce, avec du personnel bénévole qui essaie de fournir des soins de base à ceux qui n’ont pas accès aux structures de soins. Des médecins, des infirmières et des pharmaciens se portent volontaires dans ces cliniques, mais cela ne suffit de loin pas à satisfaire tous les besoins.
J’ai visité la Clinique de solidarité sociale à Peristeri, un district d’Athènes ayant une population d’environ 400’000 personnes. Le personnel bénévole, composé de médecins et d’infirmières, qui travaillait dans cette structure m’a expliqué que la plupart des cliniques locales gérées par l’Etat avaient été fermées. Le gouvernement avait également fermé toutes les policliniques, avant d’ouvrir récemment certaines d’entre elles, mais avec seulement 30% des médecins nécessaires. Là où il y avait autrefois 150 médecins pour fournir des services de santé dans le district, il n’y en a actuellement que 50. Une policlinique pour une population de 400’000 personnes n’avait ni gynécologue ni dermatologue, et seulement deux cardiologues.
« Nous voulons qu’on nous rende nos médecins ! » disait une des volontaires avec qui j’ai discuté. Des milliers de médecins ont quitté le pays [en fin 2014, plus de 3500 médecins grecs travaillaient en Allemagne]. Ceux qui restent – y compris des médecins hospitaliers de haut niveau – gagnent environ 12’000 euros par année.
La Clinique de solidarité sociale de Peristeri fonctionne depuis une année et demie grâce à 60 bénévoles, dont 25 médecins qui ont proposé leurs services gratuitement. La clinique est pourvue d’une simple salle de consultation et d’une petite pharmacie de médicaments offerts. Les bénévoles de la clinique disaient que les gens souffrant de maladies chroniques comme le diabète ou les cancéreux avaient d’énormes problèmes pour obtenir les traitements dont ils auraient besoin. Les patients cancéreux non assurés ne peuvent pas payer une chimiothérapie. Les organisations de solidarité demandent aux personnes suivant une chimiothérapie de donner l’équivalent d’un jour de médicaments pour les patients qui n’ont pas les moyens de se procurer ces produits.
Le gouvernement grec a passé une loi en janvier 2015 permettant de confisquer des biens immobiliers de personnes endettées auprès d’institutions étatiques. Il y en a qui renoncent à poursuivre leur traitement pour éviter de contracter des dettes qui pourraient entraîner la perte du logement pour leur famille.
Actuellement les mères grecques doivent débourser 600 euros pour un accouchement et 1200 euros s’il y a une césarienne ou des complications. Pour les étrangères [migrantes contraintes pour l’essentiel] vivant en Grèce, le prix est deux fois plus élevé. La mère doit payer la facture en quittant l’hôpital. Au début, lorsque ces prix ont été introduits et si la mère ne pouvait pas payer, l’hôpital gardait le bébé jusqu’au paiement de la facture. Condamnée à l’échelle internationale, cette pratique a été interrompue et l’argent est désormais récupéré au moyen d’une taxe supplémentaire. Néanmoins, si la famille n’a pas les moyens de payer, son logement ou sa propriété peut être confisqué. Et si elle ne peut toujours pas payer, elle peut être emprisonnée [cette loi doit être supprimée]. Un nombre croissant de nouveau-nés sont abandonnés à l’hôpital. Un obstétricien avec qui j’ai discuté l’a appelé « la criminalisation de l’accouchement ». La contraception est inaccessible pour beaucoup de gens – l’assurance maladie ne couvre même pas son achat. Les avortements sont devenus beaucoup plus nombreux – 30’000 par année – et, pour la première fois, le nombre de décès en Grèce est en train de dépasser celui des naissances. Les gens ne peuvent plus se permettre financièrement d’avoir des bébés. C’est déjà suffisamment dur de nourrir et soigner les enfants existants.
D’après un rapport récent compilé par l’UNICEF et par l’Université d’Athènes, 35,4% [chiffres de fin 2012] des enfants grecs [1-17 ans] soit connaissent la pauvreté, soit risquent d’y basculer. Un article dans The Lancet du 22 février 2014 intitulé « La crise du système de santé grec : de l’austérité au déni » a évalué que le taux de mort-nés avait augmenté de 21% et celui de la mortalité infantile de 40% entre 2008 et 2011. De nombreuses familles vivent uniquement grâce aux maigres pensions d’un grand-parent – en général d’environ 500 euros par mois. L’effondrement du système de santé primaire signifie que des milliers d’enfants ne sont pas vaccinés. Un cycle de vaccinations infantiles coûte environ 80 euros, et ce prix est trop élevé pour beaucoup de familles.
L’effondrement du système de santé publique a entraîné un doublement des cas de tuberculose, la réémergence de la malaria qui avait disparu depuis 40 ans et une multiplication par 700 des infections HIV. La pauvreté de l’alimentation entraîne également une péjoration de la santé de la population. D’après l’OCDE, 1,7 million de Grecs, soit presque un sur cinq, n’ont pas assez à manger [ce chiffre macabre a augmenté]. A Athènes nous avons visité un marché alimentaire organisé par le mouvement de solidarité sociale, qui organise la distribution d’aliments directement des paysans à la population. En éliminant ainsi les intermédiaires, les marchés de solidarité sociale obtiennent que la nourriture soit moins chère qu’aux supermarchés, tout en permettant aux paysans d’être correctement payés. En contrepartie, les paysans donnent un pourcentage de leur production, qui est alors distribué gratuitement aux familles dans le besoin. Une banderole au-dessus du marché proclame « Mettre en pratique l’espoir ». Pour moi c’était là un parfait exemple de l’esprit que j’ai rencontré partout où je suis allée – l’espoir d’un changement combiné avec une approche très pragmatique pour créer des structures de soutien. Pour les personnes avec lesquelles j’ai discuté il était évident que ces structures n’étaient pas destinées à remplacer des structures d’Etat, ce qui ne serait pas possible – mais constituaient un moyen de soutenir la vie et la résilience pour empêcher que les gens coulent dans la misère et le désespoir. Ils disaient que ce qu’il fallait c’était une action au niveau gouvernemental.
Le succès du parti de Syriza n’est pas surprenant. Nous avons rencontré Alexis Tsipras, le dirigeant de Syriza, qui a dit que la reconstruction du système de santé serait une priorité pour son gouvernement s’il était élu [1].
Dc. Louise Irvine