Pour « se donner les moyens de soutenir l’adoption des droits de vote double par Renault », l’Agence des Participations d’Etat a procédé à l’acquisition d’un maximum de 14 millions de titres (environ 4,7% du capital), pour un prix compris entre 814 millions d’euros et 1.232 millions d’euros, portant ainsi la participation de l’Etat à 19.7% du capital.
Pour quelle raison un gouvernement néo-libéral et sous pression du Medef fait-il cela ?
La principale raison économique tient au fait que la grande restructuration de la branche automobile au niveau mondial se poursuit chez tous les constructeurs et sur tous les continents et Renault s’est engagé depuis quelques mois dans une accélération des synergies avec son partenaire Nissan. Quelle sera la prochaine étape avec Nissan ou même avec Daimler (3% du capital) ? Si les choses se poursuivent ainsi le débat sur le caractère « français » ou pas de Renault sera définitivement clos et les réorganisations probables qui suivront risquent de déshabiller un peu plus l’implantation hexagonale du groupe. Sans doute le gouvernement veut-il mettre son grain de sel dans cette affaire pour s’éviter une restructuration importante avant les prochaines élections présidentielles.
Selon un communiqué de la CGT, un représentant de l’Etat lui aurait déclaré, concernant cette hausse de participation que « …Renault était une entreprise importante et qu’avec seulement 15% du capital l’Etat n’avait pas suffisamment de poids… Qu’il était nécessaire d’avoir la capacité pour peser sur la stratégie de l’entreprise… Pour préserver l’empreinte industrielle… ». Mais il aurait aussi ajouté que « … les représentants de l’Etat étaient lignés sur la stratégie de Ghosn… Donc pas de défiance avec le management… ».
Selon la loi du 29 mars 2014 visant « à reconquérir l’économie réelle » (loi « Florange » de Montebourg), les actionnaires qui conservent leurs titres pendant au moins deux ans sont récompensés par l’octroi de droits de vote doubles. Pour Renault, l’Etat qui détenait durablement 15,01 % du capital est donc concerné. Mais cette disposition n’est possible que si l’assemblée des actionnaires ne s’y oppose pas. Or, Carlos Ghosn, le patron de Renault, voudrait bloquer cette initiative du pouvoir en soumettant à l’assemblée des actionnaires une résolution s’opposant à l’introduction du vote double. L’Etat peut penser qu’au vue des AG passées, son poids, selon la règle une action = un vote, ne lui aurait pas suffi à s’assurer que les droits de vote double soient mis en place. Il doit donc disposer d’un paquet d’actions (de droits de vote simple) supérieur à ce qu’il détient aujourd’hui. Il l’emporterait alors sur une résolution lui permettant d’avoir des droits de vote double.
Dans les entreprises où l’Etat est actionnaire, les droits de vote double peuvent lui permettre deux stratégies :
– Soit augmenter son pouvoir décisionnel au sein de l’entreprise : pour un même nombre d’actions il va augmenter son nombre de droits de vote
– Soit il vend une partie de ses actions (et récupère de l’argent frais) mais grâce aux droits de vote doubles il maintient son pouvoir décisionnel dans l’entreprise.
Nous verrons dans les prochains mois, comment le pouvoir politique se comporte dans cette affaire, s’il revend un paquet d’action après l’AG ou non. Mais il faut surtout garder en tête que toute cette affaire tient au glissement progressif du groupe Renault vers une stratégie de concentration et d’intégration avec Nissan et peut-être avec d’autres. Que pourront bien y faire nos épigones de Montebourg et de sa loi ?
Claude Gabriel