Un rafiot en perdition au large des côtes du sud de la Thaïlande s’approche, jeudi 14 mai, du rivage. A son bord, 300 boat people émaciés, affamés. Une dizaine d’autres sont morts en route, leurs cadavres ont été jetés dans l’océan Indien.
Un drapeau noir flotte sur le frêle esquif qui, depuis deux mois, dérive depuis le golfe du Bengale. Sur le fanion, une phrase appel de détresse : « Nous sommes des Rohingya de Birmanie ». La pathétique errance de cette minorité birmane, considérée par les Nations unies comme l’une des plus persécutées de la planète, n’est sans doute pas près de s’achever. Vendredi, peu avant que l’aube se lève, la marine thaïlandaise, qui avait auparavant fourni des vivres aux réfugiés de la mer et réparé le moteur de leur bateau, les aurait forcés à poursuivre leur dérive vers l’Indonésie.
La mer d’Andaman, dans le nord-est de l’océan Indien, est en train de se transformer en une « Méditerranée d’Asie », traversée par des groupes toujours plus nombreux de migrants musulmans venus principalement de Birmanie, parfois du Bangladesh, dans l’espoir d’une vie meilleure en Malaisie ou en Indonésie.
Fosses communes
Le sauvetage d’environ 1 400 clandestins découverts dans cinq bateaux au large des côtes de ces deux pays, le 11 mai, avait déjà illustré, de manière tout aussi dramatique, à quel point, à l’autre extrémité du continent eurasiatique, il existe également une volonté farouche des plus pauvres et des plus opprimés de fuir leur pays.
Ce sont d’abord quatre bateaux transportant des migrants qui avaient été découverts par la police sur le rivage de l’archipel touristique des Langkawi, au nord de la Malaisie. Le chef de la police locale avait indiqué que plus d’un millier de personnes se trouvaient à bord de ces embarcations, que les trafiquants d’êtres humains avaient abandonnées au large.
Le même jour et plus au sud, le long des côtes de Sumatra, à Aceh, un autre bateau, avec à son bord quelque quatre cents personnes, était secouru par les autorités.
Ce soudain afflux de migrants est la répercussion de la découverte, en début de mois, par les policiers thaïlandais, de fosses communes le long de la frontière de Malaisie, où avaient été enterrés à la hâte une trentaine de candidats à l’exil. Ces derniers, emprisonnés dans des camps de fortune dans la jungle, sont l’objet de chantages par les trafiquants. Une somme supplémentaire leur est demandée pour les autoriser à franchir la frontière. Si leurs familles ne viennent pas les délivrer en payant une rançon, ils restent prisonniers des passeurs. Les tombes découvertes étaient celles de ceux qui sont morts de maladie ou n’ont pas survécu aux conditions de vie imposées par les esclavagistes.
Plus d’un million de personnes
La Thaïlande, de longue date accusée de laisser faire ce trafic d’êtres humains sur son territoire, vient de réagir en convoquant, le 29 mai, un « sommet d’urgence » avec une quinzaine de pays concernés, au premier chef la Malaisie, l’Indonésie, la Birmanie et le Bangladesh, mais aussi les Etats-Unis et l’Australie.
Plus de cinquante policiers thaïlandais ont été récemment sanctionnés pour avoir collaboré avec les trafiquants. Ces punitions ne semblent cependant pas avoir dépassé le niveau d’un transfert administratif.
Le responsable pour la Thaïlande de Human Rights Watch, Sunai Phasuk, s’est félicité de cette réaction officielle. Cela montre, selon lui, « pour la première fois, [que] le gouvernement thaïlandais entend ne plus rien négliger » dans la lutte contre le trafic humain. « Des enquêtes sont en cours qui mettent en cause des politiciens locaux et des policiers. Mais qu’en est-il des militaires [eux aussi soupçonnés de complicité] ? », s’est-il cependant interrogé.
Le premier ministre, Prayuth Chan-ocha, chef de la junte militaire qui a pris le pouvoir il y a près d’un an, a promis de s’atteler au phénomène grandissant du trafic humain dans son pays.
Les Birmans musulmans rohingya sont une population de plus d’un million de personnes en Birmanie qu’une loi du Myanmar prive, pour la plupart d’entre eux, de toute citoyenneté. Après de graves émeutes interconfessionnelles en 2012 dans l’Ouest birman, plus d’une centaine de milliers de déplacés survivent dans des camps le long du golfe du Bengale. Rien que depuis le début de l’hiver 2014-2015, des dizaines de milliers d’entre eux ont fui.
La Thaïlande les empêche, par ailleurs, d’aborder sur ses côtes au motif qu’il s’agit d’immigration illégale tandis que la Malaisie et l’Indonésie viennent d’annoncer qu’elles repousseront leurs esquifs délabrés. La proposition du gouvernement thaï de construire des refuges pour ceux qui ont déjà abordé sur son territoire déchaîne déjà l’hostilité des populations locales, qui n’ont nulle envie de cohabiter avec ces nouveaux parias de l’Asie.
Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
Journaliste au Monde