Si elles prennent souvent prétexte d’actes terroristes, les lois sécuritaires avec leur arsenal de nouveaux délits et de durcissement de peines, ne sont pas des lois de circonstance. Elles restreignent durablement nos droits, ciblent des publics spécifiques, puis dessinent une société dont nous ne voulons pas. Le tout exécuté par une police aux pouvoirs exorbitants. Retour sur 30 ans de politiques sécuritaires.
De la fin de la présomption d’innocence...
En 1986, une douzaine d’attentats ont lieu en France. Ils vont être la justification d’une loi portant « une approche préventive des actes de terrorisme »... C’est le début de la pénalisation de l’intention et la fin de la présomption d’innocence. Une collaboration étroite se met en place entre procureurs, juges spécialisés dans le terrorisme et policiers. Et ce sont les jeunes scolarisés et ceux des banlieues révoltées qui vont être matraqués par une police qui voit ses marges de manœuvre élargies : les bastonnades, interpellations préventives, gazages massifs et gardes à vue sont nombreuses. Ainsi dans la lutte contre le CPE, il y en aura 4 350, pour 637 poursuites sur le délit d’« actes de violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique n’ayant pas entraîné d’ITT (sic !) ». Il s’agit là de tenter de terroriser des jeunes qui se rebellent parfois pour la première fois, de les condamner souvent à du sursis qui pèsera sur leurs engagements futurs et de les ficher pour les 40 ans qui viennent. Dans la foulée, la police sera équipée de tasers provoquant la mort de 351 personnes dans le monde et de flashballs dont les tirs ont fait perdre un œil à une dizaine de manifestants en France. Il faut faire passer l’idée qu’il est dangereux d’aller manifester !
Dans les années 90, c’est la création du « délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Délit extrêmement flexible dans son application qui va conduire à la pratique des rafles à grande échelle, dont certaines spectaculaires pour bien marquer les esprits. Ainsi celle-ci où 110 personnes seront arrêtées et interrogées, 87 placées en garde à vue... pour finalement 3 instructions officielles pour « suspicion de projets terroristes » !
Dans ce cadre, la durée de la garde à vue passe de 3 à 6 jours, la police ayant toute latitude pour mettre la pression sur les présumés coupables, comme le dénoncera l’ONG Human Rights Watch : « interrogatoires incessants et répétitifs, privation de sommeil, pressions psychologiques, humiliations, menaces, “bousculades” »...
En passant par le ciblage des militantEs, des jeunes, des pauvres...
Les faucheurs de plants transgéniques, les salariéEs qui occupent leur entreprise, les militantEs qui accueillent les personnes sans papiers vont être arrêtés, souvent avec une violence policière inouïe, et condamnés. En fait, toutes celles et ceux qui refusent les pouvoirs d’un Monsanto ou d’un patron à décider de nos vies, qui pratiquent la solidarité, qui par leurs actions concrètes remettent en cause le système...
La jeunesse, notamment celles des quartiers paupérisés, va être particulièrement ciblée : création des délits d’occupation des cages d’escaliers, de free party, d’outrage contre les policiers ; durcissement des peines aggravées par les peines planchers ; création de centres fermés pour les mineurs ; responsabilisation pénale à partir de 10 ans ; détention provisoire à partir de 13 ans... Une remise en cause drastique de la justice des mineurs qui depuis 1945 faisait passer l’éducation des enfants et des jeunes avant la répression.
Les pauvres ne sont pas oubliés : création des délits de racolage passif, de mendicité agressive ; application du décret de violation de propriété contre les mal-logés qui permet au préfet et à ses sbires d’expulser sans jugement ; suspension des allocations familiales aux parents d’enfants condamnés...
La politique du chiffre va être exécutée avec brio par des policiers chauffés à blanc. Ainsi, entre 2002 et 2009, 90 % des personnes interpellées pour des infractions à la législation sur les stupéfiants sont des consommateurs de cannabis en possession de très petite quantité, pour seulement 10 % de personnes impliquées dans un trafic. Le délit d’outrage quant à lui a permis d’obtenir 31 000 procédures dans l’année 2009, d’autant plus facilement que les provocations par le harcèlement au contrôle au faciès systématique ou la mise en application zélée de la loi scélérate sur le voile peuvent conduire à un « outrage ». Une police aux pleins pouvoirs au service d’une justice de classe.
À la société de la surveillance généralisée
La vidéosurveillance et les arrestations en forme de rafles permettaient déjà un fichage massif de la population, mais la loi sur le renseignement, présentée contre le terrorisme (la 25e en 15 ans...), marque un grand pas en avant dans le flicage généralisé et l’État d’exception. En effet, elle légalise des pratiques de barbouzes, par la pose d’écoutes téléphoniques, de mouchards dans les voitures, d’intervention directe sur les opérateurs internet, d’installation de fausses antennes relais qui permettent de capter les conversations téléphoniques dans un rayon de 500 mètres.
Le tout sans passage par la décision d’un juge et évidemment sans que les personnes surveillées ne soient informées. Cela concerne les 3 000 personnes suspectées d’intention terroriste, leurs familles, leurs voisins, leurs quartiers...
Le champ de cette loi est immense puisqu’il concerne la politique étrangère, les intérêts industriels et économiques de la France, la prévention des violences collectives pouvant remettre en cause la paix publique. Il y a peu de chances d’y échapper, d’autant plus que les moyens en termes de personnels et d’outils pour cette police du renseignement sont renforcés. C’est une politique qui remet complètement en cause nos libertés personnelles et collectives, notre droit à une vie privée et sociale, et le secret de nos communications. Au moins, nous savons pourquoi nous résistons !
Roseline Vachetta