Les migrants ne sont pas venus. Trop de police, trop de bruit, trop de tout. Ils ont préféré ne pas se montrer lors du rassemblement pour les soutenir, mardi 9 juin. Durant la journée, ils étaient allés et venus du Bois-Dormoy, un square à deux pas de l’esplanade où les CRS les ont délogés hier, dans le 18e arrondissement de la capitale, aux quelques pauvres repères qu’ils ont dans la capitale parisienne. Cet espace vert est devenu leur camp de base, après le métro La Chapelle, l’esplanade Saint-Bernard, et la rue Pajol.
A 18 heures, quelque cinq cents personnes se sont massées rue Pajol, au lieu même où les CRS avaient hier chassé la centaine de migrants africains installés. Pour donner du courage à ceux qui ont passé la nuit en rétention administrative à Vincennes ou au Mesnil-Amelot et sont parfois déjà passés devant le juge. « Pour s’opposer aux violences policières, aussi », rappelle Nadia, une étudiante en master 1 d’histoire à la Sorbonne. « On ne doit pas laisser passer ce genre d’agression dans notre pays », observe la jeune femme, qui se présente comme une voisine puisqu’elle partage une colocation à Barbès.
De fil en aiguille, Nadia, 21 ans, explique que ses parents aussi ont connu le difficile moment de l’arrivée en France. « Je n’aime pas le raconter. Ça fait partie de mon intimité, mais ce qui s’est passé dans mon quartier hier me renvoie à mon statut de fille d’immigrés, regrette-t-elle. Mon père est italien et m’a souvent raconté qu’il est longtemps resté “le Rital”. Là je n’ose pas imaginer le temps que ces gens mettront à s’intégrer s’ils obtiennent l’asile ici. On n’est pas un pays raciste, mais parfois, c’est pas loin. »
« Ce pays qui n’assume pas sa responsabilité d’accueil »
Autour d’elle, les CRS attendent impassibles et le micro passe de main en main. Elus et militants de gauche prennent tour à tour la parole. Le discours est rodé. La plupart resservent celui qu’ils répètent depuis la veille. A eux se sont joints quelques militants de collectifs de sans-papiers. Doukane Donga est l’un d’eux. Quinze ans qu’il est en France, « dans ce pays qui n’assume pas sa responsabilité d’accueil », regrette-t-il. « Les Européens ont créé de la misère en exploitant les matières premières de nos pays d’origine et aujourd’hui ils refusent de payer la facture en accueillant. C’est inadmissible », estime-t-il, largement applaudi par un auditoire acquis à la cause.
Dans l’assistance, il suffit de regarder la couleur du badge pour savoir à qui l’on parle. Le vert d’Europe Ecologie-Les Verts est autant représenté que le rouge du Nouveau Parti anticapitaliste ou du Parti communiste français ; aux côtés des autocollants Front de gauche, ils traduisent le degré de politisation du mouvement. Pourtant, ce rassemblement bon enfant a aussi laissé une large place aux riverains, les apolitiques, engagés parfois par hasard dans ce combat.
Des sans-badge qui sont descendus, comme Sandrine Gianola, « parce que parfois on ne peut plus rester à regarder à sa fenêtre », observe cette femme qui habite juste au-dessus du lieu de l’évacuation, rue Pajol. « Avant l’assaut d’hier, je n’étais pas intervenue. Je ne fais pas partie du collectif de riverains qui aident beaucoup. Mais là, franchement, je ne pouvais pas continuer mes activités comme si de rien n’était », explique la jeune femme portant sa fille de 4 ans dans les bras. « J’ai participé au cordon qui protégeait les migrants et j’ai été très choquée de la brutalité de l’intervention », assure-t-elle. Son fils de 10 ans ne cesse depuis de l’interroger sur ce que signifie vraiment le triptyque « liberté-égalité-fraternité » au regard des événements de son quartier. « La maîtresse les a beaucoup fait travailler l’éducation civique cette année, et là il est très en colère d’observer que, dans la pratique, ça ne marche pas », exposee cette jeune mère de famille qui n’appartient à aucun parti.
Sandwichs, conserves et brioches
Une fois les discours terminés, le cortège s’est acheminé vers le square où quelques migrants étaient installés. « C’est important que les gens sachent où ils sont car ils manquent de tout », explique Pablo Livigni, un jeune homme du service d’ordre. « On a bien travaillé aujourd’hui. On a récupéré des conserves, des sandwichs. Les riverains ont apporté pas mal de brioches pour le petit déjeuner, mais il va nous falloir d’autres sacs de couchage, et je ne parle même pas des matelas », ajoute-t-il.
En fait, lui et les autres militants espèrent que l’étude de faisabilité sur l’ouverture d’un centre pour migrants, par la Mairie de Paris va pouvoir devenir une réalité. Côté Ville de Paris, on explique qu’Anne Hidalgo étudie la faisabilité de ce projet qui intégrerait un espace d’information à destination des populations étrangères et proposerait des hébergements pour les personnes en transit.
Dans ce quartier mélangé, Dheepa Raji, une femme d’origine indienne, la quarantaine, observe le défilé. « Moi, je suis là depuis dix ans. C’est dur la France. On m’a expliqué ce qui se passe là. J’avais vu beaucoup de policiers, mais je ne savais pas que les Africains étaient à Pajol, commente-t-elle. Moi, je ne donnerai pas parce que j’ai déjà perdu des heures de ménage. Et avec les enfants il faut beaucoup d’argent », explique-t-elle en s’engouffrant dans une porte à la peinture un peu plus qu’écaillée, rue Marx-Dormoy.
A côté, trois jeunes femmes asiatiques au look soigné ont consciencieusement fermé la boutique Phila Nails. Curieuses, elles regardent à travers la vitre le drôle de cortège, plus fort que la circulation habituelle, puisque le flot de voitures a laissé place à ses piétons chantant. Le haut-parleur amplifie doucement un refrain assez basique limité à « So-so-solidarité avec les réfugiés »… Peu à peu, le cortège s’effiloche. Les marcheurs optent tout à coup pour un bus. Le temps a passé vite pour eux, contrairement aux migrants qui ont du mal à trouver le sommeil.
Maryline Baumard
Journaliste
* Le Monde.fr | 09.06.2015 à 22h27 • Mis à jour le 09.06.2015 à 22h42.
Nouvelle évacuation musclée de migrants près du métro La Chapelle
Plus de quatre-vingts migrants ont été délogés, lundi 8 juin, par les forces de l’ordre du parvis de la halle Pajol, à Paris, dans le 18e arrondissement. Selon le préfet de police de Paris, Bernard Boucault, ils ont été évacués et emmenés au commissariat, où il leur a été demandé, avec l’aide de cinq interprètes, s’ils souhaitaient solliciter l’asile. Une quarantaine de militants, de riverains et une poignée d’élus sont venus les soutenir face à de nombreux CRS.
Les migrants, des Erythréens, des Soudanais et des Ethiopiens pour la plupart, affirmaient dormir là depuis plusieurs jours faute d’endroit où aller après l’évacuation, le 2 juin, par la police, d’un campement proche de La Chapelle, dans ce même arrondissement, où près de trois cent cinquante personnes s’entassaient depuis des mois dans des conditions indignes.
Sur le parvis de la halle, ils bénéficiaient notamment du soutien d’associations leur fournissant de la nourriture ou des vêtements. Certains avaient commencé une grève de la faim afin de protester contre « l’acharnement policier » dont ils se sentent victimes.
« Ils les parquent dans des bus ».
« Il y a un véritable harcèlement policier. Ils les déplacent tous les jours, mais d’habitude ils se contentent de les faire courir. Aujourd’hui, c’est différent, ils les parquent dans des bus », observait lundi une militante qui préfère garder l’anonymat. Séparés des manifestants par un cordon de CRS, les migrants sont montés un à un dans un bus aux alentours de 16 heures. Deux autres ont suivi.
Les slogans « Solidarité avec les réfugiés » ont laissé place aux invectives contre le premier ministre et contre le ministre de l’intérieur à l’arrivée du dernier bus. Après un mouvement de foule, les policiers ont lancé des gaz lacrymogènes pour disperser le rassemblement. « Ils ne voulaient pas qu’il y ait autant de monde. Leur but est de rendre les migrants invisibles pour qu’on les oublie », regrettait un militant au milieu de la mêlée. Certains sont demeurés à terre de nombreuses minutes, les tee-shirts déchirés, les yeux gonflés de sang. Plusieurs militants ont été interpellés dans le chaos.
« C’est dommage d’en arriver là, car il commençait à y avoir un suivi de ces gens-là. Or, maintenant, on n’est pas sûr de les retrouver après leur interpellation », s’inquiétait un des manifestants venus soutenir les clandestins. « Le but de la préfecture est de casser les communautés afin qu’il n’y ait pas d’autres camps. Ils veulent également montrer aux passeurs qu’ils ont la situation en main… mais ce n’est pas le cas ».
« La répression ne réglera rien »
Parmi les quelques élus également présents, Olivier Besancenot, membre de la direction du NPA, a dénoncé une « répression [qui] ne réglera rien ». Dans la même veine, Pierre Laurent, secrétaire général du Parti communiste français, s’est dit sur Twitter « révolté » par le comportement du premier ministre, Manuel Valls, « qui envoie la force publique contre les réfugiés de la halle Pajol ».
* Le Monde.fr | 08.06.2015 à 21h53 • Mis à jour le 09.06.2015 à 18h26.
« On les trie sur le trottoir » : les migrants de La Chapelle évacués
L’arrêté d’expulsion avait été affiché samedi 30 mai en préfecture. Depuis, les migrants qui campaient boulevard de La Chapelle à Paris, entre les stations de métro Barbès et La Chapelle, dans le 18e arrondissement, s’attendaient à être expulsés d’un jour à l’autre. Mardi 2 juin, la police a bouclé le périmètre aux alentours de 6 heures et a procédé à l’évacuation du camp, mettant en avant, comme souvent dans ce genre de cas, l’insalubrité et les risques sanitaires.
« C’est une opération d’urgence et c’est dommage de devoir en arriver là », reconnaissait Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, présent sur place pour « garantir que ça se passe bien ». Avec Emmaüs, l’association avait aidé à établir, la semaine dernière, un « diagnostic » sur le nombre de personnes que comptait le campement, sur leur situation et sur la réponse à y apporter. Une liste de trois cent quatre-vingts personnes avait été établie. Parmi elles, la moitié relève de la demande d’asile et certaines auraient même déjà le statut de réfugié.
Une liste de 380 personnes avaient été établie, dont environ la moitié relevait de la demande d’asile, et pour certaines ayant déjà le statut de réfugié.
Mais mardi matin, c’est justement cette liste qui pose problème. Alors que la police fait entrer petit à petit les migrants dans des autobus en partance pour toute l’Ile-de-France, beaucoup d’autres restent coincés derrière le cordon de sécurité. « Ils se lèvent tôt et certains partent prendre leur petit-déjeuner dans des associations, ou quittent un moment le camp », explique une bénévole de l’association Entraides citoyennes. Impossible pour eux de rejoindre leur tente et de récupérer leurs affaires. A chaque membre de France terre d’asile ou à un officiel qui s’approche ils tendent leurs papiers pour supplier de les laisser entrer. Au compte-gouttes, on laisse passer quelques femmes avec des poussettes. « On les trie sur le trottoir », proteste une militante.
D’autres expliquent qu’ils n’étaient pas là au moment du recensement. Ils dormiront certainement dans la rue ce soir encore.
« Tout ce qu’on cherche, c’est à les disperser, note, amer, Pascal Julien, conseiller de Paris écologiste, mais les solutions proposées ne sont que temporaires. » Une bonne moitié part en direction de La Boulangerie, un centre d’accueil de nuit pour personnes sans domicile fixe, les autres sont répartis dans toute la région. « Mais dans quinze jours ? » interrogent l’élu et des militants venus soutenir les migrants. « Vous pouvez être sûrs qu’ils vont se regrouper à nouveau », assure Pascal Julien.
A chaque car qui s’en va, un petit groupe de militants tente de s’interposer un moment. Adresse quelques signes de soutien ou d’amitié aux personnes qui, dans le bus, font un petit geste de la main, un sourire un peu inquiet aux lèvres. « Je suis venu pour montrer qu’il y a un peu de solidarité, explique Christine, qui préfère ne pas donner son nom et dit habiter non loin de là. On venait souvent, le camp était sordide, ils n’avaient que trois toilettes pour quatre cents personnes et un seul point d’eau, mais des personnes dans une telle détresse ont besoin de se regrouper et d’être ensemble pour survivre. J’ai honte de ce qu’il se passe aujourd’hui », lâche-t-elle.
« Risque d’épidémie »
Mercredi 27 mai, le préfet de police de Paris, Bernard Boucault, avait fait état d’un « risque d’épidémie » justifiant une évacuation rapide. Des risques de dysenterie et des cas de gale avaient été rapportés par l’Agence régionale de santé dans un document à la fin du mois de mai. La ministre de la santé, Marisol Touraine, a d’ailleurs jugé mardi matin sur France Info que « le démantèlement de ce camp répond [ait] aussi à une exigence en termes sanitaires ».
« Les campements sont des lieux qui en termes d’épidémie, en termes sanitaires sont toujours des risques (…), d’abord pour ceux qui y habitent », a commenté la ministre des affaires sociales. En matière de politique d’accueil de la France, Marisol Touraine a souligné que « la France accueille des migrants, [elle] n’est pas portes fermées, les yeux fermés sur la réalité du monde ».
Chacun semble savoir que l’expulsion et les relogements ne sont que des solutions temporaires. Au moins deux cents personnes du camp seraient « en transit » vers d’autres pays. « Les femmes avec enfant relèvent de l’aide sociale à l’enfance de la ville », et les demandeurs d’asile des centres d’accueil, a détaillé le préfet. Pour les autres, en transit ou ne voulant pas demander l’asile, « une mise à l’abri temporaire » sera proposée.
La Ville de Paris devrait également loger dans des hôtels soixante-quatorze personnes, dont les mineurs présents sur le camp. L’emplacement devait être ensuite nettoyé et une veille assurée sur le site, a-t-on indiqué de source proche de la Mairie.
Aux abords du pont, place de La Chapelle, un journaliste interviewe un jeune homme qui dit appartenir au camp :
– « Où allez-vous dormir ce soir ? »
– « Ben ici », répond l’homme, le regard dans le vide.
Le journaliste hésite un moment.
– « Mais c’est évacué… »
– « Oui, mais j’ai pas de famille, nulle part où aller. Alors je dois bien dormir ici… »
Antonin Sabot
Journaliste au pôle vidéo