Les sénateurs français ont tenté de faire des parallèles entre le projet de loi sur le renseignement qu’ils examinaient et l’USA Freedom Act, récemment adopté aux Etats-Unis. En se prenant souvent les pieds dans le tapis.
Au Sénat, mercredi soir, il était sur toutes les lèvres. Les sénateurs et les ministres n’ont eu de cesse, alors qu’ils examinaient un des points les plus contestés du projet de loi sur le renseignement, de se référer à la récente adoption, par les Etats-Unis, de l’USA Freedom Act.
Il faut dire que le hasard fait bien les choses. Alors que les sénateurs adoptaient une disposition, controversée, du projet de loi sur le renseignement qui permettra l’installation, sur les réseaux Internet français, d’algorithmes (aussi appelés « boîtes noires ») analysant les métadonnées du trafic Internet des Français et censés détecter les terroristes, leurs homologues outre-Atlantique venaient de voter un texte réduisant pour la première fois depuis le 11-Septembre les marges de manœuvre des services de renseignement.
Problème : les sénateurs français n’ont pas toujours lu correctement le texte de loi adopté par les sénateurs américains.
Il ne remplace pas le Patriot Act
Le Freedom Act, ont affirmé plusieurs sénateurs opposés à la loi sur le renseignement, remplace le Patriot Act. C’est faux. Il aménage une des multiples sections du Patriot Act, qui reste bel et bien vivant. La section en question avait été utilisée par une cour de justice secrète (la FISC) pour demander, illégalement a jugé récemment la justice américaine, que l’intégralité des métadonnées téléphoniques des Américains soit automatiquement transmises à la NSA. C’est le premier programme de surveillance qui avait été révélé, en juin 2013, par Edward Snowden.
Mais il change des choses
Le USA Freedom Act, à entendre le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, ne changerait pas grand-chose. C’est inexact : grâce au texte nouvellement voté, il ne sera plus possible à la NSA de se faire adresser automatiquement et systématiquement toutes les métadonnées téléphoniques des citoyens américains. Les données seront stockées au sein des entreprises téléphoniques seront encore accessibles, mais les autorités ne pourront interroger ces données que de manière ciblée. Par ailleurs, des mesures de transparence sur le programme de surveillance ont été prises et le fonctionnement de la cour de justice secrète FISC a été légèrement réformé.
Non, les « boîtes noires » françaises n’existent pas aux Etats-Unis
Certains sénateurs ont affirmé, comme Claure Malhuret (Allier, Les Républicains), que les boîtes noires existaient aux Etats-Unis depuis 15 ans et venaient d’être supprimées par le Freedom Act. C’est faux. Aux Etats-Unis, les entreprises téléphoniques avaient l’obligation, par une ordonnance de la cour de justice secrète, de fournir à la NSA toutes les métadonnées téléphoniques à la NSA, qui les stockaient, sans systématiquement les analyser.
Dans le cas français, c’est un matériel directement implanté chez les fournisseurs d’accès à Internet (et non les entreprises téléphoniques) qui mènera l’analyse destinée à détecter les comportements terroristes en ligne. Il n’y aura, contrairement aux Etats-Unis, pas de stockage de grande ampleur. Mais l’analyse portera sur l’intégralité des données, contrairement aux Etats-Unis.
Les Américains ont mis fin à une petite partie de la surveillance de masse
Certains sénateurs français ont affirmé que le Freedom Act avait permis de renvoyer aux oubliettes la surveillance de masse. C’est essentiellement faux : d’un côté, ce texte empêche la surveillance de masse des métadonnées téléphoniques des Américains (sans en bloquer totalement la surveillance, qui devient un peu plus ciblée). Mais il laisse intacts de nombreux autres programmes, notamment ceux qui visent l’étranger.
Martin Untersinger
Journaliste au Monde