Le point sur le dossier grec aux premières heures d’un week-end déterminant
La Grèce abordait samedi 11 juillet un week-end décisif pour son avenir. Et c’est en plusieurs endroits clés que la crise est peut-être en train de se dénouer.
Le Parlement soutient le programme de réformes d’Alexis Tsipras
Les députés grecs se sont prononcés à une large majorité en faveur du programme de réformes soumis jeudi soir par Alexis Tsipras aux créanciers du pays. Sur les 291 députés présents à la Vouli (le Parlement grec) samedi aux alentours de 3 heures, 251 ont soutenu le document du gouvernement, 32 s’y sont opposé et huit se sont abstenus. Concrêtement, le chef de l’exécutif a désormais procuration pour aller négocier samedi avec les ministres des finances de l’Eurogroupe, puis éventuellement avec les dirigeants de la zone euro, dimanche, à l’occasion d’un sommet qui se tiendrait alors à Bruxelles.
A l’issue du vote, le premier ministre a estimé disposer d’un « mandat clair » pour négocier avec les créanciers du pays, mais il a enregistré les défections de dix députés de son parti qui se sont abstenus ou, pour deux d’entre eux, ont voté contre le plan d’accord. Plusieurs députés Syriza étant par ailleurs absents lors le vote, dont l’ex-ministre des finances Yanis Varoufakis, le texte a été adopté avec les voix de l’opposition pro-européenne : sur les 162 députés de la majorité, seuls 145 ont soutenu son programme de réformes.
Parmi les huit abstentionnistes figurent trois personnalités de la majorité : le ministre de l’énergie Panagiotis Lafazanis, le ministre délégué aux caisses d’assurance sociale Dimitris Stratoulis et la présidente du Parlement Zoe Konstantopoulou, troisième personnage de l’Etat.
Avant le vote, certains membres de Syriza estimaient qu’Alexis Tsipras avait fait trop de concessions, le texte de 13 pages soumis aux créanciers engageant la Grèce à adopter la plupart des mesures proposées par les créanciers le 26 juin. Au Parlement vendredi, le premier ministre a défendu les avancées de sa proposition d’accord, tout en admettant qu’elle contenait des mesures « difficiles » et loin du « pacte électoral » de la gauche radicale. Il a également reconnu des « erreurs » durant les presque six mois passés au pouvoir mais a assuré avoir fait « tout ce qu’il est humainement possible ».
Les commentateurs politiques estiment samedi que ces défections au sein de la majorité pourraient entraîner des changements politiques, peut-être sous la forme d’un remaniement ministériel.
Les créanciers jugent la proposition des Grecs « positive »
Il aura fallu exactement 24 heures. Vers 23 heures heure de Bruxelles, minuit à Athènes, une source européenne a indiqué que les trois institutions créancières (UE, BCE, FMI) jugeaient la proposition d’Athènes « positive », et constituant « une base de négociation » en vue d’un troisième plan d’aide au pays d’un montant de 74 milliards d’euros.
Cette proposition sera examinée samedi par les ministres des Finances de la zone euro, l’Eurogroupe, avant de déboucher dans le meilleur des cas sur « un accord politique », avant un sommet extraordinaire des 28, dimanche, qui pourrait relancer officiellement les négociations.
Selon des informations du Monde, des hauts fonctionnaires français de la direction du Trésor et de la délégation française à Bruxelles ont travaillé discrètement aux côtés des négociateurs grecs, sous haute surveillance de l’Elysée, lors de la rédaction des nouvelles propositions d’Athènes. « [Ils] se sont mis à disposition de la Grèce pour donner un coup de main, dès le début de la phase aiguë de la crise, concède un conseiller ministériel. Ce sont les Grecs qui tiennent la plume, mais ils se servent de nous comme d’un sparring-partner. »
Réactions des politiques européens au nouveau programme de réformes
La publication des nouvelles mesures présentées par Athènes aux créanciers jeudi soir a largement fait réagir les politiques en France et en Europe. Vendredi matin, le président de la République, François Hollande, a salué un programme « sérieux et crédible » et a affirmé que « les discussions [devaient] reprendre avec une volonté de conclure ».
Même appréciation du premier ministre français, Manuel Valls, qui a loué des « engagements sur l’ensemble des sujets qui ont pu être discutés jusqu’à présent ». Ce dernier a par ailleurs nié toute divergence de vue entre Berlin et Paris, alors que les dirigeants allemands se sont montrés moins positifs que leurs homologues européens sur les propositions grecques.
Dans le camp conservateur de la chancelière Angela Merkel, on s’interroge sur la volonté du gouvernement Tsipras de mener vraiment les réformes avancées. « Quelle crédibilité accorder à cette liste. Sera-t-elle mise en œuvre ? », s’est ainsi demandé Ralph Brinkhaus, vice-président du groupe parlementaire CDU-CSU au Bundestag, la chambre basse du Parlement.
En revanche, le Parti social-démocrate (SPD) a salué les concessions d’Alexis Tsipras – sur le système fiscal, les retraites, les dépenses militaires et les privatisations. « C’est un grand pas en avant, même s’il aurait dû être fait depuis longtemps déjà », a réagi le député Axel Schäfer.
En cas d’accord, l’aval de plusieurs Parlements nécessaire
Si la Grèce et ses partenaires européens s’entendent sur un troisième plan d’aide, au moins huit Parlements de la zone euro devront donner leur aval : allemand, finlandais, français, autrichien, estonien, lettonien, slovaque et évidemment grec. Dans la plupart des pays, l’issue positive du vote ne fait pas de doute. Certains, comme la Slovaquie et la Lettonie, pourraient être par contre plus compliqués à convaincre.
Aux Pays-Bas, les députés décideront eux-mêmes s’ils veulent voter ou pas. En Irlande, le gouvernement n’est pas obligé de solliciter les parlementaires, mais il pourrait décider de le faire, pour asseoir sa décision. Un avis favorable ne ferait pas de doute. En Belgique, au Luxembourg, à Chypre, en Lituanie, en Italie, en Espagne et au Portugal, le Parlement n’a pas besoin d’être impliqué.
Il ne le sera pas non plus à Malte ni en Slovénie si l’engagement financier en faveur de la Grèce n’augmente pas, ce qui devrait être le cas si le programme est encadré par le Mécanisme européen de stabilité, pour lequel les membres de la zone euro ont déjà débloqué du capital en 2012. Les élus slovènes devraient en revanche se prononcer en cas de décote sur la dette grecque. Le pays est celui de la zone euro le plus exposé à cette dette en proportion de son PIB, et ses députés seraient durs à convaincre.
Le Monde.fr avec AFP et Reuters
* 10.07.2015 à 17h29 • Mis à jour le 11.07.2015
Les déçus du non expriment leur désarroi, place Syntagma à Athènes
Il y a trois semaines, Myrto Kalogeropoulou défilait avec engouement, place Syntagma dans le centre d’Athènes, pour soutenir son gouvernement. Il y a deux semaines, la jeune femme de 31 ans manifestait avec fierté pour appeler à voter oxi (« non ») au référendum du 5 juillet. Vendredi 10 juillet au soir, toutefois, au milieu de la grande foule, place de la Constitution, cette électrice de Syriza avait perdu son enthousiasme.
Comme Myrto, ils étaient environ 7 000 à s’être réunis au pied du Parlement grec pour rappeler leur volonté de dire non aux mesures de rigueur pour la Grèce. Tous n’ont pas caché leur colère contre le « nouveau mémorandum », qu’ils jugent trop austère. La veille, le premier ministre, Alexis Tsipras, a rendu aux créanciers ses propositions de réformes pour le pays. Parmi elles, la hausse de la TVA ou de l’âge de départ à la retraite. « Ces mesures relèvent d’une trahison, lâche Myrto Kalogeropoulou, pourtant membre de la force politique Syriza depuis 2004. C’est la mort de notre parti. »
« Nous nous battrons »
Elle l’assure : « Nous allons vers des divisions au sein de notre force politique. Les mesures d’austérité ont détruit le pays. Les nouvelles propositions de Tsipras détruisent l’espoir né ces dernières semaines. » La jeune femme estime toutefois que cette période « de lutte » n’a pas été vaine. « Le référendum nous a rendus exigeants, il y a eu une effervescence politique, maintenant, nous allons nous battre jusqu’au bout, avance-t-elle. Nous allons continuer à protester pour que cet accord ne passe pas. » A quelques mètres d’elle, dans la foule, Angelos, 24 ans, est aussi déçu. « Nous nous sommes battus, on pensait que ce vote avait une valeur ! Je suis surpris, nous n’avons pas reculé mais Tsipras si, explique cet électeur de la gauche radicale. »
Christos Ioannidis partage ce sentiment de colère, en observant ce rassemblement au goût amer. Il arbore sur sa poitrine, un badge « Oxi ». Cet adhérent Syriza de 58 ans affirme toutefois qu’il n’est pas là pour « dénoncer » son gouvernement qui « n’a pas eu le choix ». Il veut « rappeler [son] opposition à l’austérité pour laquelle nous avons voté. Aujourd’hui c’est comme si notre voix ne comptait pas. Nous le disons haut et fort, on a voté non, au risque d’aller à la lutte contre l’Europe ». Ce chômeur se dit en revanche plus « pessimiste » sur la suite des tractations : « Bien sûr que ces propositions passeront dimanche, ce sont les suggestions de Jean-Claude Juncker [président de la Commission européenne], pourquoi les créanciers refuseraient-ils ? » Christos prédit toutefois « des conséquences, ici dans la rue ».
Front commun des partis d’extrême gauche
Au-dessus de la foule, des drapeaux du PAME flottent en masse. Venus en grand nombre, les partisans du syndicat du Parti communiste ont crié leur colère. Fait rare, les communistes, les trotskistes léninistes d’Antarsya et quelques petits groupes d’extrême gauche, forces politiques d’ordinaire divisées, ont manifesté aux côtés de Syriza vendredi soir. « L’actualité veut cela, c’est une coïncidence », insiste Giorgia Taztaz, retraitée communiste. « Syriza est fini ! », renchérit à quelques mètres Charalambos Tsavimos, un retraité de 60 ans, remonté. « Du jour au lendemain, Tsipras a décrété que les mesures d’austérité étaient viables, s’emballe le communiste, pendant des semaines on nous a fait croire à une résistance ! Tout retombera dimanche. »
Elisa Perrigueur (à Athènes, correspondance)
Journaliste au Monde
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