Il me semble important de faire un bilan d’étape sur la question Grecque. Elle est loin d’être terminée, comme la crise systémique de l’UE qu’elle a révélée. Mais alors qu’une nouvelle phase s’enclenche, une discussion doit s’ouvrir, tout en poursuivant les batailles de soutien. Vouloir maintenir sous le boisseau ces débats ne peut que compliquer la situation.
Si l’on prend comme point de départ le processus ouvert par la victoire de Syriza qui a culminé au moment du non massif au référendum, le point d’arrivée est, non pas une défaite « définitive », mais on s’oriente vers une première défaite tant pour le peuple grec que pour la gauche radicale en Europe. Et sur cette base une nouvelle phase s’ouvre.
Je suppose connu le cadre général de l’accord signé : renforcement des mesures d’austérité et mise sous tutelle (malgré quelques marges de manœuvre) et seulement une évocation orale de la restructuration de la dette.
1- Les divisions apparues au sein des « classes dominantes » autour du « plan » proposé par le gouvernement Grec ont bien continué à rendre visible la crise systémique au sein de l’UE. La question grecque en est le centre, mais il faut souligner les déplacements qui se sont opérés. Le refus d’un peuple (les Grecs) des politiques d’austérité surdétermine certes les données de la situation, mais il est partiellement occulté par une autre mise en scène : le sauvetage (ou pas) de la zone euro. L’axe USA/FMI/France a affiché une forte préoccupation du maintien de la Grèce dans l’Europe ; l’Allemagne semblait moins s’en soucier. Cela dit l’accord était prévisible. Et les discours sur la victoire que représente le maintien de la zone euro apparaît comme le point majeur, au détriment des discussions sur les politiques d’austérité. Le lien organique entre nécessité de la zone euro (comme expression de l’avancée de l’Europe) et nécessité de l’austérité en sort renforcé.
2- Il faut naturellement dénoncer les terribles pressions de la troïka, des « classes dirigeantes » européennes, etc. Mais on peut ne peut occulter les discussions sur les bilans du gouvernement Tsipras. Il faut, je crois, distinguer deux périodes.
Dans la première, il a mené une politique remarquable, y compris dans ses axes généraux (tribune au Monde, discours à l’assemblée) au moment du référendum et (outre que ce n’était pas une de ses promesses électorales), il me semblait faux de vouloir introduire d’entrée comme clivage stratégique la rupture avec l’euro. Voire, parfois, en faire une de grille de lecture des futures capitulations de Tsipras.
Mais le succès formidable du non au référendum a ouvert une phase d’affrontement qu’il fallait préparer, certes par des relances de négociation, mais aussi un plan B de décrochage provisoire de l’euro et non de l’UE : il y a des pays membres de l’UE et non de la zone euro. Les éléments technico-économiques sont à présent assez connus : une « réquisition » de la banque centrale par l’Etat, un défaut de paiement, décider que l’Euro ne dispose plus d’un cours légal sur le territoire et créer une nouvelle monnaie, etc. Jacques Sapir, a fait une note détaillée à ce propos le 11 juillet : « Les conditions d’un Grexit ». Eric Toussaint, coordinateur de la commission sur la dette propose des formules proches, tout en expliquant qu’elles peuvent être prises dans le cadre de l’euro ; cela dit, elles vont dans le même sens.
Naturellement cela aurait entraîné de grosses secousses politiques et sociales, mais rien ne permet de dire qu’elles seraient qualitativement plus dévastatrices que la dynamique portée par le plan actuel.
3.Tsipras a fait un choix politique différent avec la proposition de renégociation sur la base des propositions rejetées par le non massif et dynamique (par exemple, 85 % des jeunes de 18-24 ans ont voté non). La mécanique enclenchée était alors inéluctable. Certes, comme je l’ai souligné, des tensions sont apparues avec des secteurs de la droite européenne, mais la logique enclenchée était de prioriser le maintien dans l’euro et son fonctionnement actuel à toute autre considération. Tsipras s’est engagé dans un piège.
Le point d’arrivée est l’accord de dimanche. Il est difficile d’en prévoir les effets à court et moyen terme. Une des conséquences politiques immédiates va être un glissement de Tsipras vers un gouvernement de type « centre gauche », sous pression directe de Bruxelles. Le plus logique serait que cela conduise à de nouvelles élections. Mais le calendrier est déjà bien chargé.
Une dernière remarque. J’ai parlé du choix politique différent de Tsipras. Il me semble décisif d’employer ce type de formule, et non de se lancer dans la dénonciation d’une capitulation, voire de trahison. Le soutien au peuple Grec est bien sûr décisif. Pour ce qui concerne la solidarité avec l’actuel gouvernement, elle était indispensable. Pour le gouvernement à venir, il faut attendre d’en connaître les contours.
La seule alternative sérieuse à ce type d’analyse, consisterait à dire que Tsipras n’avait pas d’autres choix que de signer les propositions. Mais cela amorce d’autres débats.
Antoine Artous, lundi 13 juillet 2015