Le soutien de la Chine aux bourses ne rassure pas les investisseurs
Soutenir les actions des entreprises cotées à Shanghaï et Shenzhen, mais jusqu’à quel point et jusqu’à quand ? C’est tout le dilemme actuel des autorités chinoises, confrontées à une très forte volatilité des marchés. Au printemps, c’est la – trop – rapide ascension des Bourses (152 % sur un an au 12 juin), financée essentiellement sur de l’endettement, qui avait alarmé l’Etat chinois.
Avant l’été, c’est la chute des indices boursiers, qui l’avait contraint à intervenir pour soutenir les cours. Cette politique d’« assistance » est toujours en vigueur. Elle a d’ailleurs été réaffirmée lundi 27 juillet. Mais Pékin ne souhaite pas qu’elle contribue à générer de nouvelles… fortes hausses.
Une chose est sûre en tout cas : en ce début de semaine, le marché boursier chinois est entré dans une nouvelle phase de turbulences. L’indice Composite de Shanghaï a subi d’importantes variations mardi 28 juillet, entamant la séance par une chute de 4 %, avant de finir la journée sur une baisse de 1,68 %. La veille, il avait enregistré sa plus forte chute depuis huit ans, dégringolant de 8,5 % sur une seule séance. Plus de la moitié des valeurs avaient atteint le plancher de variation de 10 % sur une séance toléré par le régulateur. Le deuxième marché du pays, Shenzhen, a, lui aussi, subi une baisse de 7 % sur la journée de lundi, avant de clore sur une baisse de 2,24 %, mardi.
Nombre d’investisseurs paraissent décidés à prendre leurs gains. Ils craignent que le rebond intervenu sur les marchés, après le plus bas enregistré le 8 juillet, soit bientôt effacé. Les indices boursiers ont repris 6 % en trois semaines (+ 17 % avant la séance de lundi). Mais c’est essentiellement grâce au soutien apporté par Pékin, qui a exigé des grandes banques du pays qu’elles prêtent à un fonds, baptisé China Securities Finance Corporation, chargé d’appuyer, lorsque nécessaire, le cours des grands groupes du pays.
Récupérer ce qu’il y a à gagner tant qu’il en est encore temps
Beaucoup de financiers redoutent une dégringolade lorsque s’estompera ce soutien artificiel et préfèrent donc récupérer ce qu’il y a à gagner tant qu’il en est encore temps, car ils ne croient pas cet équilibre durable. Et, surtout, les investisseurs chinois voient bien que ce rebond des marchés est décorrélé des fondamentaux de la deuxième économie de la planète qui, eux, restent peu encourageants.
Lundi matin, des statistiques officielles ont fait état d’une baisse de 0,3 % des bénéfices des industriels chinois au mois de juin, alors qu’ils étaient à la hausse les deux mois précédents. Vendredi 24 juillet, l’indice de production des usines et mines du pays, compilé pour le groupe de presse économique Caixin, indiquait la plus forte contraction de l’activité dans l’industrie chinoise depuis quinze mois.
Si la police a ouvert des enquêtes sur plusieurs traders pariant à la baisse – une manière de mettre les autres en garde –, le régulateur a répété, lundi, qu’il ne fera preuve d’aucune tolérance envers ceux qui « s’engageraient dans des ventes à découvert malveillantes ». Les actionnaires majeurs et dirigeants d’entreprise ont d’ailleurs reçu l’ordre de ne pas vendre leurs titres en ce moment et les nouvelles introductions en Bourse ont été suspendues.
Lundi, l’agence Reuters signalait que China Securities Finance Corporation a rendu plus tôt que prévu une partie des fonds empruntés auprès des grandes banques chinoises, appuyant les rumeurs circulant entre traders d’une prochaine réduction de l’appui de Pékin.
« Le marché décidera quel prix il juge le plus acceptable »
Après la séance de lundi, au cours de laquelle la première place de Chine continentale a subi sa plus forte baisse depuis 2007, le régulateur a dû préciser que le fonds soutenu par l’Etat injectera à nouveau de l’argent pour éviter les « risques systémiques ». La semaine précédente, la commission de régulation boursière avait déjà été contrainte de démentir un article d’un magazine économique respecté, Caijing, selon lequel elle réfléchissait au moyen de réduire son appui au marché.
Pour Chen Jiahe, chef de la stratégie chez Cinda Securities, aussi forte que soit son emprise sur l’économie, le gouvernement chinois n’a pas, à lui seul, le pouvoir de retenir la Bourse à terme. « Le gouvernement ne peut soutenir les cours éternellement, le marché décidera à un moment quel prix il juge le plus acceptable », juge M. Chen.
Selon lui, la volatilité actuelle est fortement liée au fait que quantité d’investisseurs ont emprunté les fonds qui leur ont permis de profiter de la hausse sur l’année écoulée et se trouvent d’autant plus inquiets au moindre retournement. « Ce levier suscite un effet domino quand intervient une vague de vente. Depuis début juillet, les petits investisseurs paniquent, or ils représentent 90 % des volumes d’échange ». Les mouvements de balancier en sont d’autant plus anxiogènes.
La politique de sauvetage du gouvernement montre ainsi ses limites. Même la très officielle agence de presse Chine Nouvelle a relevé, lundi, que si certains économistes ont salué la démarche du gouvernement, évitant une contamination au reste de l’économie, « certains suggèrent que des mesures basées davantage sur le marché soient adoptées car ils considèrent que l’intervention du gouvernement ne fait que repousser l’inévitable. »
Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)
Journaliste au Monde
* LE MONDE ECONOMIE | 28.07.2015 à 09h37 • Mis à jour le 28.07.2015 à 15h27 :
ttp ://www.lemonde.fr/economie/article/2015/07/28/le-recul-des-indices-boursiers-met-la-politique-de-pekin-a-rude-epreuve_4701835_3234.html#SKKJcYLGQTBV6uyC.99
Chine : à la Bourse, les investisseurs anticipent la fin du soutien de l’Etat
La Bourse de Shanghaï a enregistré, lundi 27 juillet, sa plus forte chute depuis huit ans, dégringolant de 8,5 % sur une seule séance, alors que le soutien que lui a apporté le gouvernement ces dernières semaines, pour mettre fin à une dévaluation anxiogène, montre ses limites.
Plus de la moitié des valeurs ont atteint le plancher de variation de 10 % sur une séance tolérée par le régulateur. Le deuxième marché du pays, Shenzen, a, pour sa part, subi une baisse de 7 % sur la journée de lundi.
Les investisseurs chinois en reviennent aux fondamentaux, plutôt sources de pessimisme, après un rebond dopé par l’ordre donné, au début de juillet, par l’Etat aux banques et aux maisons de courtage d’appuyer le marché, tant que celui-ci ne sera pas remonté à 4 500 points à Shanghaï. L’indice est tombé lundi après-midi à 3 725 points.
Plus tôt dans la journée, des statistiques officielles avaient fait état d’une baisse de 0,3 % des bénéfices des industriels chinois au mois de juin, alors qu’ils étaient à la hausse les deux mois précédents.
Vendredi déjà, l’indice de production des usines et mines du pays, compilé par le groupe de presse économique Caixin, indiquait la plus forte contraction de l’activité dans l’industrie chinoise depuis quinze mois.
Enquêtes sur plusieurs traders
Dans ce contexte peu encourageant pour la deuxième économie de la planète, beaucoup d’investisseurs préfèrent prendre leurs gains et profiter ainsi du rebond des cours, intervenu après le plus bas du 8 juillet, plutôt que de risquer de nouvelles palpitations.
Si le marché a repris 6 % en trois semaines (17 % avant la séance de lundi), c’est essentiellement grâce au soutien apporté par Pékin, qui a exigé des grandes banques du pays qu’elles prêtent à un fonds baptisé China Securities Finance Corporation, chargé d’appuyer, lorsqu’il est nécessaire, le cours des grands groupes du pays. Lundi, le régulateur chinois des marchés, cité par les médias d’Etat chinois, annonçait que les autorités avaient l’intention de poursuivre leur politique de rachat d’actions sur le marché.
En parallèle, la police a ouvert des enquêtes sur plusieurs traders pariant à la baisse, une manière de prévenir les autres. Les actionnaires majeurs et dirigeants d’entreprises ont reçu l’ordre de ne pas vendre leurs titres en ce moment. Les nouvelles introductions en bourse ont également été suspendues.
Après une intervention aussi lourde de l’Etat, beaucoup de financiers craignent une rechute lorsque s’estompera ce soutien artificiel et préfèrent donc récupérer ce qu’il y a à gagner maintenant, car ils ne croient pas à un équilibre durable.
« Le gouvernement ne peut soutenir les cours éternellement, le marché décidera à un moment quel prix il juge le plus acceptable », constate Chen Jiahe, chef de la stratégie chez Cinda Securities.
« L’intervention du gouvernement ne fait que repousser l’inévitable »
Le Wall Street Journal cite Fu Xuejun, un responsable de la stratégie chez Huarong Securities, qui se demande si cette nouvelle vague d’instabilité n’est pas le fait même de Pékin, les autorités « souhaitant [vérifier] si le marché a retrouvé sa résilience », car l’idée du gouvernement était uniquement de le forcer à se stabiliser et non de repartir à des sommets synonymes de bulle.
De fait, beaucoup anticipent un retour à la réalité un jour ou l’autre, le gouvernement central ne pouvant, malgré son emprise sur l’économie et les banques, inverser la donne, à savoir que le marché avait gagné 152 % en un an jusqu’au 12 juin, alors que l’économie réelle, de son côté, ne faisait que ralentir.
Les investisseurs en tiennent compte, après s’être réjouis plus tôt ce mois-ci du soutien étatique. Même la très officielle agence de presse Chine nouvelle a relevé, lundi, que si certains économistes ont salué la démarche du gouvernement, évitant une contamination au reste de l’économie, « certains suggèrent que des mesures fondées davantage sur le marché soient adoptées, car ils considèrent que l’intervention du gouvernement ne fait que repousser l’inévitable ».
Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)
Journaliste au Monde
* Le Monde.fr | 27.07.2015 à 16h05 • Mis à jour le 27.07.2015 à 19h30
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/07/27/chine-a-la-bourse-les-investisseurs-anticipent-la-fin-du-soutien-de-l-etat_4700914_3234.html#OJucQHxGKL7zdOO4.99
La machine de guerre de Pékin pour ramener l’ordre à la Bourse
En ce samedi 4 juillet au matin, alors que le week-end commence à peine, les dirigeants des vingt-et-une principales maisons de courtage en Bourse de Chine sont convoqués à Pékin dans le bureau de la commission de régulation boursière. A Shanghaï, le marché vient de perdre 30 % de sa valeur en trois semaines après une année de hausse surréaliste. Tels des écoliers convoqués chez le proviseur, ces grands financiers de la deuxième économie mondiale n’ont pas droit à la parole, ne peuvent pas négocier. Les régulateurs boursiers leur dictent ce qu’ils vont devoir faire, à savoir virer le lundi 6 juillet, au plus tard 11 heures, un montant cumulé de 120 milliards de yuans (17,8 milliards d’euros) vers une structure nommée China Securities Finance Corporation (CSF), afin que celle-ci puisse investir, si besoin, dans les grandes valeurs chinoises pour stabiliser leurs cours sur les places de Shanghaï et Shenzhen.
Cette scène est racontée par un des magazines économiques chinois de référence, Caixin, alors que l’ampleur des mesures déployées par le gouvernement chinois pour éviter le grand krach commence tout juste à être révélée.
Changement radical de politique
C’est la pratique des appels de marge, permettant aux investisseurs d’emprunter auprès des courtiers pour investir, qui a, pour une large part, conduit à une hausse vertigineuse de l’indice de Shanghaï ces derniers mois (150 % en un an). Le montant placé en Bourse grâce à des fonds empruntés aux courtiers est ainsi passé de 400 milliards de yuans en juillet 2014 à 2 200 milliards un an plus tard, sans compter les probables 2 000 autres milliards empruntés par l’intermédiaire d’autres filières, ne laissant guère de doute sur l’origine assez artificielle de l’impressionnante ascension de la Bourse chinoise, malgré le ralentissement de la croissance du PIB.
Pékin ayant tenté, au printemps, d’encadrer fortement cette pratique de l’investissement par la dette, c’est précisément cette restriction qui a suscité la violente dégringolade des marchés. Les autorités chinoises ont donc changé leur fusil d’épaule, leur priorité devenant de soutenir le marché à l’« arme lourde ». Outre leur nouvelle contribution au CSF, les financiers ont dû s’engager, à l’issue de la réunion du 4 juillet, à ne pas vendre leurs actions jusqu’à ce que la Bourse de Shanghaï, alors tombée à 3 600 points, remonte à 4 500. Un financier a osé proposer qu’un comité représentant ces sociétés de Bourse prenne les décisions d’investissement. Pas question !, lui a rétorqué le régulateur, bien décidé à prendre, seul, les choses en main.
Remède de cheval
Publication respectée pour son indépendance, Caixin compare l’effort des autorités chinoises pour s’assurer que le marché se stabilise à un rassemblement de généraux établissant une stratégie sur le champ de bataille. Après cette réunion du 4 juillet, chaque jour après la clôture, les principaux officiels chargés de suivre le marché se sont réunis autour de Xiao Gang, le président de la commission de régulation boursière, un mandarin anciennement à la tête de la Banque de Chine.
L’« effort de guerre » ne s’arrête pas là. Aux yeux de Pékin, la violence du retournement boursier a mis directement en péril l’économie et risqué de susciter le mécontentement chez les 90 millions de petits boursicoteurs du pays. Le ministère de la sécurité publique a ouvert des enquêtes sur les traders misant de manière « malicieuse », un terme sujet à interprétation qui peut tout autant viser des pratiques illégales telles que le délit d’initié ou le seul fait de ne pas vouloir parier sur le rebond du marché attendu par Pékin.
Pour le gouvernement chinois, la solution est claire : il faut s’assurer que CSF dispose des moyens suffisants pour soutenir le marché au cas où. Il en fait aujourd’hui son remède de cheval si la Bourse venait de nouveau à lâcher. Les grandes banques du pays, dont l’Etat est actionnaire majoritaire et les patrons aux ordres du parti unique, ont, elles aussi, été invitées à mettre la main à la poche. Vendredi 17 juillet, un autre magazine respecté, Caijing, précisait que 17 banques ont prêté ces dernières semaines pour environ 1 300 milliards de yuans, soit plus de 190 milliards d’euros, au fonds CSF chargé de stabiliser le cours des deux grandes places de Chine continentale, Shanghaï et Shenzhen.
Hausse de 12 % depuis le 8 juillet
Les cinq plus grands établissements du pays, parmi lesquels la Banque industrielle et commerciale, ont chacun fourni plus de 100 milliards de yuans, soit 15 milliards d’euros, la palme revenant à la sixième banque du pays, Merchants Bank, qui a prêté pour près de 28 milliards d’euros. « Certainement de quoi rassurer le marché sur le fait que le manque de liquidités, comme on l’a vu avec les énormes fluctuations il y a quelques semaines, ne réapparaîtra pas de si tôt », constate Chen Jiahe, directeur de la stratégie chez Cinda Securities.
Le même CSF a également accès à des financements de la banque centrale chinoise. De sorte que ce fonds a, selon des sources citées par l’agence Bloomberg, potentiellement à sa disposition jusqu’à 3 000 milliards de yuans (446 milliards d’euros) à prêter aux sociétés de bourse en cas de besoin pour faire remonter les grands indices du pays. Cette somme correspond à 25 fois le montant mis de côté à l’issue de la réunion à laquelle leurs patrons furent convoqués, le 4 juillet.
On est bien loin de l’engagement pris par le secrétaire du Parti communiste, Xi Jinping, de laisser sous son mandat le marché jouer un rôle décisif. Mais, de fait, la Bourse de Shanghai est remontée de 12 % depuis son plus bas du 8 juillet.
Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)
Journaliste au Monde
* LE MONDE ECONOMIE | 20.07.2015 à 10h02 • Mis à jour le 20.07.2015 à 12h04 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/07/20/la-machine-de-guerre-de-pekin-pour-ramener-l-ordre-a-la-bourse_4690722_3234.html#QRyFjcco33DOp8A3.99