Le mercredi 13 août 2015, aux alentours de 23h30 (heure locale), de puissantes déflagrations sont survenues dans la zone portuaire de Tianjin, un des dix plus grands ports du monde. Il semble qu’un incendie dans un entrepôt propriété de la firme Tianjin Dongjiang Port Ruihai International Logistics – qui était autorisée à stocker des « produits dangereux » malgré ses manquements en matière de sécurité – soit à l’origine des explosions. Les autorités ont, de suite, arrêté des « cadres » de cette firme. Ce qui s’inscrit dans la politique traditionnelle comme l’explique un responsable de l’ONG China Labour Bulletin, basée à Hong Kong : « En général, dans ce type de cas, les autorités trouvent des boucs émissaires, certains responsables vont être licenciés ou rétrogradés, mais les choses vont finalement très peu changer, en dépit de la grande publicité qui entoure cette tragédie. »
En date du 16 août, le pouvoir se devait aussi de reconnaître la mort de 114 personnes et l’hospitalisation de 722 blessés et la disparition de 85. Le funeste décompte n’est pas terminé. Le même jour, le général Shi Luze, chef d’état-major de la région militaire de Pékin – la capitale se trouve à quelque 140 kilomètres de cette ville de 14 millions d’habitants –, était contraint de reconnaître que plusieurs centaines de tonnes de matériau hautement toxique se trouvaient entreposées en deux points du site. La presse chinoise, pourtant étroitement contrôlée, avait déjà indiqué la présence de 700 tonnes de cyanure de sodium. Les médias internationaux suivent cet « accident industriel » difficile à camoufler. D’autant plus que dans cette zone sont installées Toyota et Renault. Les parcs de voitures qui flambent en témoignent.
Les projecteurs se sont moins focalisés sur deux autres « accidents » survenus un jour avant. En effet, dans la nuit du 11 au 12 août 2015, une explosion sur un gisement de charbon et de gaz a tué 13 personnes dans la province du Guizhou (sud-ouest). Un fait courant. En 2014, dans les mines de charbon 921 travailleurs n’avaient-ils pas été « enregistrés » comme décédés, suite à un accident ? La même nuit du 11 au 12 août, un glissement de terrain sur le site de vanadium (métal rare) à Shangluo (sud) a enseveli plus de 60 ouvriers dans les dortoirs de la mine.
Une confusion est aussi entretenue sur le statut des pompiers. Ceux engagés par les grandes firmes (chimiques, par exemple) n’ont ni la même formation (d’où une erreur commise dans l’attaque de l’incendie initial), ni le même équipement, ni les mêmes salaires que ceux qui dépendent des autorités étatiques. Ce sont des informations sur le sort de ces jeunes – comme le montrent d’ailleurs les photos – que réclament leurs familles. Les extincteurs de la censure ont été particulièrement actifs… pour noyer plus de 50 sites web accusés de diffuser « des rumeurs » et « semer la paniques ». On peut appréhender la fréquence des « accidents industriels » en examinant la carte interactive mise en ligne par China Labour Bulletin [1].
Ces « catastrophes industrielles » s’imbriquent avec une politique de développement où le contrôle du Parti-Etat sur les secteurs clés de l’industrie est décisif. Au travers des SOEs (State-owned Enterprises, firmes propriété de l’Etat) et sous la supervision du SASAC (Commission de supervision et d’administration de biens publics relevant du conseil des affaires d’Etat), les sommets du PCC (Parti communiste chinois) ont la maîtrise du système bancaire, de l’énergie (mine, pétrole, atome), de l’industrie lourde, des télécommunications, de l’industrie aérospatiale, des chemins de fer, de l’armement, etc. La cotation en Bourse de China National Petroleum Corporation, de Baosteel Group Corporation ou de State Grid Corporation of China ne change pas leur statut, même si le nom a été modifié et un PdG élu…par le cercle dirigeant d’un parti qui réunit 86 millions de membres. Un PdG qui, certes, dispose d’une certaine autorité lui permettant de dicter des investissements pour autant qu’ils convergent avec les intérêts de ses mandants en termes de choix politiques de « croissance » et d’enrichissement personnel ainsi que d’influence. Les SOEs en jonction avec le pouvoir central, les pouvoirs régionaux et locaux restent un élément central d’un système de pouvoir politique dans lequel s’intrique la nomenklatura du Parti-Etat et de l’armée, qui a recours à un puissant discours nationaliste. La stabilité de ce système implique, d’un côté, d’intégrer les capitalistes privés (dans le parti, quand ils n’en sont pas issus directement ou indirectement comme « fils de ») et, de l’autre, de chercher à offrir un emploi aux 12 millions de jeunes qui entrent chaque année sur le marché du travail. Les investissements les plus excessifs sont, dès lors, justifiés au nom de la « création d’emplois », tout en répondant à des exigences d’enrichissement et/ou d’extension de l’ascendant politique des « décideurs ». La corruption ne peut que se lover dans cet enchevêtrement.
L’article de Richard Smith, de l’Institute for Policy Research and Development (Londres) que nous publions par ailleurs dans une traduction partielle [2] opère une description du désastre écologique en cours. Le drame de Tianjin n’en est qu’une facette. Dans le documentaire de Chai Jing sur la pollution en Chine, titrée Under the Dome, qui peut être vu sur youtube, sous-titré français [3] le directeur de la division pollution émise par des véhicules du Ministère de la protection de l’environnement résume par cette formule son influence face à ceux qui n’appliquent pas les règlements et ne respectent pas les lois : « Je ne m’avise pas d’ouvrir ma bouche de peur que les pollueurs puissent voir que je n’ai pas de dents. »
Rédaction A l’Encontre