Le 14 août, Aunos, un gypaète barbu âgé de 5 mois, dépliait pour la première fois ses ailes au-dessus du parc national du Mercantour, dans les Alpes. Fin juin, s’extirpant de son nid de laine de mouton et de branchages lové dans les falaises, l’un des deux petits nés cet hiver dans le parc national des Pyrénées déployait également son envergure définitive de trois mètres. Ce vautour et plus grand rapace d’Europe, avec son mètre de long, son poitrail orangé, son plumage cendré et son œil jaune cerclé de rouge, se refait une santé après avoir failli disparaître.
Il ne resterait plus qu’une centaine de couples en France, dans le Mercantour, les Cévennes, en Corse et dans les Pyrénées. Ces récentes naissances et envols sont le fruit des mesures prises pour préserver l’espèce, considérée comme « en danger » en France par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) – alors qu’au niveau mondial sa situation est moins préoccupante.
Mené depuis la Suisse par la Fondation pour la sauvegarde des vautours, un programme international de réintroduction a démarré en 1986. Depuis, 235 gypaètes barbus ont été réintroduits en Europe. Nés en captivité dans des centres d’élevage, ils sont ensuite relâchés jeunes afin qu’ils puissent s’adapter à leur nouvel environnement.
Charognard exclusif
« Il n’y a pas d’équivalent chez les oiseaux. Après sa quasi-disparition, il est redevenu le symbole de la vie sauvage en montagne et profite de la bonne presse dont bénéficient les rapaces depuis quelques années », estime Jean-Claude Thibault, ornithologue basé en Corse. Unique par sa taille et son allure, il l’est aussi dans son comportement.
Charognard exclusif, spécialisé dans la consommation d’os et de ligaments qu’il digère grâce à des sucs gastriques particulièrement acides, ce « casseur d’os » se nourrit de carcasses préalablement nettoyées par d’autres animaux. Pour cela, il ramasse les os de brebis ou ongulés dépecés, s’envole, puis les relâche pour qu’ils aillent se fracasser sur des aires de rochers bien choisies.
Dans les Pyrénées, malgré la hargne des chasseurs et des croyances anciennes qui faisaient faussement de lui un « démon du ciel », le gypaète barbu est toujours resté présent, avec une quarantaine de couples recensés. Il bénéficie aujourd’hui de nombreuses mesures de protection : conventions passées avec l’armée afin d’aménager les zones de vol des avions militaires, avec EDF pour différer des travaux, interdiction de chasse ou encore mise en garde des touristes. Au printemps, le Réseau de transport d’électricité a même dû retarder de deux mois les travaux sur un pylône de ligne à haute tension emporté par une avalanche, celui-ci se trouvant juste en dessous de l’un des nombreux nids construits sur l’aire de vie du nouveau-né.
« C’est l’oiseau le plus cher de France », s’amuse Jérôme Lafitte, technicien et chef de secteur à Luz-Saint-Sauveur, dans le parc national des Pyrénées. Pour ces agents et les scientifiques, c’est une aubaine pour décrypter le mode de vie de l’équarrisseur du ciel. Partant pour des voyages erratiques jusqu’à l’âge de 6 ou 7 ans, les mâles se fixent ensuite sur un territoire lorsqu’ils y ont trouvé une compagne. Ils ne se quitteront plus jusqu’à leur mort, parfois à plus de 40 ans.
Sur ces aires, ils confectionnent plusieurs nids pour y élever leur progéniture, en moyenne un poussin viable tous les trois ans. En période de reproduction, il est le seul animal à aller se baigner dans des sources d’eau ferrugineuse qui colorent son poitrail d’un orangé vif, cela pour impressionner d’éventuels rivaux.
Risques de consanguinité
Si leur présence semble augmenter dans les Pyrénées et se stabiliser dans les Alpes – les parcs italien des Alpi Marittime et français du Mercantour se sont associés au programme de réintroduction, soutenus par la Fondation Albert II de Monaco depuis 2007 – c’est en Corse que les efforts devraient maintenant se poursuivre. Là, malgré une présence qui remontait à 10 000 ans, le gypaète barbu a été victime de la lente baisse du pastoralisme et donc de sa nourriture privilégiée.
José Torre, agent du parc régional, ne peut que constater ce déclin : « Nous avions effectué un premier recensement en 1977, et si nous n’avions pas bénéficié d’un programme européen en 2000, il n’y aurait plus de gypaètes en Corse. » D’après le suivi grâce à des GPS, on ne compterait aujourd’hui que cinq couples sur l’île. L’oiseau tenterait de rejoindre d’autres territoires pour se reproduire, et ainsi échapper ainsi aux risques de consanguinité.
Imaginer et créer un couloir reliant les Alpes via les Cévennes et la Corse en direction des Pyrénées, c’est le défi actuel relevé par les différents parcs, appuyés par un vaste programme du ministère de l’écologie sur la période 2010-2020. Pour
Nathalie Siefert, nouvelle directrice scientifique du parc du Mercantour, « suivre et s’occuper de cet animal, au-delà de son comportement, provoque un sentiment incroyable, rempli d’émotions et d’affectif ».
Philippe Gagnebet (Parc national des Pyrénées et Corse, envoyé spécial)
Journaliste au Monde