On ne peut qu’être frappé par l’apathie qui a précédé les élections législatives en Grèce. Alors que celles du mois de janvier avaient été précédées par un débat politique intense, ces dernières se sont déroulées dans un climat maussade qui contrastait avec la mobilisation populaire ayant eu lieu à l’époque ou au moment du référendum. C’est que, alors que les élections de janvier avaient pour enjeu une rupture avec l’ordre néolibéral imposé par la Troïka, celles de septembre semblaient sans enjeu politique réel après que le gouvernement Tsipras ait accepté de se plier aux conditions des institutions européennes en acceptant un troisième mémorandum encore pire que les précédents.
La lassitude de la population s’est exprimée par une forte abstention, ce qui n’a pas empêché Tsipras de gagner son pari. Ces élections avait pour lui un double objectif : faire légitimer son acceptation du mémorandum et se débarrasser de l’aile gauche de Syriza qui refusait ce tournant. C’est chose faite. Dans la situation actuelle, les Grecs ont considéré que Tsipras était la moins mauvaise solution. L’Unité populaire subit un échec puisque ce parti, qui refusait d’accepter le mémorandum, n’arrive pas, avec moins de 3 % des suffrages, à entrer au parlement. Cet échec s’explique certes par la fatigue d’une population harassée par des mois de confrontation politique et par le fait qu’il s’agit d’une formation créée en quelques semaines. Mais l’orientation mise en avant, la sortie de l’euro, a probablement effrayé nombre d’électeurs pourtant critiques du tournant de Tsipras.
Reste maintenant le fait que le futur gouvernement grec va devoir appliquer, sous le contrôle tatillon des institutions européennes, les sévères mesures d’austérité contenues dans le troisième mémorandum. Ses marges de manœuvres seront infimes. Tsipras réussira-t-il son pari de compenser les mesures d’austérité en relançant la machine économique ? Quelle sera la réaction de la société grecque déjà profondément déstructurée par cinq années de purge sociale et alors que la question des migrants prend chaque jour un peu plus d’importance dans un pays où les néonazis d’Aube dorée sont toujours aussi présents ? Les mouvements sociaux auront-ils la capacité de peser sur le cours des choses après la déception et l’amertume qu’a entrainé la capitulation de Tsipras ? Ce dernier va-t-il réussir à faire taire toute opposition dans Syriza ou la crise de ce parti va-t-elle continuer ? Le parti Unité populaire sera-t-il capable de rebondir ? Autant de questions aujourd’hui sans réponse.
Pour toutes celles et ceux qui avaient suivi avec espoir l’arrivée de Syriza au gouvernement, l’heure est aux leçons à en tirer. Un gouvernement de gauche voulant rompre avec les politiques néolibérales fera face à l’opposition acharnée des dirigeants européens qui feront tout pour l’étouffer. Comment alors construire les rapports de forces nécessaires ? Prendre des mesures unilatérales, même si elles sont contraires aux traités et aux directives européennes, est la condition pour appliquer un programme de rupture. Il n’y aura pas d’alternative aux politiques néolibérales sans l’ouverture d’une crise politique en Europe.
C’est dans ce cadre que se pose la question de la sortie de l’euro. Sortir de l’euro a d’abord un coût économique important et ses possibles bénéfices prendraient un certain temps. La sortie a aussi un coût politique. Au-delà même du fait que, dans beaucoup de pays européens, la population reste attachée à l’euro, la sortie marquerait un échec pour une tentative de refondation de l’Europe sur des bases progressistes. C’est pourquoi elle ne peut être un projet en soi. Elle ne peut cependant être a priori exclue : si un pays décide d’entamer un bras de fer avec les institutions européennes, ces dernières en retour pourraient en prendre l’initiative. L’objectif est de rompre avec l’austérité et le néolibéralisme, dans la zone euro si possible, en dehors si nécessaire.
Pierre Khalfa