UDC, Union démocratique du centre, le moins qu’on puisse dire, c’est que le nom du principal parti politique suisse ne paie pas de mine. Pour un peu, on imaginerait un honorable parti bien policé, bien élevé, adapté à l’ambiance feutrée des salles de coffres. Bref, une sorte de Modem en version calviniste. Il n’en est rien, l’UDC est bien un parti d’extrême droite, même s’il refuse cette étiquette.
Grand vainqueur des élections fédérales
En octobre 2015, pour la cinquième fois de suite depuis 1999, l’UDC a confirmé sa première place au sein de la vie politique helvétique en obtenant le meilleur résultat jamais atteint : 29,4%, loin devant le Parti socialiste qui recueille 18,8%.
La poussée est générale, mais l’étude des votes par canton fait apparaître une forte hétérogénéité en fonction de la langue majoritairement parlée. Dans les cantons dits « latins » – Neuchâtel, Genève, Jura, Fribourg, Valais et Tessin –, l’UDC est partout en-deçà de son score national : entre 12,8% (Jura) et 25,9% (Fribourg). Même au sein de ce dernier canton, le seul à avoir placé l’UDC en tête, il existe une forte différence entre les districts de l’est, de langue allemande, et ceux à l’ouest, francophones.
En revanche, la Suisse alémanique plébiscite le parti d’extrême droite. Si les résultats du petit canton de Nidwald ne sont heureusement pas très significatifs (82,8%), les suffrages obtenus par l’UDC sont en général très supérieurs à 30%. (voit les différents résultats
Une campagne sur le thème des réfugiés
La presse suisse, comme internationale, a beaucoup insisté sur l’impact de la crise des migrants en Europe dans le renforcement de l’UDC. C’est en effet sur ce thème que le parti d’extrême droite avait choisi d’axer sa campagne. Sur son site, on peut d’ailleurs trouver une pétition « pour un référendum contre la loi sur l’asile ».
Creusant le sillon traditionnel de l’invasion et du grand remplacement, le parti suisse exploite toutes les ressorts identitaires et xénophobes. Un tract de la campagne est particulièrement éclairant (ci-dessous) : un graphique annonce une suisse à 10 millions d’habitants dont 5,2 de Suisses de naissance (de souche ?) d’une part, une envolée d’étrangers et de naturalisés d’autre part. Le tout est ponctué d’un slogan : « Engagez vous contre une immigration sans limite, une menaces sur nos places de travail et les abus dans l’aide sociale ».
Comme souvent, la réalité est toute autre. En 2013, le conseil fédéral avait lancé un premier plan d’accueil de 500 demandeurs d’asile syrien. Depuis, en mars 2015, c’est un programme permettant l’arrivée de 3.000 réfugiés sur trois ans qui a été adopté. Des objectifs modestes à l’échelle d’un pays comme la Suisse.
Une montée générale de l’extrême droite
En 2009, l’UDC avait mené une initiative populaire « contre la construction des minarets ». Bien que tous les autres partis aient appelé à voter non, le oui l’avait tout de même emporté avec 57,5%. L’affiche de campagne avait alors fait grand bruit : une femme en burqa noire placé devant une série de minarets noirs plantés dans le drapeau suisse.
Toujours à l’initiative de l’UDC, en 2014, par 50,3%, les Suisses s’étaient prononcés en faveur d’une limitation de l’immigration au sein de leur pays, remettant en cause l’accord de libre-circulation avec l’Union européenne. Si la confédération est un pays d’immigration – 23,5% de la population est étrangère –, 1,7 des deux millions d’immigrés viennent d’Europe, dont plus de 1,3 de l’Union européenne (principalement Allemands, Italiens et Portugais), attirés par l’eldorado helvète.
Intervenant après le score du FPÖ aux élections municipales à Vienne en Autriche (32,2%), et après celui des « Vrais Finlandais » aux élections législatives du mois d’avril (17,6%), les élections fédérales suisses viennent confirmer que les niveaux atteints par l’extrême droite ne sont pas toujours corrélés avec l’intensité de la crise économique et sociale. La relative prospérité de ces trois pays démontre que d’autres facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer la radicalisation à droite de l’électorat, l’essor de la xénophobie et des replis identitaires.
L’héritage politique de la mondialisation capitaliste
Le développement de la mondialisation capitaliste, c’est à dire la mise en place d’un marché aux règles uniformes, se traduit par une phénoménale puissance déstabilisatrice pour les États. Pour l’essentiel et même pour les plus développés, la fonction de l’État tend à se restreindre à instaurer les règles permettant la mobilité du capital, à ouvrir tous les secteurs au privé et à détruire les droits sociaux.
Reprenant ici une idée défendue par Pierre Rousset, c’est un peu comme si les classes dominantes s’émancipaient de la politique [1]. Au nom du marché mondial uniformisé, ce sont les « modes appropriés » (produits par les histoires spécifiques) de la domination bourgeoise qui sont évacués. Pourtant, « une classe ne domine pas durablement une société sans médiations ou compromis sociaux, sans légitimité ».
Génératrice de crise, la globalisation au cours de ces dernières années s’est traduite par une montée spectaculaire de nouveaux fascismes ou de proto-fascismes un peu partout sur la planète. Une situation délétère, lourde de menaces.
Guillaume Liégard, 21 octobre 2015