Éléments pour une politique concrète dans la situation concrète
1) Résolument contre l’État islamique
En s’attaquant le vendredi 13 novembre à la jeunesse de ce pays, l’État islamique (EI) a décidé d’ouvrir un nouveau front en Europe.
À l’instar de la stratégie qu’il développe dans sa zone de domination, l’EI utilise la terreur de masse pour atteindre ses objectifs.
Ces attaques répondent, nous semble-t-il, à quatre objectifs :
a) Organiser la dislocation sociale d’une société dont le mode de fonctionnement général constitue à ses yeux une intolérable provocation à ses conceptions autoritaire, religieuse et hiérarchique de l’ordre social. Paris est qualifiée de capitale de la « perversion » et la jeunesse dans toute sa diversité qui fréquente les lieux de mixité sociale et culturelle – les bars, les stades et les salles de concert – est dénoncée comme « idolâtre ».
b) Obliger les États européens à ne pas intervenir dans ses opérations militaires de construction du Califat et en premier lieu parmi ceux-ci, le plus agressif, selon lui, la France. À cette fin, il entend terroriser une opinion publique qu’il sait être un puissant levier de pression, si elle se mobilise, sur les directions étatiques, opinion publique dont le fonctionnement lui reste cependant profondément étranger et incompréhensible en raison de ses conceptions politiques. Le déclassement social de la majorité de ses auxiliaires sur le territoire européen ne lui étant pas d’une grand aide sur ce terrain.
c) Faire une démonstration de sa toute puissance aux yeux des peuples de la région qu’il entend dominer et éliminer à terme ses rivaux potentiels.
d) Procéder à cette occasion à de nouveaux recrutements moléculaires dans les sociétés européennes pour enrôler dans son armée de nouveaux déclassés destinés à servir de chair à canon à son armée.
Fruit du désordre organisé dans la région moyen-orientale par les diverses puissances impérialistes occidental, l’EI est désormais un sujet politique autonome qui détermine son orientation globale par lui-même et avec un projet politique particulier irréductible aux plans de la bourgeoisie mondiale et des différentes bourgeoisies nationales.
L’EI porte un projet antagonique aux fondements de l’essentiel de la majorité des sociétés qui peuplent la planète et qui vise au fond à substituer aux principes démocratiques élémentaires peu ou prou respectés dans nombre de pays, et en tout cas dans les sociétés européennes, un ordre théocratique organique et génocidaire.
L’EI s’est constitué en État ou proto-État dont le territoire couvre l’équivalent de l’Angleterre et où vivent des millions d’habitants. Il dispose de milliers d’ingénieurs, techniciens, travailleurs qualifiés qui lui permettent d’exploiter des gisements de pétrole et de cultiver le coton. Il bat une monnaie-or. Dans le domaine de la communication, son offensive idéologique recourt aux moyens technologiques les plus sophistiqués.
Enfin, de façon mafieuse, l’EI s’est inséré partiellement mais réellement dans la mondialisation capitaliste, en déversant sur le marché mondial sa production pétrolière et les œuvres d’art pillées, ce qui lui assure des revenus, même si la plus grande part de ceux-ci sont constitués d’impôts prélevés ou d’extorsion de rançons.
L’EI est un ennemi implacable dont aucun projet émancipateur ne pourra faire l’économie de la neutralisation et de la destruction.
Cette entreprise de neutralisation comporte des aspects politiques sociaux, idéologiques, mais également militaires dont les clés sont d’abord et avant tout entre les mains des peuples de la région moyen-orientale, à condition qu’on leur en donne les moyens matériels et politiques.
2) Résolument avec la population de France et résolument indépendants de notre propre impérialisme
Des principes et des pistes, peuvent être réfléchis et mis en avant. Face à cet assaut direct contre la population, nous ne pouvons renvoyer dos à dos notre propre impérialisme et EI.
La gauche d’émancipation européenne ne peut faire l’économie de mettre en avant des réponses adaptée à cette situation.
L’objectif est toujours la constitution d’un bloc social et politique majoritaire qui s’oppose à la fois à la terreur de l’EI et aux politiques impérialistes.
La gauche d’émancipation doit donc proposer une compréhension politique la plus aboutie de la nature de l’EI et apporter ses réponses pour sa neutralisation.
Déjà en recul tant sur le plan idéologique que politique au sein de sa propre formation sociale, elle se trouve aujourd’hui bien démunie, pour articuler des réponses cohérentes et surtout crédibles face à cet objet socio-politique qui ne correspond pas aux critères classiques de la société de classe.
Si nous combattons l’État islamique, nous sommes indépendants de notre État.
Cependant, nous ne pouvons adopter un point de vue de Sirius considérant que les massacres de Paris sont le produit de la décomposition barbare du système impérialiste mondial et que, sauf renversement de ce système de domination et d’exploitation, nous ne pourrons pas éviter ces bains de sang. Ou pire encore que les coups portés par EI le sont contre ce système et l’abîme en quelque sorte.
Nous partons du point de vue de l’intérêt général de la population. Celle-ci a été gravement agressée, c’est elle la victime et risque de l’être encore : nous ne l’acceptons pas.
Pour autant, nous n’avalisons pas la caporalisation de la société par un État dont nous ne partageons ni les méthodes, ni les objectifs fondamentaux et qui profite de cette crise majeure pour adapter son système de domination.
Contre toute agression, nous sommes pour l’autodéfense sociale, à la fois des lieux de vie et de travail et des populations discriminées et ségréguées.
Nous devons proposer des méthodes de défense qui soient entre les mains de tous et non entre celles d’un État qui pour protéger la société veut la domestiquer.
Dans l’immédiat, nous devons manifester notre opposition à l’état d’urgence inefficace et qui asphyxie la société en nous appuyant sur la contradiction entre la restriction des libertés publiques et l’appel à la « mobilisation citoyenne ». Ainsi, le couvre-feu instauré à Sens dans un quartier de la ville suite à la découverte d’armes et de faux-papiers dans la ville punit-il collectivement la population de ce quartier populaire.
Les manifestations pour les droits des femmes et les violences faites aux femmes qui étaient prévues le 21 novembre, et qui depuis ont été interdites, constituaient par exemple un moment politique important constitutif d’une réponse contre l’État islamique et sa conception de la place de la femme.
Nous appelons à l’organisation d’une vaste « sécurité collective démocratique » sur l’ensemble du territoire. Dans les aéroports, les gares et plus généralement les services publics, la sécurité doit être organisée en association avec les salariés et leurs organisations syndicales. Nous disons même sous leur contrôle, notamment pour éviter les dérapages islamophobes et xénophobes des contrôles.
Dans les entreprises privées, les CHSCT doivent être saisis de cette question et là aussi les organisations syndicales doivent exercer leur droit de contrôle sur les mesures mises en œuvre.
Nous exigeons la réorientation globale de la politique étrangère moyen-orientale de la France, la dénonciation des contrats de ventes de matériels militaires aux régimes réactionnaires de la région.
Nous exigeons du gouvernement français et de l’Union européenne qu’ils fournissent massivement le matériel militaire dont notamment les combattantes et combattants kurdes ont besoin.
3) Résolument pour les libertés démocratiques
Dés le lendemain des attentats, par milliers, les citoyens ont bravé, de façon répétée et continue, l’interdiction de rassemblement et l’état d’urgence en se rassemblant sur les lieux des attentats et sur les places de leur ville. Instinctivement, ils ont eu besoin d’une expression autonome de leur condamnation et de leur refus du terrorisme dont il ne pouvait pas laisser à l’État le monopole. En actes, ils ont occupé et reconquis un espace public que l’État leur dénie le droit d’occuper.
Contre le carcan sécuritaire d’assujettissement et non de protection, nous devons favoriser toutes les alliances démocratiques les plus larges visant à la protection des libertés de tous et de toutes.
4) Résolument contre la réaction et le patronat
Immédiatement, les forces réactionnaires se sont mises en mouvement. Citons trois exemples parmi d’autres, et nul doute que d’autres exemples se seront accumulés depuis l’écriture de cette contribution. Le Figaro le 18 novembre dénonce « la CGT [qui] ne veut pas que François Hollande fasse la guerre à Daech » et le Medef qui « demande aux patrons de signaler la radicalisation des [sic] salariés » toujours selon Le Figaro qui donne quotidiennement la feuille de route à suivre et désigne les objectifs.
23 novembre 2015
Claude Kowal (Castelnaudary), Patrick Le Tréhondat (Paris 10), Patrick Silberstein (Aubervilliers)