Pour asseoir sa proposition de dérégulation totale du marché, la Commission européenne s’appuie sur deux études censées évaluer l’impact d’une telle décision. Deux études qui ne font pas dans la dentelle. Les dégâts collatéraux à l’ouverture à la concurrence, qui sont considérés comme de nouvelles opportunités (pour qui ?), ne sont pas mineurs. Tout d’abord, si le maintien d’un service universel (service public au rabais) est stipulé, rien de précis n’est prévu pour son financement. Pourtant, tout le monde sait que le seul financement pérenne reste le maintien d’un secteur réservé, autrement dit un monopole. Mais cette solution est totalement écartée : c’est au marché de réguler !
Et là, les recettes sont, pour le moins, amères. Pour ces « experts », il est nécessaire de réduire le réseau postal, par la fermeture de bureaux et le transfert vers des partenariats privés. Il faut également revoir la facturation des services au profit des entreprises et au détriment des particuliers, une clientèle plus captive. Enfin, une remise en cause de la péréquation tarifaire géographique est également préconisée, remplacée par un « zonage territorial ». Le prix du timbre serait différent selon les zones. Pour les moins attractives, pour des raisons économiques ou pour des difficultés d’accès géographiques, les tarifs seraient plus élevés, afin d’attirer de nouveaux opérateurs et de développer la concurrence ! Enfin, il est recommandé de revoir la structure de l’emploi afin de baisser les coûts, ce qui doit se traduire par le développement du travail à temps partiel, de l’intérim et de la sous-traitance. Et, en ce qui concerne le niveau global de l’emploi, la Commission reste muette. Ce n’est pas étonnant, en Suède, où le choix de la libéralisation totale est effectif depuis plusieurs années, la poste a réduit ses effectifs de 40 % !
En France, La Poste n’a pas attendu cette directive pour entamer ces restructurations. Dans les zones rurales, le réseau des bureaux de poste a tendance à devenir désertique, au profit d’agences postales communales ou de relais poste chez les commerçants. Dans les villes, la mode est à la fermeture partielle de bureaux, par demi-journées ou journées entières. Les récentes grèves dans les Bouches-du-Rhône, à Montpellier ou à Paris, démontrent une dégradation croissante des conditions de travail. Dans les centres financiers, la création de La Banque postale se traduit par des réorganisations d’ampleur et 1 000 suppressions d’emploi par an (20 % des effectifs !). Au courrier également, les grandes manœuvres ont débuté. La mise en œuvre de « Cap qualité courrier », projet de réorganisation du réseau d’acheminement et de distribution du courrier, prévoit la destruction d’au moins 40 000 emplois (10 000 agents de centres de tri et 30 000 facteurs) sur 130 000, à l’échéance 2010. Au-delà des suppressions d’emplois, c’est toute l’organisation, et même le sens du travail, qui sont remis en question, notamment pour les facteurs. Cette évolution est d’autant plus incompréhensible que, dans tous les sondages d’opinion, la cote de popularité des facteurs flirte avec les 95 % d’usagers satisfaits. Alors, pourquoi changer ? Tout simplement pour se plier aux diktats libéraux, notamment celui de la « concurrence libre et non faussée ».
Depuis plusieurs semaines, des grèves, parfois très dures et toujours majoritaires, ont fleuri dans plusieurs départements contre les restructurations. Il s’agit d’étendre ces conflits dans une mobilisation prolongée. La grève unitaire, lancée par cinq fédérations, le 14 novembre, sera une échéance importante, mais certainement pas une fin en soi. Les postiers doivent se préparer à une lutte frontale contre leur direction et le gouvernement. La situation l’impose.