Nawaat s’est adressée à trois organisations de défense des droits humains pour connaître leur évaluation de la situation des droits de l’Homme en Tunisie, cinq ans après le déclenchement de la révolution de la liberté et de la dignité. Cette évaluation a porté sur trois thèmes : les droits économiques et sociaux, les libertés individuelles et des libertés publiques.
Abderrahmane Hedhili (FTDES)
Abderrahmane Hedhili, président du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), a critiqué les orientations économiques et sociales du gouvernement actuel, les considérant comme la continuité des politiques néolibérales sauvages appliquées depuis des décennies, et contre lesquelles le peuple tunisien s’est soulevé.
Il a également mis l’accent sur la nécessité de trouver des moyens et de nouvelles stratégies pour sauver la jeunesse tunisienne du désespoir causé par l’aggravation de la pauvreté et de la marginalisation. Et cela malgré le déclin fatal des droits économiques et sociaux, liés notamment à l’étouffement du droit de protester, ainsi que la répression des mouvements sociaux en raison de la situation sécuritaire prévalant dans le pays et l’instauration de l’état d’urgence.
Il a par ailleurs souligné que l’option sécuritaire ne peut pas être le seul moyen pour combattre le terrorisme, au détriment des revendications économiques et sociales, estimant que le gouvernement en place doit tirer la leçon de la politique répressive employée par le président déchu Ben Ali.
Amna Guellali (Human Rights Watch)
De son côté, Amna Guellali, directrice du bureau de Human Rights Watch en Tunisie, a critiqué le contraste entre les lois en vigueur actuellement et les principes des droits humains énoncés par la Constitution tunisienne.
Elle a souligné que la loi antiterroriste représente une vraie menace pour les droits humains et n’offre pas les garanties nécessaires contre les atteintes envers ceux-ci. En effet :
– la loi accorde aux forces de sécurité des pouvoirs étendus pour exercer le contrôle sur les personnes,
– elle permet de prolonger la détention au secret des suspects d’infractions terroristes de 6 à 15 jours, sans possibilité de visite d’un avocat ou de la famille.
Amna Guellali a expliqué que la détention des personnes en garde à vue pour des périodes prolongées et en isolement total du monde extérieur augmente les risques de les soumettre aux mauvais traitements et à la torture. Elle a dénoncé les descentes musclées hasardeuses des forces de sécurité qui ont lieu dans certaines régions après la dernière opération terroriste qui a frappé le bus de la sécurité présidentielle, comme celle qui a eu lieu récemment dans un quartier de La Goulette.
Amna Guellali a appelé l’Assemblée des représentants du peuple à revoir le Code de procédure pénale pour permettre à tout détenu par la police d’avoir le droit de contacter un avocat sans délai comme l’exige le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.
La représentante de l’organisation Human Rights Watch a mis l’accent sur la nécessité d’abroger ou d’amender la « loi 52 » sur les stupéfiants d’autant plus que le projet proposé par le ministère de la Justice est largement en deçà des aspirations de juristes détracteurs de cette loi. Elle a souligné la nécessité d’abolir les peines de prison pour les consommateurs de stupéfiants, en particulier ceux classés comme drogues douces telles que la « zatla » [chanvre indien], du moment qu’elles ne constituent pas un danger ou une menace pour la société.
Fahem Boukadous (Syndicat national des journalistes tunisiens)
Dans le même sillon, Fahem Boukadous, directeur exécutif du Syndicat national des journalistes tunisiens, a critiqué la poursuite des attaques et du harcèlement policiers contre les journalistes.
Il a également condamné la politique du gouvernement en place visant à dominer les médias à travers la discrimination entre les médias et les restrictions au travail des journalistes.
Fahem Boukadous n’y est pas allé par quatre chemins pour critiquer sévèrement les limogeages des directeurs, dont celui qui a frappé le directeur de la télévision nationale.
Il a mis en garde contre les tentatives de domestiquer et mettre à genoux les médias, et appelé les organisations des droits humains à faire face à ces infractions à la loi, afin de sauvegarder le seul acquis de la révolution, à savoir la liberté d’expression et de la presse.