Déchéance de nationalité : une extension à réactions
A gauche, des commentaires amers, voire acides, fusent, depuis la volte-face du Président concernant les binationaux nés français. Sélection.
Pourquoi ? En choisissant finalement de maintenir, dans le projet de réforme de la Constitution, la possibilité de déchoir de leur nationalité les binationaux même nés français (quand ceux-ci ont été définitivement condamnés pour terrorisme), François Hollande brosse l’opinion dans le sens du poil mais prend à contre-pied la plupart des leaders de gauche et même quelques (rares) voix de droite. Il propose surtout de graver dans le marbre une hiérarchie tacite - et tout est affaire de symbole - entre les citoyens français nés en France et sans autre nationalité, au détriment de ceux qui sont binationaux.
Pourtant, en 2010, dans un appel lancé par Libération, SOS Racisme et la Règle du jeu après le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, François Hollande, Manuel Valls et Christiane Taubira, alors à l’unisson, mêlaient leur signature à celle d’intellectuels, d’autres politiques et de personnalités de la société civile ou du monde culturel. Tous unis pour dénoncer le « cap dangereux » franchi par l’alors chef de l’Etat. Lequel, paraphrasant le FN, proposait déjà l’extension de la déchéance de la nationalité aux binationaux nés français. A l’époque, sur France 5, Hollande estimait la mesure « attentatoire » à la « tradition républicaine » et nullement « protect[rice] ».
Jugeant cette fois que le pire aurait été de se dédire après son discours devant le Congrès, conscient aussi que plus de 90 % des Français soutiennent les mesures annoncées le 16 novembre (sondage Elabe), le Président a choisi de faire fi de ses propres hésitations, des doutes de son ministre de l’Intérieur et de l’opposition de sa garde des Sceaux.
Une décision de circonstance contre laquelle de nombreuses voix s’élèvent, et pas seulement parmi les quelque 3 millions de binationaux français.
Piketty, Trévidic ou Hidalgo : ils sont contre
Jean-Pierre Mignard, avocat membre du PS, intime de François Hollande (Twitter) : « La déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France : rétablissement régressif des Français de souche, et du droit du sang. »
Marc Trévidic, ancien magistrat antiterroriste (à la Voix du Nord) : « Une autre nation a-t-elle à gérer quelqu’un né chez nous ? Imaginons qu’un autre pays, par exemple le Maroc, vote un texte similaire : une personne y aura passé toute sa vie et d’un seul coup le Maroc nous l’envoie car également français. On n’exporte pas un terroriste ! »
Ali Baddou, journaliste franco-marocain, animateur à Canal + (Twitter) : « J’ai toujours pensé qu’avoir deux nationalités était une richesse. Aujourd’hui, je découvre que c’est un problème #jesuisbinational. »
Anne Hidalgo, maire PS de Paris, rappelant aussi le vœu voté par sa majorité (Twitter) : « Je réaffirme fermement mon opposition à la déchéance de nationalité qui n’apporterait rien à la lutte contre le terrorisme. »
Thomas Piketty, économiste, (sur son blog) : « A l’incompétence économique, voici que le gouvernement ajoute l’infamie. [...] Tous ceux à gauche qui refusent cette politique lamentable doivent se réunir pour imposer une primaire citoyenne à gauche en 2017. »
Patrick Klugman, avocat, élu PS : « Elu socialiste [adjoint à la Mairie de Paris, ndlr] et avocat de très nombreuses victimes d’actes de terrorisme ou de leur famille, j’aurais sans doute dû me réjouir du projet d’extension de la déchéance de la nationalité […]. Il n’en est rien. […] Ce projet […] heurte les principes les mieux établis sans offrir une once de sécurité supplémentaire. Pis, il réjouirait presque ceux qu’il entend punir ! Commençons par préciser que la déchéance de nationalité existe dans notre droit et qu’elle n’a jamais empêché le moindre attentat ni dissuadé le moindre apprenti terroriste de passer à l’action. […] On ne peut comprendre la position du président de la République que comme la recherche d’une annonce symbolique. Or, il faut le dire, s’il est ici un symbole en jeu, il est […] contraire à notre histoire, contraire à la place qui devrait être la nôtre dans le concert des nations, contraire enfin, à toute logique d’efficacité dans la recherche d’une plus grande sécurité. […] A-t-on mesuré l’effet calamiteux produit sur nos relations avec des pays proches, comme ceux du Maghreb, victimes aux aussi du terrorisme, si demain nous leur renvoyions à l’issu de leurs peines des terroristes nés, élevés et radicalisés en France parce qu’ils seraient devenus des criminels dans notre pays ? »
Samir Khebizi, directeur de la Tête de l’Art, il a initié une pétition – « Ne pas franchir la ligne rouge… » –sur Change.org : « Je m’appelle Samir. Je suis français. Je suis né en France. J’ai grandi et je vis à Marseille. Je suis non-croyant. Mes parents sont d’origine algérienne. Ils m’ont éduqué dans le culte de l’intégration. Avec le recul, je suis plutôt fier des valeurs qu’ils m’ont transmises. Je suis devenu binational il y a un peu plus de dix ans par un concours de circonstances. Jusque-là, je ne voyais que la dimension pratique que cela représentait pour moi. Je n’avais pas de revendication identitaire. Avec l’annonce de votre mesure, je vais courir à l’ambassade revendiquer mon droit à la binationalité. Je suis bien plus atteint par la violence symbolique de votre mesure que ne l’est n’importe quel terroriste en puissance. Vous perdrez la majorité des binationaux qui composent la société française, multiculturelle quoi qu’en disent certains. Vous utiliserez une bombe qui, en voulant détruire un repaire de rats, détruira la cité. Entre-temps, les rats se seront cachés ailleurs… Peut-être derrière leur unique passeport français. Réfléchissez vite et bien, monsieur le Président, mais surtout réfléchissez juste. »
Rokhaya Diallo, journaliste : « C’est scandaleux : cela voudrait dire qu’une partie de la population est française sous condition et qu’il existe deux catégories de Français nés en France. Qu’on nous tolère, en quelque sorte. Le message qui est envoyé est très mauvais et provoque un malaise profond. Aujourd’hui, la gauche, qui était vent debout en 2010 après le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble, relance le débat sur l’identité nationale en mettant en place une réforme dont le FN se réjouit. En plus, tout le monde sait que ce n’est pas de cette manière que l’on va arrêter les terroristes. Ce projet de modification de la Constitution pointe du doigt une partie de la population de manière déloyale. Et on les accuse de quoi ? D’êtres nés de parents étrangers ? Après, le PS s’étonne devant les chiffres de l’abstention. »
Samia Ghali, sénatrice PS : « C’est une mesure profondément injuste et inefficace. Nous savons tous qu’elle n’est en rien une réponse à la hauteur des sanctions et des précautions que nous devons adopter dans la lutte antiterroriste. Au moment où l’unité nationale est affichée comme une priorité, accepter la déchéance c’est prendre le risque de fragmenter encore un peu plus la société française. Les binationaux sont des Français à part entière. Il ne peut y avoir plusieurs catégories de Français au sein de notre République. Notre devise « Liberté, Egalité, Fraternité » ne saurait le tolérer. La France est belle et forte quand elle produit des enfants égaux et libres. Elle est sombre et faible quand elle fait des distinctions entre ses enfants, quand elle se résigne, quand elle ne trouve pas de remèdes à ses maux, quand elle se montre, ainsi, impuissante à faire face aux tumultes. La seule boussole qui doit guider la décision de l’Etat est celle de la raison et des valeurs. Bien sûr, elle pourra être passagèrement impopulaire mais se révélera dans le temps juste et courageuse pour chacun de nous. »
Caroline Mécary, avocate : « La déchéance de la nationalité c’est d’abord la déchéance d’un gouvernement de « gauche » qui n’hésite pas à s’approprier une des propositions les plus méprisables de l’extrême droite, la validant du même coup. La déchéance de la nationalité est, on le sait, une mesure parfaitement inutile pour lutter contre le terrorisme (objectif affiché) car aucune réglementation n’arrêtera les fanatiques de tous bords. La déchéance de la nationalité est une mesure parfaitement nuisible pour l’ensemble de la « communauté nationale » puisqu’elle la divise entre des nationaux « unisouche » et des binationaux (environ 3,3 millions) ; elle va légitimer une discrimination entre ces deux catégories. C’est délétère et, à ce titre, cela rappelle les heures les plus sombres de notre histoire (pour mémoire, Vichy a déchu le général de Gaulle de sa nationalité). Traduction de ce qui précède : notre Président a fait un calcul politicien, il est pour lui plus avantageux de donner des gages à l’électorat de droite et d’extrême droite en vue de la présidentielle plutôt que de rassembler son propre électorat, dont il ne doute pas qu’il votera pour lui dans l’hypothèse d’un 21 avril à l’envers… Pari périlleux et coûteux. »
Par Jonathan Bouchet-Petersen et Rachid Laïreche
Le blog de Paul Quilès
« Donner du sens aux mots et aux choses, pour donner du sens à l’espoir »
Déchéance…
Déchéance : que ce mot est laid ! Quelle que soit son utilisation, il suggère, d’après le dictionnaire, la dégradation, l’abaissement, la décrépitude….On n’en parlait pas beaucoup jusqu’ici, alors que la déchéance de nationalité existe dans notre arsenal judiciaire, pour certains cas bien limités. L’inscrire dans la Constitution pour les binationaux nés en France et coupables d’actes de terrorisme créerait de facto deux catégories de citoyens français.
Il est donc compréhensible que la décision du Président de la République interpelle tous ceux qui se demandent pourquoi celui-ci, élu par une majorité de voix de gauche, vient contredire avec cette mesure une valeur –le droit du sol- qui fait partie de l’ADN de la gauche.
Ils ne comprennent pas pourquoi il prend le risque de donner des gages à ceux qui, à l’extrême droite et même à droite, n’hésitent jamais à pousser à la division des Français et qui, depuis quelques jours, applaudissent bruyamment l’annonce présidentielle.
Nombre de Français, sensibles à l’appel, réitéré à la suite des récents attentats, à la défense de la République, ne comprennent pas non plus cette attaque contre un de ses symboles.
Alors, pourquoi une telle décision ? A-t-on besoin de la menace de déchéance de la nationalité française pour dissuader un terroriste de perpétrer un attentat ? Personne ne le croit un seul instant, pas plus l’initiateur du projet que les spécialistes de l’anti-terrorisme ou simplement les citoyens dotés de bon sens. D’autres mesures, autrement plus efficaces, sont indispensables ; elles concernent le renseignement, les forces de sécurité, la coopération internationale, l’attaque du « mal » à la racine….autant de domaines dans lesquels des actions ont justement été entreprises.
Ce constat et ce questionnement conduisent inévitablement à penser qu’au-delà du discours officiel, peu crédible, la décision répond à d’autres considérations, d’une autre nature….. Il pourrait s’agir de contraindre les parlementaires de gauche à voter positivement au Congrès de Versailles (où la majorité des 3/5es est requise), sous la menace d’un référendum. Cette opération ne serait pas sans risque, car l’opposition ne se priverait pas d’en dénoncer le caractère tactique.
Et, si l’objectif était –ce que certains commentateurs suggèrent- une tentative de « triangulation » en vue de la prochaine élection présidentielle, il ne faudrait pas oublier que « les électeurs préfèrent l’original à la copie ». Attention, jeu dangereux !