Comme l’a rappelé l’avocat Jean-Pierre Mignard, ami de longue date de M. Hollande et président de la Haute Autorité éthique du PS, « la déchéance de la nationalité française a une longue et mauvaise histoire ». « La déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France : rétablissement régressif des Français de souche, et du droit du sang », a-t-il ajouté sur Twitter.
Fait rare, l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault a réagi, dimanche 27 décembre, aux propos de son successeur, Manuel Valls, qui, dans le Journal du dimanche, affirmait que « la détermination est totale, [qu’ils] iron[t] jusqu’au bout, et que chacun à gauche en soit bien convaincu ». A l’appui de ses propos, le premier ministre citait l’historien Pierre Nora : « La France est en péril de paix. » « Si la France est en “péril de paix” alors ne la divisons pas davantage ! Egalité de tous les Français devant la loi », lui a répondu son prédécesseur à Matignon, sur son compte Twitter.
Proche du chef de l’Etat, avec qui il s’entretient régulièrement, l’ancien cofondateur de SOS-Racisme, Julien Dray, avoue également, dans un entretien au JDD, ne pas s’expliquer la décision de M. Hollande. « Cette mesure me semble ouvrir une polémique et des divisions inutiles dans le moment actuel, estime-t-il. On a choisi de garder la cohérence au prix du risque d’une rupture avec la gauche militante. On doit faire autrement. »
« Rupture », « schisme »… C’est ce terme qu’emploie l’ancien ministre de l’éducation nationale, Benoît Hamon, dans le même journal. « Avec la déchéance de nationalité inscrite dans la Constitution, ce n’est plus la protection de la nation qui est en jeu », estime le député des Yvelines. Et l’ancien ministre de lancer une charge lourde contre le président de la République : « Commencer le quinquennat par la promesse du droit de vote aux étrangers lors des élections locales et le terminer sur la déchéance de nationalité des binationaux, une telle transhumance politique et intellectuelle déboussole. Cette décision va provoquer un schisme au sein du peuple de gauche mais aussi dans la communauté nationale, prévient-il. Je connais les enjeux politiques du pouvoir. Mais la fin ne justifie pas les moyens ! » M. Hamon annonce qu’il votera contre cette proposition : « C’est une question de valeur et de conscience. »
« Soyez maudits »
Sur son blog, le cofondateur du Parti du gauche Jean-Luc Mélenchon assure, lui, « davantage que [par] l’indignation ou le dégoût », être saisi par la « nausée », « la nausée absolue ». « Cette fois-ci, c’est la fois de trop, s’insurge l’ancien candidat à l’élection présidentielle. Ils auront tout démoli. (…) Soyez maudits pour cette ignominie sans précédent. »
Tandis que M. Hollande observe pour l’instant le silence – il s’exprimera le 31 décembre à 20 heures pour présenter ses vœux aux Français –, M. Valls a réagi à cette vague de contestation – dès mercredi, d’autres personnalités de gauche s’étaient déjà exprimées, comme la maire de Paris, Anne Hidalgo, ou la députée écologiste Cécile Duflot (Le Monde du 25 décembre). « Une partie de la gauche s’égare au nom de grandes valeurs en oubliant le contexte, notre état de guerre, et le discours du président devant le Congrès », a balayé le premier ministre dans le JDD.
Ce commentaire de M. Valls a déclenché une nouvelle rafale de réactions sur les réseaux sociaux. A commencer par celle de la maire de Lille, Martine Aubry, qui écrit : « Je défends des valeurs républicaines et de gauche. C’est le propre de la politique et j’en suis fière ! »
Proche de cette dernière, l’ancien ministre de la ville, François Lamy, député de l’Essonne, revendique qu’« on ne s’égare jamais en défendant ses valeurs, c’est même l’inverse ».
D’autres voix se sont élevées à la suite de ces propos. Pierre-Alain Muet, député (PS) du Rhône, a répondu à M. Valls que « c’est en oubliant ses valeurs qu’on s’égare ». Pour Bruno Julliard, premier adjoint (PS) de la maire de Paris, « mieux vaut défendre de “grandes valeurs” que s’égarer dans de petites manœuvres irresponsables ». Enfin, Christian Paul, député (PS) de la Nièvre et chef de file des « frondeurs », se dit convaincu que « ceux qui oublient leurs valeurs perdront leur honneur ».
« Un vase qui vient de déborder »
Dans Libération, lundi 28 décembre, le président de SOS-Racisme, Dominique Sopo, s’est adressé à son tour au président de la République. « Contre l’idéal républicain, contre votre parti et contre votre parcours, vous avez décidé de faire figurer cette annonce indigne dans un projet de loi portant réforme de la Constitution. “Vous n’avez pas honte ?”, serais-je tenté de vous demander alors que vous venez d’offrir le troisième tour des élections régionales au FN », écrit-il.
Rarement la déchirure au sein de la gauche aura paru aussi profonde. Dans un billet publié sur son blog, intitulé « Enfin pouvoir me regarder dans la glace en me rasant », Jean-Marie Darmian, vice-président du conseil départemental de la Gironde et adhérent du PS depuis quarante ans, a annoncé qu’il se mettait en congé de son parti. « Je ne supporte plus les gouttes successives accumulées ces derniers temps dans un vase qui vient de déborder. Le liquide ressemble à de la ciguë pour ma conscience », déplore-t-il.
Le malaise et l’indignation vont désormais bien au-delà des déclarations des dirigeants politiques. Ils traversent l’ensemble des sphères militantes, associatives et des simples citoyens. Le choix de M. Hollande sème un trouble profond dans le « peuple de gauche », voire un véritable rejet. Au risque de provoquer une rupture irréversible.
Patrick Roger
Journaliste au Monde