L’émergence d’un « champ politique féminin »
Les deux révolutions, de 1962 pour le Nord et de 1967 pour le Sud, ont manifestement permis l’émergence de ce que nous appelons un « champ politique féminin ». La seconde étape fondatrice de ce nouvel espace est sans nul doute la réunification du 22 mai 1990.
L’encouragement de la participation des femmes dans le champ politique sous la République démocratique et populaire du Yémen (RDPY)
L’histoire de la lutte des femmes dans la RDPY a déjà fait l’objet d’écrits, pour beaucoup inspirés des théories marxistes1.
Les associations de femmes existaient à Aden, la capitale du pays, depuis le début des années 19402. Dès leur création, elles étaient proches des partis politiques et furent actives lors de la lutte contre la colonisation anglaise. Ainsi, en 1963, une section de femmes fut créée au sein du Front de libération nationale (FLN). En 1965, le FLN adopta une résolution qui appelait à la libération des femmes de leur statut traditionnel et affirmait le besoin de mettre en place des principes d’égalité entre hommes et femmes. Malgré ces déclarations d’intention, la section des femmes resta placée sous une direction masculine. Ce ne fut qu’au moment de la formation de la RDPY, le 14 octobre 1967, que les militantes commencèrent à être présentes dans le domaine politique. Selon les travaux de Margot Badran, ce phénomène est exceptionnel dans l’histoire des luttes de libération des sociétés post-coloniales, où les femmes disparurent en général du paysage politique dès l’indépendance, bien que leur soutien ait été indispensable à sa réalisation3.
Il fallut attendre 1968 pour que s’exprime une véritable volonté politique de changement du statut des femmes, concrétisée par la constitution de 1970. Puis la loi sur la famille, adoptée en 1974, constitua une réelle avancée pour le statut personnel des femmes, au Yémen comme dans les pays arabo-musulmans. Elle n’était pas sans rappeler la législation tunisienne. Elle interdisait le mariage avant l’âge de seize ans pour les filles et dix-huit ans pour les garçons et limitait à vingt ans la différence d’âge entre les deux parties. La dot, fixée par la loi, était une somme symbolique. Les femmes disposaient du droit de divorcer, d’obtenir la garde des enfants et de conserver le domicile familial. La polygamie était, de fait, quasi impossible. Dans le domaine juridique, le témoignage d’une femme ou d’un homme avait la même force. En ce qui concerne l’héritage, les biens étaient répartis dans la même proportion entre tous les membres de la famille.
En outre, un des dispositifs fondamentaux de la loi était d’étendre le champ d’action de l’Union des femmes yéménites (UFY)4 pour qu’elle devienne une organisation nationale et une structure éminente pour la mise en application de cette loi. Sa mission première était d’œuvrer à l’intégration des femmes dans la vie économique à travers l’éducation et les formations professionnelles. L’organisation jouait également un rôle fondamental dans la lutte contre l’analphabétisme. Elle finançait des émissions de radio et de télévision destinées à influencer l’image du rôle des femmes dans la société yéménite et publiait une revue, Femmes yéménites. L’UFY fut très rapidement débordée par l’ampleur de la tâche et l’engouement qu’elle suscitait auprès des femmes. Elle fut obligée de dépasser le cadre initial de son action pour endosser certaines fonctions officielles, notamment dans le domaine juridique. Ainsi, en cas de demande de divorce, l’Union procédait à la conciliation des époux et, si celle-ci échouait, elle devait approuver formellement les demandes de séparation. En outre, dans les années 1970, l’Union organisait des campagnes contre le port du voile. Enfin, sur le plan de la représentation politique, l’organisation nommait statutairement une ou plusieurs représentantes dans chaque comité central à tous les niveaux du Parti socialiste yéménite (PSY) : municipalité, district, région et au niveau national.
Malgré ses différentes initiatives, l’UFY fut sévèrement critiquée pour son manque d’efficacité5. L’Union aurait également été incapable de rallier nombre de femmes dans le champ politique, tâche qui fut accomplie par l’Union de la jeunesse, Ashîd. Selon Tareq Y. Ismael et Jacqueline S. Ismael, les Ashîd auraient « joué un rôle politique particulier, étant reconnus dans la constitution du parti comme la principale réserve et assistance du PSY […]. Les jeunes jusqu’à l’âge de vingt-huit ans ont exclusivement rejoint le PSY par l’Union »6.
En 1978, le Parti socialiste yéménite (PSY) unifia les formations politiques existantes, dont le représentant majoritaire était le Front de libération nationale7. Les femmes, déjà présentes au sein du FLN, prirent place dans la nouvelle structure, le parti unique socialiste. En 1981, six femmes sur cent un membres siégeaient au Conseil suprême du peuple. Elles occupaient 10 % des sièges dans les assemblées locales et, plus globalement, représentaient 10 % des militants du parti8. Ainsi, durant les années 1980, les militantes participèrent aux luttes politiques mais sans jamais atteindre en grand nombre les hautes instances dirigeantes9.
Enfin, jugeant le bilan de cette politique étatique volontariste, Michael Collins Dunn écrit que la RDPY comptait « une des populations de femmes les plus scolarisées du monde arabe et […] leur donnait du travail à hauteur de leurs qualifications »10.
L’apparente inexistence de la participation des femmes sous la République arabe du Yémen (RAY)
Contrairement à la RDPY, peu d’études font état de la participation des femmes dans la sphère publique et plus particulièrement politique sous la RAY11. Les données sont donc rares et celles dont nous faisons état dans cet article sont souvent issues de témoignages recueillis directement auprès des protagonistes des événements.
Le coup d’État du 26 septembre 1962 mit fin au régime de l’imamat, remplacé par une république. Ce changement déclencha une guerre civile qui, jusqu’à la fin des années 1960, opposait les républicains, soutenus par Nasser, aux royalistes, aidés par l’Arabie Saoudite. Il est avéré que certaines femmes participèrent à la guerre en cachant des armes sous leur manteau, en jouant le rôle de messagère ou en remplissant d’autres fonctions. En 196512, Ghâliya Muhammad Abduh13, une responsable des travailleuses de l'unique usine du Nord l'usine textile de Sanaa fut la seule, parmi les cent cinquante ouvrières, à être entraînée par des hommes au maniement des armes, pendant près de trois mois. Après la guerre civile, elle s'engagea comme membre actif dans les structures syndicales mises en place dans la nouvelle république. Elle fut accompagnée dans sa démarche par d'autres femmes, qui restèrent actives dans la société civile yéménite.
En outre, dès 1965, les organisations de femmes du Nord entretinrent des relations avec les militantes du Sud, qui les soutenaient et les conseillaient dans leurs actions. Les contacts se formaient très souvent à l'extérieur des deux entités ; soit grâce aux nombreuses familles exilées, opposantes au régime de l'Imam et réfugiées dans le Sud ou à l'étranger ; soit par la participation de femmes des deux entités étatiques à des conférences internationales organisées à l'extérieur des deux pays14. Ainsi, les influences externes étaient conséquentes et furent accélérées notamment par le retour des familles immigrées dans le Sud soutenant le nouveau régime de la RAY. Ces femmes, qui avaient vécu leur enfance à Aden ou à l'étranger, étaient scolarisées15 et politisées. En s'installant au Nord, elles continuèrent leur action auprès des organisations de femmes avec le soutien des associations adénites16. Elles luttaient contre l'analphabétisme, organisaient des formations professionnelles (par exemple, des ateliers de couture), engageaient des missions de sensibilisation aux problèmes liés à la propreté dans les campagnes, à la scolarisation des jeunes filles, etc.
La nouvelle constitution, promulguée en 1970, consacra la sharî
a comme source unique de la législation. Cette référence religieuse définissait le cadre du statut personnel des femmes. Si la Constitution affirmait le principe de l’égalité des droits entre hommes et femmes, le droit de vote des femmes n’était pas explicitement mentionné. Il n’était donc pas strictement interdit. En 1971, lors des premières élections du pays, pour la désignation de conseillers locaux, des femmes se présentèrent comme candidates et des citoyennes yéménites votèrent.
Le 24 août 1982, le Congrès populaire général (CPG, aujourd’hui au pouvoir) fédéra un certain nombre de mouvements politiques de l’époque (nassériens, baasistes...). Ce nouveau parti unique « se définit comme un mouvement de masse non partisan, regroupant toutes les tendances favorables au régime »17. La première femme élue au sein de son comité permanent fut Asmâ’ al-Bâshâ18. Elle fut suivie, quatre ans plus tard, par quatre autres politiciennes, dont Amat al-Alîm al-Sûsuwa19.
Après cette apparente ouverture à la participation des femmes, les députés leur refusèrent en 1987 le droit de se présenter aux élections législatives. Il est peu connu qu'un groupe de trente à quarante femmes manifestèrent contre cette mesure arbitraire. Elles marchèrent, en effet, dans les rues de la capitale en direction du Parlement pour l'occuper et refusèrent de se retirer tant que leurs droits ne seraient pas rétablis. Elles réclamèrent aussi une entrevue avec le Président, qui ne leur fut pas accordée. Finalement, cinq d'entre elles obtinrent leur nomination au Parlement. On fit ainsi taire les insatisfaites, sans autoriser la candidature de femmes aux élections.
En conclusion, de nombreuses questions restent en suspend concernant la participation des femmes au champ politique dans le Yémen du Nord. Ainsi, il serait important de savoir quelle fut l'action des militantes lors des premières élections locales de 1971. Les résultats de cette recherche nous mèneraient sûrement à constater l'existence, dès cette époque, d'un groupe de femmes politisées, dont la capacité d'organisation et de mobilisation s'exprima notamment lors des incidents liés aux élections législatives de 1987.
Il serait également opportun de déterminer plus précisément quelle a été l'influence des militantes du Sud sur celles du Nord. Ces nouvelles analyses confirmeraient que la place des femmes dans le domaine politique au Nord n'est pas le résultat de l'unification mais le produit de l'histoire d'un groupe relativement important, affichant une « conscience de groupe » large et pouvant associer les femmes du Sud. Ainsi, l'avènement de la République du Yémen aurait permis à ce mouvement de se poursuivre et l'aurait même renforcé.
{{{La participation des femmes sous la République du Yémen : alibi ou réalité ?
L'engagement des femmes dans les partis politiques et lors des élections}}}
L'union de la République arabe du Yémen et de la République démocratique et populaire du Yémen a, de fait, entériné une cohabitation entre deux réalités historiques, politiques et sociales très différentes. La place des femmes ainsi que leur participation dans le champ politique ont été inévitablement influencées par cet événement majeur.
Il semble que, depuis 1990, les militantes de tous âges adhèrent et agissent en nombre dans tous les partis politiques20. Il serait possible d'expliquer cette dynamique de diverses manières21. Ainsi, avant l'unification, une partie des formations politiques militaient dans la clandestinité, au Nord comme au Sud. L'avènement du régime démocratique et du multipartisme, conjugué à un sentiment de liberté d'opinion, encouragea les femmes à s'engager. Outre cette situation générale propice à l'activisme, les partis politiques menèrent une action en faveur de leurs concitoyennes. Ils intégrèrent dès 1990 des sections de femmes dans leur structure interne. La présence des militantes en politique devint un sujet prisé par tous les partis. Il était et reste un gage d'ouverture et, surtout, un enjeu électoral dont les structures politiques prirent conscience dès la première élection démocratique de 1993. Ainsi, en octobre 1998, le parti islamiste et tribal al-Islâh changea sa position concernant la représentation féminine dans les hautes instances du parti en tolérant leur présence dans l'instance de direction du parit (Shûra)22. Sept femmes sur cent trente membres y furent « élues »23. Rappelons que l'un des slogans s'adressant aux femmes au moment des élections de 1993 était : « Votez pour l'homme le meilleur »24. En juillet 1999, le comité permanent du CPG, ancien parti unique du Nord, aujourd'hui au pouvoir, surenchérit : sur ses sept cents membres, trente-cinq femmes furent élues, un nombre de militantes encore jamais égalé à ce niveau de la hiérarchie interne d'une formation politique. Au même moment, le comité central du PSY comptait trois femmes parmi ses cent trois membres. La dernière avancée engagée par les partis et touchant l'électorat et le militantisme féminin fut conduite par le PSY. Ce dernier décida, fin 1999, de se plier aux recommandations formulées lors de la conférence de Pékin en élisant à tous les niveaux de sa hiérarchie interne 30 % de femmes. Si la volonté politique semblait être présente, la mise en œuvre posa de réels problèmes. Ainsi, dans le gouvernorat d'Aden, le manque de candidates était flagrant.
Le 20 février 2001, les premières élections locales firent une place aux candidates, dont quarante-quatre furent élues25. Lors des dernières élections législatives du 27 avril 2003, un nombre encore jamais égalé de citoyennes s'inscrivirent sur les registres électoraux ; elles représentaient 42 % de l'électorat26. Or, si la participation des femmes aux scrutins atteignit des records, le nombre de candidates déclina, pour la première fois depuis l'unification27. Malgré le discours officiel des partis politiques affirmant leur soutien aux femmes, ces dernières étaient en réalité peu encouragées28.
Par ailleurs, une des particularités de ces élections fut la présentation d'un programme politique bâti autour de la question des droits des femmes. Conduite par Radiyya Shamshîr29, non affiliée à un parti, cette campagne fut entièrement financée par l'ONG Women Forum for Research and Training. Enfin, si les résultats obtenus par les candidates furent en général médiocres, trois d'entre elles se distinguèrent en mettant sérieusement à l'épreuve leur concurrent masculin : Talha al-Ahmadî (PSY), Khawla Sharaf (PSY) et Mahfûza al-Saqqâf (indépendante), ayant acquis respectivement, 32 %, 20 % et 25 % des voix. Une seule des candidates fut élue, Ûrâs Sultân Nâjî, qui reprit son poste de député.
Enfin, la diminution sensible du nombre de candidates lors de ces dernières élections législatives ne saurait masquer le dynamisme des militantes de base ou minimiser la participation des citoyennes dans le « processus démocratique ».
{{{Le champ politique féminin, dynamique interne et externe}}}
Notons, tout d'abord, qu'il nous semble erroné de reprendre la distinction classique et étanche, souvent opérée dans les recherches menées dans les pays du monde arabe, entre sphère publique et sphère privée, séparation qui impliquerait l'absence de femmes dans le premier espace. Il est vrai que la société yéménite opère une stricte séparation des sexes. Or, il ressort de notre enquête que les rapports de genres n'empêchent pas que l'engagement des femmes dans l'espace politique et leur possible « prise de position » concernant les problèmes que la société yéménite rencontre soient acceptés. Si le monde politique est investi par les hommes, il ne leur est pas réservé. Ainsi, les femmes disposent d'espaces de paroles et de champs d'actions, certes plus restreints que ceux des hommes, mais non dépourvus d'influence.
En second lieu, signalons que, si des liens étroits existent entre la sphère publique et la sphère politique, leurs espaces peuvent se croiser sans toujours se confondre. Ainsi, les frontières entre ces deux espaces ne sont pas étanches, comme notre enquête de terrain le confirme. En effet, la grande majorité des femmes que nous avons interrogées sont à la fois engagées en politique et dans des associations (cette tendance est systématique pour les militantes d'al-Islâh, qui sont très actives dans les associations de charité), ou des organisations non gouvernementales, dont elles sont parfois les présidentes. Enfin, si certaines femmes sont actives dans l'espace public, toutes ne participent pas à l'espace politique et inversement.
Concernant la dynamique interne au « champ politique des femmes », des liens et des actions existent, se créent ou se ravivent, selon les circonstances, entre les militantes de tous les partis. Nous avons précédemment évoqué les manifestations des femmes du Nord en 1987, mais d'autres événements, comme celui qui concerna Ra'ûfa Hasan al-Sharqî, directrice de l'Empirical Research and Women's Studies Center (ERWSC), en sont également une illustration. En effet, l'ERWSC organisa, les 12 et 14 septembre 1999, le plus important colloque jamais réalisé au Yémen sur le thème du gender. Les propos tenus par un intervenant marocain, M. alDaylamî, affirmant que d'autres interprétations du Coran étaient possibles, choquèrent une partie de l'opinion publique yéménite, qui demanda la démission de Ra'ûfa Hasan al-Sharqî, certains prédicateurs allant jusqu'à réclamer sa mort. Les militantes de tous bords, au Nord comme au Sud, se réunirent de façon formelle ou informelle pour discuter d'un éventuel soutien à cette personnalité politique et médiatique30. Cet événement provoqua notamment des discussions au sein de la section de militantes du Parti socialiste yéménite que nous fréquentions à Aden. D'un côté, ces femmes se sentaient intimement impliquées, puisqu'en stigmatisant Ra'ûfa Hasan, c'est l'ensemble des femmes yéménites qui était attaqué. De l'autre, l'action menée par cette personnalité médiatique était controversée dans le Sud. En effet, les militantes, outre son manque de collaboration, lui reprochaient d'avoir occulté, dans des conférences et des publications, leur place historique dans l'espace public pour ne faire place qu'aux femmes du Nord. Après discussion, les militantes décidèrent de ne pas la soutenir. À Sanaa, la problématique du conflit Nord/Sud ne se posa pas mais la personnalité même de Ra'ûfa Hasan, très critiquée car perçue comme trop médiatique, joua en sa défaveur. Ainsi, cet événement prouve qu'il existe bien une « conscience de groupe », une volonté d'organisation, une capacité de réaction des militantes autour des questions qui entrent dans les champs politique et public. Mais il montre aussi qu'à l'intérieur même de ce « champ politique féminin », il s'est créé un rapport de force entre militantes, un espace d'enjeu de pouvoir qui établit une dynamique interne.
En conclusion, il ne fait pas de doute que le champ politique féminin que nous venons de décrire dispose de son autonomie et de son espace d'influence auprès des militantes mais également à l'extérieur, dans le domaine politique comme public.
{{{Un nouveau visage des militantes}}}
La présence historique des femmes dans l'espace politique s'exprime clairement dans l'enquête de terrain que nous avons menée. Celle-ci révèle également l'apparition d'une nouvelle génération de militantes, qui donne un autre visage à l'engagement des femmes.
Cette enquête a été conduite sur une période de six mois (du mois de juillet à la mi-octobre 1999 et de la fin du mois de janvier au mois de mars 2000). Une vingtaine de femmes occupant un poste à responsabilité au sein de leur parti politique (élues au bureau politique, responsables ou comptables de la section de femmes, secrétaires) ont été interviewées à deux reprises individuellement ou collectivement31. Les plus importantes formations politiques du Yémen ont été sollicitées ; on s'est efforcé de respecter leur représentativité au sein du Parlement32.
L'interrogation première de cette enquête portait sur le parcours des militantes. Plus précisément, il s'agissait de comprendre ce qui pouvait mener une femme yéménite vers l'activisme politique. Notons que ce questionnement nous est apparu fort à-propos dans le contexte actuel du Yémen, où de nouvelles femmes activistes et figures politiques s'affirment et où de nouveaux parcours se font jour, reflétant, notamment, les changements (ou la transition) que connaissent les espaces publics et politiques.
Cette première problématique ne pouvait que nous diriger vers un autre questionnement, qui s'attachait à leur manière de s'engager et leurs motivations. Il s'agissait, d'une part, de découvrir les stratégies adoptées par ces militantes pour conduire et parfois imposer leur action dans la sphère politique tout en assumant leur place traditionnelle au sein de leur famille et, d'autre part, de comprendre les raisons de leur action en politique, concernant notamment le droit des femmes et leur rôle dans la société. Ainsi, les problématiques liées à l'identité et aux représentations du genre se dessinaient.
Tout d'abord, nous présenterons les portraits des femmes avant de traiter de la question des rapports de sexes.
{{{
Le portrait des femmes interrogées}}}
Le « portrait » des militantes diverge selon les critères historico-géographiques, sociaux et générationnels, et d'après une classification que nous avons établie entre les personnalités politiques et les militantes.
Ce clivage entre personnalités politiques et militantes apparaît au travers de critères comme la classe sociale, le plus ou moins grand degré d'acculturation, leur rapport à l'entourage masculin, leur représentation du rôle des femmes dans la société.
La première catégorie comprend les personnalités reconnues comme des figures impor-tantes par la société, par les médias (télévision, presse écrite ou radio), par le parti et les militants de toutes les formations et, dans une certaine mesure, par les citoyens. Porteuses d'un projet global de société, ces femmes sont engagées de longue date dans la vie politique. Les personnalités politiques forment un groupe de gens qui se côtoient et s'estiment depuis longtemps. Six des femmes rencontrées correspondent à ce critère.
La deuxième catégorie, qui forme la majorité du panel interrogé, soit plus d'une quinzaine de femmes, est constituée de militantes. Elles remplissent toutes au moins l'un des trois critères précédemment énoncés. Contrairement à la première catégorie, celle-ci n'est pas homogène. Une sous-catégorie peut être dégagée : les femmes qui ont une certaine notoriété en politique parmi les militants et les observateurs politiques, comme les journalistes et les chercheurs ou qui se destinent à une carrière politique et pourraient constituer une « nouvelle vague » de personnalités politiques dans les années à venir. Nous avons déterminé seulement trois activistes appartenant à cette dernière catégorie.
{{{Les personnalités politiques}}}
Les personnalités politiques du Nord sont soit issues des riches familles sanaanies, largement connues et respectées pour leur engagement lors de la guerre civile de 1962, soit originaires de familles estimées, immigrées à Aden avant de revenir dans le Nord, après la fin des conflits. Font partie de cette catégorie les femmes qui ont une certaine notoriété en politique et qui ont plus de quarante ans.
Dans le Sud, les personnalités politiques révèlent un panel d'origines sociales plus large, tout en appartenant aux familles aisées. L'empreinte du régime socialiste ne fait aucun doute.
Ces personnalités politiques ont toutes voyagé, ou passé une partie de leur enfance à l'étranger, parlent l'anglais ou en possèdent au moins des notions. Elles sont issues de familles fortement politisées dont les membres ont participé, au Nord comme au Sud, à la guerre civile ou à la guerre d'indépendance et dont l'entourage paternel est celui du monde politique. Leur engagement en politique s'inscrit dans une continuité familiale, celle de l'action de leur père, avec ou sans son approbation33. Les filles n'agissent pas seulement par rapport à leur père, elles mènent aussi leur activisme politique dans un désir de reconnaissance maternelle. Ainsi, l'autorité maternelle influence indirectement le type de militantisme de ces femmes. Celles-ci œuvrent dans un rapport de proximité et de soutien des administrés, pour la défense des droits des femmes. Une des femmes interrogées, Asmâ' al-Bâshâ, première politicienne élue au sein du parti unique du Nord, exprime clairement l'objet de son action en politique. Sa mère, très religieuse, n'admet l'engagement de sa fille que lorsqu'elle comprend que Asmâ' agit au service des autres. Asmâ' al-Bâshâ remplit alors le rôle d'une femme musulmane en se pliant à un des cinq piliers de l'islam, la zakât (l'aumône, le don).
En outre, il transparaît au travers de notre enquête que les personnalités politiques et rarement les militantes sont, dès l'enfance, en opposition aux conventions sociales. Elles refusent de se couvrir le visage34, refusent ou sont réticentes à servir les hommes de la famille ou à accomplir les tâches ménagères, revendiquent le droit d'occuper les mêmes postes que les hommes, prennent place dans les réunions politiques au même titre que les autres militants masculins. Le respect des préceptes religieux dans leur engagement politique leur permettrait-il de faire accepter cette insoumission ? Il y a fort à parier que ces activistes politiques, en affirmant leur appartenance à la même communauté musulmane, comme les autres femmes, et en particulier leur mère, trouvent une forme de reconnaissance et le légitimation de leur engagement.
Ces remarques rendent toute son importance au rôle maternel dans la pratique du politique, qui peut être occulté par celui du père, à qui reviennent officiellement les décisions concernant l'éducation des enfants.
{{{Les militantes}}}
En ce qui concerne la « nouvelle génération », appartenant en grande majorité à la catégorie désignée comme militantes, les femmes sont issues de familles plutôt aisées. Elles n'ont qu'exceptionnellement voyagé ou émigré. Elles ne parlent pas d'autre langue que l'arabe. Même si leur père ou un autre membre de leur famille ne sont pas systématiquement des militants, les débats concernant les thèmes politiques sont vivaces au sein de la famille. Ces militantes sont enrôlées dans les partis par l'intermédiaire d'amis, militants à l'université où elles étudient, ou parce qu'elles sont attirées par le discours de certains hommes politiques. Le parcours est donc différent de celui des personnalités politiques, qui suivaient un membre de leur famille. Notons tout de même que ce dernier parcours, à présent rare, existe encore.
En outre, le parcours des jeunes militantes de l'ancienne RDPY fut différent. Comme nous l'avons signalé précédemment, les organisations de jeunesse, les Ashîd constituèrent, dès le lycée, un premier pas vers le militantisme. La disparition de cette structure a permis l'émergence d'un nouveau schéma pour les jeunes filles. L'enquête menée n'est pas suffisamment complète pour nous fournir une image des nouveaux circuits d'enrôlement politique des femmes. Néanmoins, il semble, d'après certaines de nos rencontres, notamment avec les jeunes militantes du PSY, qu'elles suivent un schéma familial, puisque leurs mères sont également engagées dans le parti. D'autres se seraient engagées au moment de leurs études universitaires.
Enfin, notons le modèle original des militantes du parti al-Islah, qui sont très souvent enrôlées par l'intermédiaire des organisations de charité, liées au parti.
{{{Traits communs à l'ensemble des femmes du panel}}}
Toutes les femmes interrogées sont des citadines35. Nous n'avons rencontré qu'une exception : une militante qui passa quelques années dans le village de son père après le retour d'Afrique de sa famille.
Les femmes questionnées ont toujours un rapport privilégié avec leurs parents, mère ou père, qui nous semble être dû à leur position dans l'ordre des naissances au sein de leur famille36. Il s'agit d'un point crucial pour comprendre leur entrée en politique.
Ces militantes sont beaucoup plus diplômées que la moyenne des femmes yéménites. Soit elles travaillent, et massivement dans la fonction publique, soit elles sont sans emploi, pour celles du Sud37.
Comme nous le notions précédemment, leur engagement dans la société ne s'arrête souvent pas à la politique : elles sont également actives dans des ONG, ou des associations charitables pour les militantes d'al-Islah. Si, parmi toutes les femmes, la participation à la société civile est forte, elle est systématique pour les personnalités politiques.
Enfin, leur engagement politique est également une activité lucrative. Les partis politiques rétribuent leur activisme38.
Dans le cadre familial semble exister ce que nous avons appelé une « stratégie sociale ». Les femmes sont, dans une certaine mesure, initiatrices de leur statut. Tous les modèles maritaux sont représentés : mariage, célibat (jeunes filles ou femmes qui ont dépassé l'âge du mariage), divorce et polygamie39. Aucune union n'est arrangée et seules deux d'entre elles ont épousé leur cousin germain, avec leur accord explicite. Les maris sont aussi, sauf exception, des militants politiques rencontrés au cours de l'activisme des militantes. Elles ne se sont donc pas engagées pour suivre leurs époux.
Excepté quelques personnalités politiques de familles très aisées du Nord, les femmes activistes ont en charge la tenue de leur foyer. Elles sont soutenues par leur famille ou/et leur entourage. Par exemple, Khawla Sharaf40, personnalité politique du PSY à Aden, nous a confié que, sans le soutien de sa mère, elle n'aurait pas pu assumer sa carrière de député. Elle est d'ailleurs la seule activiste de notre panel, si l'on excepte les militantes de partis religieux, à être mère de trois enfants. En effet, les femmes engagées en politique que nous avons rencontrées ont souvent un ou deux enfants, toujours en excluant les militantes des partis religieux.
Ainsi, nous pouvons conclure à l'existence d'une stratégie sociale déterminée, en accord avec leur mari, en fonction des ambitions des femmes, de la situation pécuniaire du foyer et du soutien de l'entourage.
En ce qui concerne les ambitions des femmes au sein de leur parti, pour beaucoup d'entre elles, le poste importe peu, si la fonction qu'elles occupent permet de servir les autres. Le militantisme de proximité est considéré comme le plus valorisant. L'action sociale, surtout auprès des femmes, est le domaine de prédilection de leur engagement. Les hauts postes ne leur permettraient pas d'agir dans ce champ. Enfin, l'objet de leur engagement est la lutte pour les droits des femmes et elles désirent travailler à leurs côtés.
{{{Les femmes politiques et la question des rapports de sexe}}}
D'après les témoignages recueillis par l'enquête de terrain, nous avons opéré une distinction entre les discours proches d'une « pensée féministe » et ceux qui ne le sont pas.
{{La distinction}}
Toutes les militantes interrogées, de tous les partis politiques confondus, ont une réflexion sur le genre. En effet, toutes expriment dans une certaine mesure un refus du statut ou de l'image des femmes dans la société yéménite. Elles entrent dans le militantisme pour lutter contre cet état de fait. Elles agissent toutes pour la défense des « droits des femmes »41 : pour le droit à la scolarisation, à la formation professionnelle, à la libre disposition de leur salaire, à une forme d'égalité (cette notion est définie et appréciée différemment selon les partis politiques) ou d'équité pour les militantes des partis islamistes.
En outre, certaines d'entre elles vont plus loin que la simple conscience de cet état et développent un raisonnement qui remet en question, au-delà du statut des femmes, leur rapport avec les hommes et donc, de manière plus large, leur place dans la société yéménite.
En conséquence, la distinction des opinions des femmes sur la question du genre s'opère à travers deux critères : soit par leur position sur le droit des femmes, soit par la représentation qu'elles se font de la place des femmes dans la société et les rapports entre les sexes.
{{
Les droits des femmes}}
Il existe tout d'abord un lien entre cette distinction et celle opérée précédemment entre les personnalités politiques et les militantes. Les personnalités politiques ainsi que les plus anciennes militantes du Nord nous apparaissent, dans notre première enquête, comme porteuses d'une « pensée féministe ». Elles ont toujours refusé, jusqu'à un certain degré, l'image de la « femme » véhiculée par la société yéménite. Elles ne se plient pas à ce qui doit être « convenable » en tant que femme ; elles n'entretiennent pas un comportement aussi distant avec les hommes que les autres femmes (ne pas serrer la main, ne pas rire ou plaisanter en présence d'hommes, ne pas en être physiquement proche…) ; elles ne se plient pas aux codes vestimentaires, puisqu'elles refusent de se couvrir le visage ; elles ne se soumettent pas aux limites diverses liées à leur statut de « femme » (refuser d'exercer des métiers dans des milieux exclusivement masculins, ne pas voyager seule…).
Cette attitude ne concerne que les personnalités politiques et quelques militantes d'un certain âge. Pour le reste du panel, il n'est plus question aujourd'hui de se battre pour le retrait du voile, contre les rapports convenables qu'une femme doit entretenir avec un homme (comme de ne pas leur serrer la main) ou certaines conventions sociales42. D'ailleurs, les pratiques politiques qui ont connu de récents changements en sont l'illustration. En effet, avant l'unification, la situation était assez semblable dans les deux États. Le régime socialiste du Sud permettait la mixité des réunions politiques et, au Nord, les politiciennes en charge de responsabilités au sein de leur parti, certes beaucoup moins nombreuses qu'au Sud, participaient aux côtés des hommes aux réunions politiques, qui ne se tenaient pas durant des séances de qat. Or, d'après le témoignage de certaines d'entre elles (Amat al-
Alîm al-Sûsuwa, Asmâ’ al-Bâshâ), la séparation hommes/femmes tend à s’accentuer depuis quelques années. Les hommes discutent des questions politiques et prennent des décisions durant les après-midi de qat, qui ne cessent de s’allonger. Les femmes ne peuvent décemment pas, et depuis toujours, y assister. Aujourd’hui, la séparation des sexes lors des réunions politiques est de rigueur au sein du PSY, ce qui provoque de forts mécontentements chez les militantes du Sud43.
Ainsi, dans l’organisation interne des partis, la responsable de la « section féminine » a pour mission de rapporter auprès des hommes les discussions engagées et les positions prises lors des réunions entre les militantes. La décision finale revient sans conteste aux hommes. Mais cette constatation ne doit pas laisser entendre que les espaces de mixités sont inexistants. En effet, malgré cette apparence officielle d’imperméabilité des rapports entre les sexes, des rencontres ou de simples contacts sont possibles. Ainsi, comme nous l’avons mentionné précédemment, nombre de jeunes militantes se sont engagées en politique au cours de leurs études universitaires. Or l’enseignement dispensé est mixte, tout comme le militantisme. En outre, si les réunions se déroulent dans le bâtiment du parti, la présence d’homme est forte, là encore, et les rencontres sont fréquentes. De plus, des actions politiques menées en commun laissent aussi place à un espace de mixité. Il en est ainsi lors des réunions exceptionnelles, pour les élections internes au parti, en période de campagne électorale, propice aux rencontres entre les sexes, ou si la militante participe au journal du parti. Enfin, la diffusion du téléphone portable, depuis ces quatre dernières années, n’est pas sans conséquence sur l’apparition de contacts discrets, échappant au contrôle de la société. Ainsi, nous pouvons nous demander dans quelle mesure certaines femmes ne trouvent pas dans le militantisme une échappatoire à la stricte séparation des sexes.
Enfin, certaines militantes appartenant à la nouvelle génération et présentant les caractéristiques des personnalités politiques de demain adoptent des positions et des attitudes identiques à celles de leurs aînées qualifiées dans notre enquête de personnalités politiques. Comme leurs prédécesseurs, ces jeunes militantes sont peu nombreuses.
Les rapports entre les sexes
Une fois encore, le positionnement des femmes interrogées diverge selon qu’elles appartiennent à l’une ou à l’autre catégorie déterminée. Ainsi, les « militantes féministes » travaillent continuellement pour être au fait de tous les sujets évoqués lors des réunions. Elles sont particulièrement documentées. Elles ont la volonté de prouver qu’elles sont capables d’aborder tous les thèmes de l’actualité et non seulement ceux réservés aux femmes (questions ayant trait au foyer, à la famille).
Le reste des militantes n’exprime aucune conscience de discrimination. Elles militent en ayant à l’esprit qu’hommes et femmes sont différents et, pour certaines, défendent l’idée de leur infériorité dans les prises de décisions ou de la limitation des thèmes sur lesquels elles peuvent agir.
En conclusion, les femmes de notre panel occupant un poste à responsabilité, quel qu’il soit, dans un parti politique, forment un groupe dont il ressort une unité régie par une logique interne (liée à leur histoire, à leur classe sociale ou à leur stratégie individuelle) et également défini par sa représentation du genre et des rapports entre les sexes. En outre, l’engagement politique des femmes, bien qu’ancien, présente depuis l’unification un nouveau visage, celui de l’islamisation de la société yéménite et de l’émergence de nouveaux parcours et modèles, notamment due à l’augmentation du nombre des militantes.
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Notes
1 Halliday 1975, p. 539 ; Molyneux 1977, 1980, 1979 et 1982, p. 87 ; Badran 1998, p. 458-518 ; Lackner 1985, p. 210 ; Ismael & Ismael 1986, p. 183.
2 Molyneux 1977. L’Arab Women’s Society (Société des femmes arabes) est la première association de femmes, fondée en 1940, et la plus active dans la sphère politique.
3 Badran 1998, p. 500. En effet, selon l’auteur, les revendications des combattantes yéménites occupaient une place singulière comparées à celles des autres mouvements de libération de cette même période, tous largement soutenus par les femmes. La raison en serait que les Yéménites, n’opérant pas de distinction entre le pouvoir séculier et le pouvoir religieux, posèrent le problème différemment, en termes « d’intégration de l’espace » (integrated space). L’auteur affirme que « les femmes yéménites n’avaient pas à justifier leur féminisme comme authentique culturellement, comme la plupart des femmes dans les sociétés post-coloniales se sentaient obligées de le faire » (« Yemeni women do not have to justify their feminism as culturally authentic, as most women in post colonial societies fell compelled to do »). Sa conclusion est alors que la femme yéménite s’insère dans une culture religieuse et non, selon l’expression de l’auteur, dans un « État islamique laïc ». Or cette analyse est critiquable si nous considérons l’analyse de Fluehr-Lobban 1980, pour qui la participation des femmes dans le mouvement de libération du Yémen du Sud n’a que peu profité aux femmes yéménites.
4 Fondée en février 1968, elle est reconnue comme une organisation de masse dans la constitution de 1970, article 58. Son champ d’action se limitait à Aden, Lahj et le Hadramaout. Contrôlée par le Parti socialiste yéménite dès 1978, l’UFY adopta une structure identique aux autres unions, comme l’Union des paysans ou l’Union de la jeunesse. Elle comporte six branches, dont la plus active est celle d’Aden (citons aussi al-Mukallâ comme pôle dynamique). Selon Maxine Molyneux (1982, p. 19), l’organisation comprendrait quinze mille membres.
5 De nombreuses critiques ont été formulées sur la portée des actions menées par l’Union durant ces années ; voir Ismael & Ismael 1986, p. 60, qui rapporte une interview donnée au journal 14 Uktûbar le 18 décembre 1983, p. 3, par Ânis Hasan Yahyâ, membre du Comité central du PSY, et qui déclare que l’Union « n’a joué aucun rôle effectif dans notre vie économique et sociale ».
6 Ismael & Ismael 1986, p. 59 : « [The Union] has come to play a special political role, being recognized in the party constitution as the YSP’s main reserve and assistant. […] People up to the age of 28 join the YSP exclusively through the Union. »
7 Il s’agit de la plus importante formation politique, anciennement appelée Front de libération nationale (FLN), à laquelle s’allient les partis communs aux pays arabes : parti nassérien, partis baasistes et forces de gauche.
8 Ismael & Ismael 1986, p. 126.
9 Ainsi, aucune femme n’atteignit le poste de ministre dans le Conseil des ministres, l’instance la plus influente du parti, Molyneux 1982, p. 19.
10 « One of the best educated populations of women in the Arab World and gave them job accordingly », Dunn 1993, p. 16-27.
11 Citons la thèse de Saîd Muhammad al-Makhlafî (al-Makhlafî 2002).
12 Cette date doit être corroborée par d'autres témoignages.
13 Interrogée lors de notre enquête, le 25 septembre 1999.
14 Fâtima Abû Bakr, fondatrice de la branche de Taez du Comité national des femmes, a participé dès la fin des années 1960 à des conférences internationales, financées par l'UNESCO, auprès de ses amies militantes du Sud.
15 Les écoles étaient rares dans le Nord. La première promotion d'étudiantes diplômées y date de 1971.
16 Cette information nous a été confirmée par Margot Badran. En 1965, la Yemeni Women's Association (Association des femmes yéménites) fut créée. Elle avait un programme social similaire à l'organisation du Sud.
17 Detalle 1996, p. 332-347.
18 D'après son propre témoignage, elle dut son élection au soutien du président de la République,
Alî Abd Allâh Sâlih, qui appuya sa candidature au moment du vote.
19 Amat al-
Alîm al-Sûsuwa occupa la fonction de secrétaire d’État à l’Information en 1997. Elle a été la directrice du Comité national des femmes (National Women Committee), aujourd’hui la plus importante organisation de femmes du Yémen. Elle fut nommée en juin 2000 ambassadrice du Yémen aux Pays-Bas. Elle est ministre des Droits de l’homme depuis mai 2003.
20 al-Makhlafî 2002, p. 152. Si la thèse d’al-Makhlafî fournit un tableau exhaustif du nombre de membres, en fonction du sexe, engagés les différents partis politiques, il manque la date des adhésions. De sorte que nous savons qu’elles ont eu lieu après l’unification mais sans plus de précision. En outre, ce tableau ne permet pas d’offrir une image de l’évolution de la participation des femmes au cours des dernières années dans les différentes formations. Leur proportion au sein des partis politiques est de 3,76 % pour le Congrès populaire général, de 1,88 % pour le Parti arabe socialiste Baas, de 1,77 % pour le Parti socialiste yéménite, de 1,57 % pour le Parti de l’union nassériste, de 0,80 % pour le Hizb al-Haqq, de 0,36 % pour le Parti nassérien démocratique, de 0,073 % pour le Hizb a-Islâh, de 0,04 % pour le parti Râbitat abnâ’ al-Yaman.
21 Nous faisons part, ici, de quelques éléments de réponses glanés au cours de notre enquête. Ils ne sauraient constituer un corpus suffisant pour former une réelle analyse de ce phénomène. Une étude approfondie reste à accomplir.
22 Instance de direction du parti.
23 Si les femmes interrogées disent avoir été élues, il serait plus juste d’employer le terme de cooptation.
24 Voir Clark 1997, p. 13-15, qui confirme que les leaders du parti ont compris « le rôle crucial que les femmes ont joué et continuent à jouer dans le recrutement et la mobilisation d’autres femmes pour rejoindre ou pour voter pour al-Islâh ».
25 2262 candidats se sont présentés, dont 141 femmes.
26 Al-Banna’a 2003.
27 Quarante-quatre candidates, sur 3 166 candidatures, se présentèrent lors des premières élections de 1993 (voir National Democratic Institute for International Affairs 1998, p. 38 et 44). Elles ne furent plus que onze, pour 1 396 candidatures, à celles du 27 avril 2003.
28 Al Mo’ada 2003, p. 37 : « In fact there was an undeclared but orchestrated campaign master-minded by the party leadership to discourage women at the party’s rank and files from nomination on grounds that the party may sustain potential losses in the up-coming elections », « En réalité, il y eut une campagne non déclarée mais soigneusement orchestrée par les dirigeants du parti pour dissuader les militantes de base de se présenter, sous le prétexte que le parti était susceptible de subir des revers aux prochaines élections ».
29 Radiyya Shamshîr, ancien membre du PSY, se présentait dans le district d’Aden.
30 D’autres données recueillies lors de notre enquête étayent notre analyse, comme l’organisation de rencontres informelles entre militantes de différents partis.
31 Une interview durant en moyen une heure trente.
32 Ont été interrogées individuellement : sept militantes du Congrès populaire général (CPG), trois militantes du Parti socialiste yéménite (PSY), deux militantes d’al-Islâh, deux militantes du Hizb al-Haqq, une militante du Parti nassérien démocratique, une du Parti de l’union nassériste et une du Parti arabe socialiste Baas. Les entretiens collectifs sont au nombre de trois, en présence de trois militantes à chaque rencontre au parti Râbitat abnâ’ al-Yaman, Parti arabe socialiste Baas et Parti socialiste yéménite.
33 Ne pas disposer de l’approbation de leur père ne signifie pas un refus de la part ce dernier. En effet, les femmes ne peuvent s’engager en politique sans le soutien de leur famille et, notamment, celui du père.
34 Anciennement avec le sharshaf ou, à présent, avec une nouvelle forme de voile appelée le niqâb.
35 Douze d’entre elles ont vécu soit à l’étranger pour accompagner leur famille ou compléter leurs études, soit à Aden.
36 Elles sont filles aînées, pour neuf d’entre elles, ou premières filles, dans quatre cas, ou bien, parmi les autres frères et sœurs, elles ont en charge l’éducation de la fratrie.
37 Les militantes du Parti socialiste yéménite d’Aden subissent un ostracisme dans la fonction publique du fait de leur engagement. En outre, les femmes qui étaient dirigeantes d’entreprise ou occupaient un poste à responsabilité avant l’unification ont petit à petit perdu leur emploi.
38 Cette question devrait faire l’objet d’une étude plus approfondie. Dans le milieu politique, hommes et femmes sont rétribués, mais dans quelle proportion ? Il semble que les sommes fluctuent en fonction de la notoriété du militant ou de la militante. Une de celles que nous avons interrogées nous confia qu’un parti politique, autre que celui dans lequel elle militait, voulant la rallier à ses rangs, lui avait proposé une somme importante. Elle refusa, même si son parti ne la rétribuait que peu. Elle nous avoua être convaincue par les idées qu’elle défendait et ne pas s’être engagée pour une question d’argent.
39 Neuf cas de femmes mariées, cinq femmes divorcées et cinq célibataires.
40 Députée parlementaire entre 1993 et 1997, elle est une des trois élues du comité central du PSY.
41 Le droit des femmes est intimement lié à la représentation que les militantes se font de leur propre position et de la place des femmes yéménites dans la société. Ainsi, il n’est nullement question de remettre en cause, pour aucune d’entre elles, la fonction reproductrice des femmes et leur rôle d’éducatrice et de responsable du foyer au quotidien.
42 Les militantes du Parti socialiste yéménite se plient très souvent à contrecœur à ces nouvelles pratiques. L’islam est entendu par les femmes du PSY interrogées comme une religion portant leur identité de « femme arabo-musulmane ». Elles en ont été « privées » pendant les années du pouvoir socialiste et elles perçoivent le « retour » du religieux, par certains aspects, comme un bienfait.
43 Nujûm, militante de la première heure au PSY, témoigne, par exemple, des changements intervenus dans le Sud. Après l’unification, son mari insista pour qu’elle se couvre la tête et qu’elle porte le paletot, manteau noir, afin de respecter les conventions. Elle s’est exécutée. Puis la question des réunions mixtes a été soulevée. Une fois encore, les convenances sociales ont été les plus fortes. Il lui a demandé de refuser les réunions en compagnie d’hommes. Elle s’est une fois encore exécutée. Aujourd’hui, elle a l’impression qu’à plus de cinquante-cinq ans, tout son combat politique est à reprendre. Ce témoignage illustre également les sentiments de beaucoup de militantes du Sud. En effet, concernant la question des droits des femmes, celles-ci considèrent que l’unification a mis fin à toutes les avancées acquises durant les années de régime socialiste. Notons encore que la situation devint plus délicate après l’unification pour d’autres femmes, comme la députée Khawla Sharaf, qui fut menacée de mort si elle ne respectait pas le port du voile.