Alors que la manifestation s’était jusqu’à présent déroulée dans le calme, réunissant entre 20 000 (selon les organisateurs) et 7 200 personnes (selon la police), les agriculteurs hostiles au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ont refusé, samedi 9 janvier, d’évacuer le périphérique de Nantes. Ils ont d’ailleurs d’ailleurs donné rendez-vous à leurs soutiens pour un pique-nique prévu dimanche à 12 heures.
Mais samedi soir plusieurs centaines de CRS avec des lanceurs d’eau et une dépanneuse encerclaient les manifestants. Toutefois la police a indiqué qu’une entrevue avec les représentants des opposants était prévue pour leur demander de partir d’eux-mêmes avant toute intervention.
Les organisateurs avaient prévu d’appeler à partir de 15 h 30 à la dispersion de la manifestation, mais COPAIN44, un collectif d’organisations agricoles − dont fait partie la Confédération paysanne − a annoncé au mégaphone poursuivre une occupation illimitée du grand pont de Cheviré, qui traverse la Loire, tant que François Hollande ne renoncerait pas à l’expulsion des habitants du site prévu pour le futur aéroport nantais.
Les opposants au projet d’aéroport entendent ainsi protester contre d’éventuels arrêtés d’expulsion, qui pourraient être prononcés par le tribunal de grande instance de Nantes, le 13 janvier et concerneraient les opposants historiques, onze maisons et quatre fermes, représentant plus de 400 hectares de terres agricoles sur les quelque 1 220 ha que couvre le projet d’aéroport.
Plus d’une trentaine de rassemblements
Les opposants manifestaient aussi à Paris, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Strasbourg, Albi, Rennes, Lille, Chambéry… ou encore au cap Sizun. En tout, plus d’une trentaine de rassemblements étaient annoncés, preuve du symbole national que représente la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, un combat historique pour un dossier ancien d’une cinquantaine d’années.
C’est en effet au milieu des années 1960 que les autorités choisissent cette zone, située à une quinzaine de kilomètres au nord de Nantes, entre les villages de Notre-Dame-des-Landes et de Vigneux-de-Bretagne, pour construire un nouvel aéroport, destiné à accueillir le Concorde, emblème national de la politique aéronautique en ce temps-là. Mais ce projet est devenu symbole de discorde et d’une méthode de lutte contre des projets jugés « inutiles ».
A l’été 2009, lors du premier « camp action climat » se tenant en France, l’occupation de la zone d’aménagement différé, devenue zone à défendre, commence. La ZAD est née, devenant un modèle repris dans de nombreuses autres luttes environnementales, à Sivens (Tarn), contre un projet de barrage, ou à Roybon (Isère), contre un Center Parcs. Le bocage nantais, pittoresque patchwork de prés et de bois, de taillis et de petits chemins, est aujourd’hui parsemé de dizaines de cabanes, de caravanes, de fermes et de maisons réoccupées par des militants écologistes, « antisystème », des agriculteurs.
Les « pour » et les « contre »
Dans l’attente d’une éventuelle confrontation, les deux camps fourbissent leurs arguments. Les pro-aéroport sont très largement majoritaires chez les élus de la région Pays de la Loire, à la mairie de Nantes ou au conseil départemental. L’ancien président socialiste de région Jacques Auxiette, comme le nouveau, Bruno Retailleau (Les Républicains), partagent la même position. L’ex-premier ministre (2012-2014), et ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, a aussi toujours défendu la nécessité d’un nouvel aéroport à Notre-Dame-des-Landes, ce qui a valu à cette infrastructure d’être rebaptisée l’« Ayraultport » par ses opposants.
Droite et Parti socialiste se retrouvent sur ce dossier, tout comme le Parti communiste ou encore les élus locaux de l’Union démocratique bretonne (UDB) — qui refusent la centralisation du trafic aérien par les plates-formes parisiennes. Favorable au projet, l’association Des ailes pour l’Ouest regroupe un certain nombre de chefs d’entreprise, avançant « 154 décisions de justice favorables au projet, le soutien de 3 Présidents de la République, 6 premiers ministres, 2 régions, 4 agglomérations ».
Le camp adverse n’est pas composé des seuls « zadistes », décrits par M. Retailleau comme une « minorité bornée, bruyante et ultraviolente », dans un entretien au Point, le 8 janvier. Les écologistes, une partie du Front de gauche, l’extrême gauche, des associations de défense de l’environnement, mais aussi des syndicats comme la CGT régionale, la FSU (les enseignants) ou Solidaires sont résolument opposés au projet.
Du côté des agriculteurs, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) refuse l’artificialisation de terres agricoles qu’entraînerait le futur aéroport, mais rejette toute manifestation aux côtés des zadistes, alors que la Confédération paysanne milite activement au côté des opposants. Des groupes chrétiens du diocèse de Nantes, dans l’esprit de l’encyclique du pape François Laudato si’« sur la sauvegarde de la maison commune », en mai 2015, ont exprimé au début de janvier leur souhait que soient « réexaminés l’ensemble du projet et ses alternatives, avec une procédure transparente et démocratique », et que soit arrêtée « toute procédure d’expulsion des habitants de la zone concernée ».
Le Front national a aussi fait état de son hostilité au transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique à Notre-Dame-des-Landes. Le parti d’extrême droite réclame dans le même temps l’évacuation de la ZAD. Une pétition de riverains, qui serait signée par plus d’un millier de personnes, sans prendre position sur le projet lui-même, réclame aussi le départ des zadistes.
Au niveau gouvernemental, enfin, Manuel Valls a exprimé son souhait de voir l’aéroport se construire et le premier ministre entend évacuer la ZAD et restaurer l’autorité de l’Etat. Seule la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a exprimé des doutes sur la pertinence d’ouvrir ce chantier, et préfère en appeler à de nouvelles expertises indépendantes afin d’envisager de possibles autres solutions. Ce point avait fait l’objet d’un accord pour le deuxième tour des élections régionales entre le PS et les écologistes, malgré leur opposition sur le fond du dossier.
Démocratie et transparence
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Parmi les nombreux arguments avancés d’un côté comme de l’autre, la question de la démocratie est souvent évoquée. Pour les pro-aéroport, cela signifie le respect des décisions prises, notamment le décret d’utilité publique de février 2008, et les conclusions des diverses enquêtes d’utilité publique. L’unanimité n’était pourtant pas de mise. Ainsi que le rappelle la Commission nationale du débat public, « la Communauté de communes d’Erdre et Gesvres, rassemblant les communes les plus directement intéressées par le projet, s’est prononcée à une assez nette majorité en faveur de la création d’un nouvel aéroport dans l’Ouest, mais a formulé un avis négatif à l’issue d’un vote assez serré quant à son implantation sur le site de Notre-Dame-des-Landes ».
Aujourd’hui, les opposants, regroupés entre autres dans l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport (Acipa), dénoncent le manque de transparence et l’absence de démocratie. Dans une lettre publique du 21 décembre 2015, ils accusent les autorités de « rétention d’informations capitales », notamment sur le cahier des charges initial de l’appel d’offres, sur des données comme « le gain de temps pour les passagers », qui aurait justifié la nécessité du transfert de l’actuel aéroport, le coût de sa rénovation « majoré de façon abusive » ou encore sur l’étude des zones de bruit. Selon l’Acipa, auteure du courrier, alors que l’intérêt général vers Notre-Dame-des-Landes serait justifié par « les nuisances sonores et la santé publique », l’Etat « a renoncé au transfert de l’aéroport de Toulouse alors que les logements inclus dans le Plan de gêne sonore y sont au nombre de 20 453 contre 1 751 à Nantes ».
S’appuyant sur leurs propres expertises, en opposition à celles présentées par l’Etat, la région ou la direction générale de l’aviation civile, ils dénoncent « un projet inutile, coûteux et destructeur » et demandent l’ouverture d’un débat sur la possible « optimisation » de l’actuel aéroport. Les « pro » évoquent l’augmentation du trafic aérien, la saturation prochaine de Nantes-Atlantique et défendent le transfert pour des raisons environnementales. Vinci Airport, concessionnaire du futur aéroport du Grand Ouest, annonce des bâtiments basse consommation et une plate-forme certifiée « haute qualité environnementale ». Le transfert permettrait d’éviter le survol de l’agglomération nantaise et l’existence de deux pistes, au lieu d’une actuellement, réduirait les nuisances sonores et améliorerait la sécurité. Un collectif de deux cents pilotes, s’opposant au transfert, conteste cette analyse.
Sur la biodiversité et les espèces protégées, sur la préservation des zones humides, la possibilité de compenser leur destruction et la méthode de calcul pour y parvenir, les contestations sont aussi nombreuses. Le futur plan de transport régional, avec la construction de lignes à grande vitesse vers l’ouest, l’existence de nombreux aéroports dans la région (Saint-Nazaire, Rennes…), comme le coût global de l’opération constituent aussi des points d’affrontement. Autant de raisons, selon les opposants, de rouvrir le dossier.
Ultime argument, si les contestations ont toutes été rejetées par la justice, les dernières en juillet 2015, certaines procédures (en appel notamment) sont encore en cours. Julien Durand, porte-parole de l’Acipa, n’a de cesse de rappeler l’engagement du chef de l’Etat à ce qu’aucune intervention des forces de l’ordre n’ait lieu avant l’épuisement de tous les recours juridiques. Une promesse qui devrait éviter, selon lui, de prochains affrontements autour du paisible bourg de Notre-Dame-des-Landes.
Rémi Barroux
Journaliste au Monde
* « Notre-Dame-des-Landes : les agriculteurs refusent d’évacuer le périphérique de Nantes ». Le Monde.fr | 09.01.2016 à 11h12 • Mis à jour le 09.01.2016 à 22h27 :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/01/09/notre-dame-des-landes-bataille-frontale_4844450_3244.html
Notre-Dame-des-Landes : regain de tension entre opposants et gouvernement
| Par Rémi Barroux
Le chantier du futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à quinze kilomètres au nord de l’agglomération nantaise, va-t-il débuter prochainement ? Entre les déclarations du premier ministre, Manuel Valls, qui n’a cessé de l’affirmer durant les derniers mois de 2015, et les initiatives des opposants, qui vont se multiplier dans les prochains jours, la tension monte.
Mardi 5 janvier, les opposants, regroupés dans de nombreuses associations dont l’Acipa, l’Association citoyenne intercommunale des populations concernées par le projet d’aéroport, devaient tenir une conférence de presse à La Vache rit, une ferme située dans la ZAD, la zone à défendre, lieu emblématique de la résistance qui s’est manifestée dès 2009 par l’occupation des terrains destinés à la future plate-forme aéroportuaire. Ils ont notamment prévu d’annoncer l’organisation d’une manifestation samedi, qui devrait voir de nombreux tracteurs, vélos et manifestants à pied occuper les boulevards périphériques au nord et au sud de Nantes. Cet encerclement, non interdit par la préfecture, doit permettre d’éviter des débordements dans le centre-ville, tels qu’ils s’étaient déroulés lors de la manifestation du 22 février 2014.
Il s’agit pour les manifestants de protester contre d’éventuels arrêtés d’expulsion, qui pourraient être prononcés par le tribunal de grande instance de Nantes le 13 janvier. Ce rendez-vous judiciaire, prévu à l’origine le 10 décembre 2015, avait été reporté, COP21 oblige. En fin d’année, Aéroport du Grand Ouest (AGO), filiale de Vinci Airports, a relancé la procédure. Elle concerne les opposants historiques, onze maisons et quatre fermes représentant plus de 400 hectares de terres agricoles – le projet d’aéroport couvrant 1 220 ha. Après les mesures d’expropriation déjà prononcées et les recours des opposants rejetés en juillet par la justice, cette nouvelle étape signifierait un feu vert pour les expulsions et l’évacuation de la ZAD, préalables au démarrage des travaux. Les derniers occupants arrivés sur la ZAD, qui ont monté un projet de conserverie au lieu-dit de la Noé verte, passeront, eux, en procès le 27 janvier.
Guérilla judiciaire
Les 200 à 300 militants, agriculteurs, occupants de fermes et de maisons, habitants des cabanes et caravanes qui émaillent le bocage nantais, n’en auront pour autant pas fini avec la guérilla judiciaire qui marque la très longue histoire de ce projet, vieux de cinquante ans.
Jeudi 7 janvier, les naturalistes « en lutte contre l’aéroport » tiendront à leur tour une conférence de presse pour présenter cinq nouvelles espèces protégées rencontrées sur la zone : deux animaux, le crossope aquatique (une musaraigne) et le triton de Blasius (un amphibien), et trois plantes. Avec plusieurs associations de défense de l’environnement, ils ont écrit au ministère de l’écologie et à la préfecture pour signaler la présence de ces espèces, non répertoriées dans l’arrêté de dérogation pour la destruction d’espèces protégées pris par le préfet en décembre 2013. Cet arrêté, ainsi que celui sur la « loi sur l’eau », ont déjà été attaqués en justice par les opposants qui attendent le jugement en appel.
« Il n’est pas possible de s’attaquer à ces bêtes durant la période de reproduction et le créneau pour le transfert de certaines espèces va vite se refermer, explique le porte-parole du collectif des naturalistes, François de Beaulieu. Si le gouvernement fait la bêtise d’évacuer la zone avant, il comprendra alors que la manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes derrière un triton en carton, comme en février 2014 à Nantes, démontre un fort haut niveau de mobilisation. »
Affrontement inévitable
L’affrontement paraît donc inévitable d’autant que la position gouvernementale n’a pas varié. Le changement de majorité régionale et l’élection du nouveau président de région, Bruno Retailleau (Les Républicains), n’ont pas modifié la donne. Ce dernier a demandé à M. Valls, lors d’une entrevue le 15 décembre, le démarrage rapide des travaux et l’évacuation de la ZAD. Rappelant que l’actuel chef du gouvernement était ministre de l’intérieur lors de l’opération « César », une tentative d’évacuation en novembre 2012, M. Retailleau veut compter sur la détermination de M. Valls, mais redoute « le triangle des Bermudes où se perdent les décisions ».
« Je crains que l’intérêt régional, le nouvel aéroport, ne soit sacrifié sur l’autel des manœuvres politiciennes, par exemple d’une main tendue à Cécile Duflot [chef de file d’EELV] », confie-t-il au Monde. M. Retailleau redoute en outre que, si l’évacuation de la ZAD n’est pas menée avant mars, elle ne devienne impossible à un an de l’élection présidentielle.
Du côté gouvernemental, la thèse reste la même. « La volonté est de mener à bien ce projet très attendu localement. Il a obtenu les feux verts nécessaires et permettra de ne pas devoir étendre l’aéroport actuel, source de nuisances multiples, notamment pour les 40 000 personnes résidant sur la trajectoire des avions », précise un conseiller. A l’initiative de riverains, une pétition réclamant l’évacuation de la ZAD aurait recueilli plus d’un millier de signatures.
Jeudi, une réunion interministérielle doit avoir lieu sur ce dossier. « Une réunion technique comme il s’en tient régulièrement sur le sujet », précise-t-on à Matignon. La ministre de l’écologie, Ségolène Royal, plutôt hostile à l’actuel projet, décline toute responsabilité. « C’est un dossier traité directement par le premier ministre, a-t-elle expliqué au Monde. J’ai donné mon avis et proposé que l’on explore des solutions alternatives. On tient des discours sur la démocratie environnementale, alors appliquons-les. » Cette proposition d’une nouvelle expertise indépendante sur « l’optimisation » de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique était justement au cœur de l’accord politique régional entre le PS et les écologistes, pour le second tour des élections régionales en Pays de la Loire.
Rémi Barroux
Journaliste au Monde
* LE MONDE | 05.01.2016 à 06h47 • Mis à jour le 05.01.2016 à 14h46 :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2016/01/05/notre-dame-des-landes-regain-de-tension-entre-opposants-et-gouvernement_4841637_3244.html