« Je n’ai jamais dormi dans les camps. J’avais trop peur que quelqu’un me touche. Les tentes étaient toutes mixtes et j’ai été témoin de violences […] Les femmes ne peuvent pas vraiment se plaindre et ne veulent pas causer de problèmes susceptibles de perturber leur voyage. »
Le témoignage de Reem, 20 ans, fait partie des quarante récits de femmes réfugiées, essentiellement syriennes, recueillis le mois dernier en Allemagne et en Norvège par Amnesty International. Des témoignages bouleversants qui témoignent de l’horreur vécue par les migrants durant leur traversée de l’Europe et qui soulignent la vulnérabilité particulière des femmes dans ce périple. Beaucoup d’entre elles « sont exposées à des violences, à des agressions, à l’exploitation et au harcèlement sexuel à toutes les étapes de leur trajet, y compris sur le territoire européen. » rapporte l’ONG.
Leur exploitation commence avant même leur départ, au moment de négocier avec les passeurs. Quand elles n’ont pas assez d’argent, certains « essayent souvent de les forcer à avoir des relations sexuelles avec eux. Ils leur font du chantage, c’est une pratique répandue » explique Jean-François Dubost, responsable de la question réfugiés-migrants pour Amnesty France. « À l’hôtel en Turquie, un des hommes travaillant avec le passeur, un Syrien, m’a dit que si je couchais avec lui, je ne paierais pas ou que je paierais moins. Bien entendu, j’ai dit non, c’était dégoûtant. Nous avons toutes connu la même chose en Jordanie », raconte Hala, une jeune Syrienne de 23 ans originaire d’Alep. Une réalité déjà bien connue par les ONG, mais que ces témoignages viennent de nouveau attester.
Ils ont en outre mis en lumière une autre réalité : « Même les Etats européens ne sont pas en mesure de protéger ces femmes, remarque François Dubost. Ce sont les conditions dans lesquelles elles sont accueillies dans ces Etats qui provoquent des comportements déviants ». Des femmes et des jeunes filles voyageant seules ou avec leurs enfants se sont en effet senties particulièrement en danger dans les zones et des camps de transit en Hongrie, en Croatie et en Grèce. Dans ces camps, où elles peuvent rester de quelques jours à plusieurs mois, les femmes sont parfois forcées de fermer l’oeil dans des dortoirs mixtes avec des centaines de personnes, doivent utiliser les mêmes sanitaires que les hommes ou sont soumises aux regards de ces derniers qui peuvent facilement tout observer. Une dizaine de femmes interrogées par Amnesty International ont déclaré avoir été touchées, caressées ou déshabillées du regard dans ces camps. Résultat : certaines femmes interrogées disent avoir, pendant cette période, cessé de boire ou de s’alimenter pour éviter d’aller aux toilettes - ou même avoir préféré dormir dehors, où elles se sentaient plus en sécurité.
Chantage sexuels
La violence vient même, parfois, des surveillants. En Allemagne, un agent de sécurité a proposé à une Irakienne de 22 ans de lui donner des habits si elle acceptait de « passer du temps seule » avec lui. Les forces de l’ordre, pourtant sous responsabilité directe de l’Etat, ne protègent pas non plus toujours les femmes, au contraire. Le témoignage de Myriam, une adolescente syrienne de 16 ans, passée dans un camp en Grèce le prouve : « Des gens se sont mis à crier, alors des policiers nous ont attaqués et ont donné des coups de bâton à tout le monde. Ils m’ont frappée sur le bras avec un bâton. Ils s’en sont même pris à des enfants. Ils ont frappé tout le monde sur la tête. J’ai été prise de vertige et je suis tombée par terre, des gens m’ont marché dessus. Je pleurais et j’ai été séparée de ma mère. Ils ont appelé mon nom et je l’ai retrouvée. Je leur ai montré mon bras et un policier l’a vu et a ri, j’ai demandé à voir un médecin, et ils nous ont dit à toutes les deux de partir. »
Rania, une jeune Syrienne enceinte âgée de 19 ans raconte aussi son passage dans un camp en Hongrie : « Lors de notre deuxième jour sur place, des policiers ont frappé une Syrienne d’Alep parce qu’elles les avaient suppliés de la laisser partir […] Sa sœur a essayé de la défendre, elle parlait anglais. Ils lui ont dit que si elle ne se taisait pas, ils la frapperaient elle aussi. Une chose similaire est arrivée à une Iranienne le lendemain parce qu’elle avait demandé plus de nourriture pour ses enfants. » Les représentants d’Amnesty International ont notamment parlé à sept femmes enceintes qui racontent avoir été écrasées par les mouvements de foule aux frontières et aux points de transit et qui ont souffert d’un manque de nourriture et de services de santé essentiels dans les camps.
« Alors que la crise des réfugiés s’est installée durablement en Europe, il n’y a aucun cadre spécifique pour protéger ces femmes, se désole François Dubost. Et pourtant, ailleurs dans le monde, les femmes bénéficient en général d’une protection particulière dans les camps de réfugiés. « Si cette crise humanitaire avait lieu où que ce soit ailleurs dans le monde, on s’attendrait à ce que des mesures pratiques soient immédiatement prises afin de protéger les groupes les plus vulnérables, comme les femmes voyageant seules et les familles ayant une femme à leur tête. Au minimum, cela impliquerait de proposer des installations sanitaires bien éclairées réservées aux femmes, et des zones séparées des hommes où elles puissent dormir en sécurité. Ces femmes et leurs enfants ont fui certaines des zones les plus dangereuses du monde, et il est honteux qu’ils se trouvent encore en danger sur le sol européen », conclut Tirana Hassan, responsable de la réaction aux crises chez Amnesty International.
Cécile Bourgneuf