L’Hôtel national des Invalides accueillait, mercredi 9 décembre dans son amphithéâtre Austerlitz, Jean-Luc Mélenchon pour présenter ses thèses géopolitiques et stratégiques pour un nouvel indépendantisme français. Un évènement organisé par la Commission Défense du Parti de Gauche à l’occasion de la parution d’un Cahier de la Revue de la Défense Nationale (RDN) reprenant et complétant les contributions présentées lors de la journée Défense du PG de février 2014.
Cette présentation comme la parution de cette revue sont un évènement politique dont l’importance est inversement proportionnelle à sa médiatisation immédiate. A fortiori dans une période où la Patrie est par bien des aspects en danger. Les partisans de la Révolution citoyenne démontrent ainsi, aux côtés des meilleurs experts militaires et géopolitiques, qu’ils ont compris que l’indépendance militaire est aussi une condition de la reconquête de la souveraineté du peuple. Et qu’il faut s’en donner les moyens humains et industriels, au service de l’ensemble de l’économie et de la société.
Un débat civique nécessaire sur la Défense
Cette initiative poursuit un débat ouvert par Jean-Luc Mélenchon dés la campagne de 2012 où les questions de Défense étaient restées largement méprisées par les autres candidats. Le Colonel Pellistrandi, nouveau directeur de la Revue de la Défense Nationale, a salué le fait que c’était « la première fois » depuis la seconde guerre mondiale qu’une force politique lançait un débat aussi durable et approfondi sur les questions militaires. Au point que son prédécesseur, l’Amiral Dufourcq, avait décidé de consacrer un cahier entier de cette prestigieuse revue officielle aux contributions issues de ces débats ouverts par Jean-Luc Mélenchon et le PG. Et d’appeler les autres forces politiques à utiliser elles-aussi les colonnes de la RDN pour nourrir le débat démocratique sur cette question trop souvent soustraite aux citoyens.
L’arc de contributions publiées dans ce cahier est impressionnant par sa diversité intellectuelle et sociale et sa qualité technique. En réponse à nos interpellations et sans forcément les partager, on peut y lire notamment les contributions libres de Chloé Morel, meilleure spécialiste française de l’ONU, des amiraux Dufourcq et Gaucherand, des généraux Desportes et D’Ornano, des universitaires et analystes géopolitiques Benoist Bihan, Pascal Boniface, Laurent Henninger, Jean-Philippe Immarigeon. Mais aussi des militants syndicaux et politiques, praticiens militaires, Djordjé Kuzmanovic, Eric Chassaing, Dominique Flachat, Jean-Charles Hourcade, Alain Joxe, Théophyle Malo et Yann Le Pollotec.
L’ensemble de ces contributions étant conclues par les thèses de Jean-Luc Mélenchon en faveur d’un nouvel indépendantisme. Un débat encore élargi le 9 décembre avec la présence remarquée d’autres officiers supérieurs (colonels et commandants d’active notamment des armées de l’Air et de Terre) et des industriels de la Défense (avec notamment des représentants d’EADS et de la Construction navale).
Un nouvelle alliance avec les BRICS
Ce débat est aussi international comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon en plaidant en faveur d’une nouvelle alliance altermondialiste. En présence notamment des représentants des BRICS, avec d’importantes délégations diplomatiques et militaires des ambassades de Russie, de Chine, du Brésil, mais aussi de l’Equateur et du Venezuela. Une manière d’illustrer concrètement la nécessité d’une alliance internationale respectueuse du droit international pour combattre Daesh et ses acolytes en Syrie comme l’a proposé la Russie à l’ONU depuis deux mois. Une nouvelle alliance dont Jean-Luc Mélenchon a montré qu’elle remettrait la France en cohérence avec sa vocation de Nation universaliste et non occidentale. L’OTAN étant plus que jamais un système d’alliance contraire aux intérêts français qui nous coupe des Russes et des Chinois, partenaires infiniment plus stratégiques pour l’avenir d’un monde ordonné et pacifique que la puissance états-unienne devenue toxique. Un emballement belliqueux des États-Unis qui est bien illustré par le chroniqueur Philippe Immarigeon, spécialiste de l’histoire américaine. Pour lui cette puissance est plus que jamais improductive et ne survit que grâce un puissant système de représentation culturelle de son hégémonie et de ses ennemis. Au prix d’un gâchis financier et écologique croissant et de destructions matérielles et humaines colossales à chaque fois que les USA interviennent quelque part.
Loin de ce modèle dangereux, Jean-Luc Mélenchon a rappelé que la défense devait appartenir au peuple, et redevenir un enjeu national et civique. Il a dénoncé le fait que les décisions stratégiques de la France, et notamment son alignement aveugle sur les USA et diverses alliances mercantiles (Arabie Saoudite, Quatar) soient prises sans qu’il y ait le moindre débat nulle part. Pour que la Nation retrouve une cohérence stratégique, il a plaidé pour que la géopolitique commande à la politique qui commande à l’économie. Et il a souligné que la souveraineté, notamment militaire, est la condition de la démocratie. Et qu’elle n’est nullement incompatible avec le retour à un régime parlementaire et doit être au cœur des travaux de l’Assemblée Constituante dont le pays a besoin.
L’Armée dans un état critique
Invité à dresser un état des lieux des armées françaises après dix ans d’austérité libérale, le Colonel Goya a présenté un tableau des forces armées « dans un état critique ». Il n’y avait jamais eu aussi peu d’effectifs mobilisables en France depuis l’Ancien Régime. Et la dégradation des conditions de travail conduit à un appauvrissement du capital d’expérience militaire, pourtant décisif pour vaincre et penser le temps long. Corollaire de cette destruction de l’État, plus aucun grand projet de Défense n’a été lancé en France depuis les années 1980. Les commandes sont repoussées, les quantités diminuées, les coûts unitaires explosent. Au final, les programmes coutent plus chers pour moins d’unités livrées. La conservation du matériel ancien fait exploser les coûts de maintenance.
Autant d’arguments qui servent aux libéraux de prétexte pour privatiser les dernières industries françaises de Défense, comme l’a illustré un représentant de Nexter (exGIAT) vendu à une famille de capitalistes allemands. La conséquence est que nous sommes en capacité de vaincre de moins en moins d’ennemis : avec les 15 000 hommes actuellement déployés à l’étranger nous sommes au maximum de ce qui est possible pour tout cet appareil militaire en ruine. Et le tout sans aucun effet stratégique, ni possibilité opérationnelle de gagner les conflits dans lesquels la France est intervenue. Un éclairage opérationnel qui fait écho aux exemples récents d’une armée française rendue incapable d’agir seule, souverainement : porte avions Charles de Gaulle obligé d’être assisté de navires étrangers, notamment britanniques, pour sortir ou encore pénurie de munitions nécessitant des commandes exorbitantes auprès de firmes états-uniennes et israéliennes.
Autant d’exemples et de contributions édifiantes qui dessinent la nécessité d’un sursaut qui ne sera pas possible sans l’énergie du peuple tout entier.
Laurent Maffeïs avec Djordjé Kuzmanovic et Bastien Lachaud