Sous ce quinquennat, les salariés ont perdu des droits. Nous n’accepterons pas que la loi El Khomri les réduise davantage.
Le projet El Khomri veut simplifier les licenciements pour favoriser les embauches ? Mais d’expérience on le sait, simplifier les licenciements simplifie juste les licenciements. Et gonfle les dividendes.
Depuis un siècle, le patronat dénonce ce « carcan » que serait le Code du Travail. « Vos lois sociales coulent une industrie déjà fragile », lançait en 1909 le sénateur Touron, président de l’Association de l’industrie et de l’agriculture françaises, à René Viviani, ministre socialiste du Travail, sous l’impulsion duquel fut écrit le premier Code. En 2006, Laurence Parisot eut ce cri du cœur : « La liberté de penser s’arrête là où commence le Code du travail. »
Manuel Valls et François Hollande veulent alléger le Code du Travail. Pour quel profit ?
Contre le chômage ? Sous Nicolas Sarkozy, la mission Combrexelle a passé ce Code à l’acide, supprimant 1,5 million de signes, 500 lois. Un Code light va booster l’embauche, disait la droite. Il n’a créé aucun emploi. Car même l’OCDE le reconnaît : une législation protectrice des salariés n’influe pas sur la destruction ou la création de postes.
Dans ce pays, on ne parle jamais des salariés carbonisés au travail. Victimes innommables d’une guerre économique innommée. Mais chaque année, ce sont 500 accidents mortels au travail, 700 suicides, 650 000 accidents avec arrêts, 4500 handicapés directement liés au travail. Des chiffres ? Non, des vies. Renvoyées au chômage, à la précarité, à la misère. Ruinées. Invisibles. Méprisées.
Le code du travail n’est ni obèse ni illisible. Il permet déjà aux employeurs trop de dérogations défavorables aux salariés. Il n’est pas assez directif, pas assez contrôlé, assez appliqué : les agressions envers des agents de l’inspection du travail ont été multipliées par quatre en dix ans, les suites judiciaires données à leurs procès-verbaux sont en chute libre, les moyens alloués à l’inspection du travail sont continuellement restreints.
Les pistes de réforme du Code du travail, énoncées à ce jour, sont inacceptables.
Le référendum d’entreprise ? Il délégitime l’intervention syndicale. Il permet plus de pressions patronales, plus de chantages aux licenciements. Chez Smart, il aurait permis à la direction d’appliquer directement son projet de 39 heures payées 37. A la Fnac, il risque d’obliger au travail le dimanche.
Au-delà de 35 heures, les heures sup devront être « compensées » et non plus majorées de 25% comme aujourd’hui ? Emmanuel Macron dit la vérité : c’est la fin des 35 heures. A présent les syndicalistes partent sur la base de 25 % à 50 % de majoration des heures supplémentaires pour négocier. Quelle sera la « compensation » ? Nettement moins, à coup sûr.
Mme El Khomri projette d’augmenter par accord d’entreprise la durée du travail ? Ce sera donc travailler plus pour gagner moins. Son texte empile d’ailleurs les dispositions contre les salariés. Pour abaisser les indemnités de licenciement en cas de licenciement abusif, pour dissuader les salariés d’attaquer l’employeur aux Prud’hommes, pour l’obliger à revoir à la baisse ses conditions de travail, etc. Le projet El Khomri, c’est l’employeur-roi !
Mais ce que l’on sait du projet El Khomri n’est qu’un début. Tant d’autres pistes inquiètent. Car les rapports Combrexelle et Badinter sapent certains soubassements du droit du travail en réduisant leur champ d’application.
Le principe de faveur, par exemple. Il fixe qu’en cas de contradiction entre la loi, le contrat de travail ou une convention collective, la règle la plus favorable s’applique au salarié. M Combrexelle ne l’accepte que si « la loi n’en dispose pas autrement ».
L’obligation de reclassement, qui pose qu’un employeur doit tout mettre en œuvre pour reclasser son salarié avant un licenciement économique. « Sauf dérogation prévue par la loi » rétorque le rapport Badinter. Ce qui crée pas mal de brèches : supprimer l’obligation de reclassement des licenciés pour motif économique et pour ceux rendus invalides, notamment.
Lisons l’article 13 de ce rapport : « Le contrat de travail est à durée indéterminée. Il ne peut être conclu pour une durée déterminée que dans les cas prévus par la loi. » N’est pas reprise la formulation en vigueur : le CDI est « la forme normale et générale de la relation de travail ». Est-ce simple hasard ? N’est pas réaffirmé le garde-fou actuel aux dérogations : le CDD ne doit répondre qu’aux besoins temporaires de l’entreprise. Pourquoi cet oubli ? Quand le Medef rêve d’un recours sans frein aux CDD.
L’article 1 proclame : « les libertés et droits fondamentaux de la personne sont garantis dans toute relation de travail. Des limitations ne peuvent leur être apportées que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise… » Mais il s’agit du Code du travail, non ? Alors pourquoi évoquer la « personne » et pas des salariés ? En droit, les mots comptent. Effacer les salariés, c’est ne parler ni des employeurs, ni des pouvoirs patronaux. C’est reproduire la philosophie libérale contractualiste, où le contrat de travail est accord pur des volontés pures entre personnes égales.
Cet article, d’ailleurs, place le bon fonctionnement de l’entreprise sur le même plan que les libertés fondamentales. Comme dans le traité de Lisbonne qui met au même rang la dignité des personnes, le droit de propriété et la liberté d’entreprise.
Dans la lettre installant la Commission Badinter, Manuel Valls déclare : « la double fonction assignée au droit du travail est de plus en plus mal remplie. Alors qu’il doit à la fois protéger les travailleurs et sécuriser les entreprises pour leur permettre de se développer… ». Mais ce n’est pas là, et ce ne doit pas être, la mission du Code du travail.
Comme le stipule l’article L. 120-3, ce Code vise à borner le « lien de subordination juridique permanent à l’égard de l’employeur ». Depuis 1910, et à chaque avancée sociale, il eut cette fonction. Le premier Code provient des résistances ouvrières. Aujourd’hui, les luttes des salariés visent souvent à renforcer cette barricade juridique qu’est le Code. Le rendre protecteur des entreprises, c’est écrire l’histoire à l’envers.
Ensemble, dans les mois qui viennent, nous allons défendre les droits des salariés et jeter les bases d’un Code du travail qui les protège.
Clémentine Autain (Ensemble), Olivier Besancenot (NPA), Eric Coquerel (Parti de gauche), Gérard Filoche (PS), Willy Pelletier (Fondation Copernic), Pierre Laurent (PCF), Eric Beynel (Solidaires), Fabrice Angei (CGT), Noël Daucé (FSU).