L’uberisation et la prolétarisation des chauffeurs, les rentes des concessionnaires d’autoroutes, le système de fixation des prix ferroviaires ne permettant pas l’accès de toutes et tous au train et détruisant l’emploi, la pénalisation des plus pauvres en Île-de-France... Tout cela m.
La gratuité des transports en commun : une urgence sociale et écologique
Quand les besoins des milieux populaires, les exigences de santé, de lutte contre la pollution et le réchauffement climatique, se rencontrent naturellement, autour d’une revendication simple...
Nul besoin de développer longuement la nécessité de diminuer la circulation automobile, responsable de plus d’un quart des gaz à effet de serre. Mais il est par exemple utile de rappeler que les particules fines (PM10 et PM 2,5) ont des effets sanitaires majeurs. Les plus fines (PM 2,5), regroupant les composés les plus toxiques et pénétrant plus profondément les voies respiratoires, seraient à elles seules pour l’Europe1 responsables d’une perte d’espérance de vie de 9 mois pour tous les habitantEs et de 386 000 décès prématurés. Une étude d’Air Parif2 de septembre 2011 indique que « Le trafic routier et en particulier l’échappement est la source majeure de PM 2,5. Il représente environ 50 % des concentrations mesurées. (…) Les véhicules diesel sont les principaux émetteurs de PM 2,5. » Ces données montrent l’importance d’une réduction radicale de la circulation automobile pour la santé.
Pour aller au travail, suivre des études, se distraire, tout simplement vivre, il faut pouvoir se déplacer facilement dans des villes et des agglomérations de plus en plus étendues. Pour se passer de la voiture, il faut que les transports en commun assurent un service au moins équivalent et soient attractifs. La gratuité est une de ces conditions d’attractivité qui peut permettre la quasi-suppression de la circulation automobile en ville. Les mesures ponctuelles, comme la gratuité lors des pics de pollution, ne peuvent changer l’organisation des déplacements réguliers de chacunE, et ne changent rien aux effets quotidiens de la pollution atmosphérique.
Cette préoccupation essentielle rejoint celle des milieux populaires pour lesquels le prix des transports en commun est très lourd. Non seulement ces milieux sont souvent relégués dans de lointaines banlieues (dans lesquelles la pollution est pour diverses raisons plus importante que la moyenne), mais ils n’ont pas la possibilité de se déplacer librement. Car lorsqu’on paie, ce n’est pas la liberté. Et toutes les mesures sociales (gratuité pour les chômeurs, tarifs préférentiels pour les jeunes, etc.) ne sont pas des mesures pour donner une liberté, ce sont des mesures d’assistance, attribuées à celles et ceux qui peuvent prouver leur statut particulier. La gratuité doit être une gratuité d’émancipation, qui libère toute la circulation dans les villes.
Deux milliards d’euros...
Les opposants à la gratuité avancent deux arguments. Le premier est que tout a un coût, et donc que tout se paie. Mais les trottoirs, les jardins publics, l’école, ont eux aussi un coût... mais sont gratuits car la société a fait le choix à un moment précis de dire que ces services devaient être librement accessibles à toutes et tous. Faisons-le pour les transports, ce qui changerait la vie, comme le montrent les bilans des villes dans lesquelles elle est en place.
Le second est que cela coûterait trop cher. La Cour des comptes, pourtant très hostile à la gratuité, nous donne dans son rapport de 2015 des arguments. En 2012, les 9 milliards d’euros de dépenses pour les transports en commun étaient financés à 46 % par la taxe versement transport versée par les entreprises de plus de 11 salariéEs (9 jusqu’en décembre 2015, encore un frein du gouvernement aux transports en commun), à 35 % par les impôts locaux, et seulement à 17 % par les « recettes tarifaires ». C’est-à dire que la gratuité des transports en commun pour 27 millions d’utilisateurs coûterait aux environs de 2 milliards par an, sans compter les économies, par exemple en frais de santé.
Dans de nombreuses villes, existent des collectifs, groupes de militantEs qui agissent pour la gratuité des transports en commun. à l’initiative du collectif grenoblois, ils préparent une réunion nationale en mai 2016. Donnons-nous les moyens qu’elle permette une amplification des luttes pour la gratuité et les services publics. Car rien n’est plus alternatif au marché que la gratuité puisqu’elle instaure le fait que chacunE vive non plus selon « ses moyens financiers », mais « selon ses besoins »...
Par la gratuité, inventons de nouveaux rapports sociaux, en rognant l’espace et la puissance du règne de l’argent, du libéralisme.
Patrick Le Moal
1. Étude européenne CAFE (clean for Air Europe)
2. Chargé de la surveillance de la qualité de l’air en Ile-de-France
Pour un service ferroviaire public et accessible à tous !
Au 1er avril, la SNCF mettra en place sa nouvelle gamme tarifaire. Ce changement enterre définitivement la notion de prix kilométrique pour donner une place prépondérante au yield management dans l’offre tarifaire des billets.
Concrètement, cela veut dire qu’il n’y aura plus de tarif de référence pour un trajet, mais que celui-ci sera compris dans une fourchette pouvant contenir une multitude de prix en fonction du remplissage du train. En faisant cela, la SNCF s’inspire ouvertement du système aérien.
Cette politique va accélérer la suppression de lignes, pour ne garder que les trains dits rentables, soit ceux vendus le plus cher. Comme si cela ne leur suffisait pas, afin de gagner toujours plus, les conditions d’échange et de remboursement vont changer pour être encore plus contraignantes. Dorénavant, quelle que soit la date à laquelle le voyageur voudra échanger ou se faire rembourser son billet, il devra payer des frais de modification. L’entreprise publique se justifie en invoquant la nécessaire adaptation à la concurrence... Pas sûr que cette initiative incitera les usagers à se détourner du covoiturage pour revenir prendre le train.
Le tout-en-ligne...
La suppression des guichets répond à la même logique. La direction de la SNCF souhaite le tout digital pour l’achat et l’après-vente des billets, et pour cela, elle emploie tous les moyens. Ainsi aujourd’hui, une personne souhaitant le tarif le moins cher est obligée de prendre son billet en ligne si elle veut en bénéficier. Tout est fait pour inciter à ne plus venir en gare ni en boutique, quitte à ce que les usagers les plus vulnérables n’ayant pas d’accès à internet ou ne pouvant régler par carte bancaire se retrouvent contraints de devoir payer plus cher leur billet...
Leur politique n’a qu’un but : faire toujours plus de profit sur le dos des cheminotEs et des usagerEs. Alors contre les attaques sur les conditions de travail ainsi que les mauvaises politiques commerciales, il est temps de réaffirmer que le rail doit être un service public, et que les moyens de le rendre fiable et gratuit existent.
Correspondant
Autoroutes : la nouvelle féodalité
Les droits de passage sur les routes et ponts faisaient partie des droits féodaux supprimés par la Révolution française. Destinés en principe à l’entretien de ces ouvrages, ils étaient en fait souvent détournés par ceux qui les percevaient. Le régime actuel des autoroutes a restauré une forme de féodalité au profit des actionnaires.
Le réseau autoroutier français a une longueur de près de12 000 km. Les trois quarts (9000 km environ) sont exploités sous le régime de la concession : l’État confie à une société concessionnaire le soin de construire, d’entretenir et d’exploiter certaines autoroutes, moyennant la perception d’un péage auprès des usagers. Le développement du réseau date de la deuxième moitié des années 50. Le18 avril 1955 a été adoptée une loi sur les autoroutes. « L’usage des autoroutes est en principe gratuit », stipule le texte... qui instaure en fait les péages !
Après des débats acharnés, au motif des moyens nécessaires pour développer le réseau autoroutier, le principe des concessions et des péages est instauré sous conditions. En fait, ils vont devenir la norme. Les sociétés concessionnaires sont d’abord contrôlées majoritairement par l’État. Mais, une fois construites, les autoroutes pouvaient être une bonne affaire. D’où la privatisation des sociétés concessionnaires engagées en 2002 par le gouvernement de Lionel Jospin qui vend au privé 49 % du capital d’Autoroutes du sud de la France (ASF).
Au début de 2006, le gouvernement de Dominique de Villepin décide de privatiser toutes les sociétés concessionnaires par décret, sans vote du Parlement. Pour 14,8 milliards d’euros que l’État reçoit immédiatement, il se prive ainsi pour l’avenir de recettes garanties beaucoup plus importantes. Ces recettes sont alors estimées entre 34 et 39 milliards d’euros : plus du double de l’argent reçu par l’État !
Quand la Cour décompte...
En fait, les sociétés d’autoroute se sont débrouillées pour augmenter encore plus leurs recettes, malgré un contrôle théorique de l’État sur leurs tarifs. La Cour des comptes a plusieurs fois dénoncé cette situation. L’État, en général prêt à se plier à tous les avis de la Cour quand il s’agit de réduire les prestations sociales, décide dans ce cas de ne pas en tenir compte, et continue à homologuer sans rechigner des tarifs de plus en plus favorables aux actionnaires. Par ailleurs, malgré leurs recettes, les salariéEs des sociétés d’autoroute ne sont pas à la fête, en matière d’emplois, de conditions de travail et de salaires.
En 2015, la question est revenue sur le devant de la scène. La remise des concessions a été rejetée par le gouvernement qui instaure un pseudo-mécanisme de contrôle... et valide des augmentations des péages pour plusieurs années.
Les autoroutes sont donc devenues une source de profits considérables. Le financement par les péages n’était pas inéluctable : les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont rapidement développé des réseaux très denses et gratuits. Le financement par les péages est aussi injuste : pour les automobilistes aux revenus modestes, le coût des péages devient plus lourd que ne le serait un surcroît d’impôt calculé en fonction des revenus. Enfin, les péages favorisent les transports par camions dont les surcoûts sont financés par les automobilistes. Certes, les poids lourds payent plus que les véhicules légers, mais diverses études montrent que le surcroît de péages est loin de compenser les coûts d’investissement et d’entretien des autoroutes générés par le trafic des camions.
Henri Wilno
De quoi Uber est-il le nom ?
Derrière le conflit apparent entre taxis et VTC (voiture de transport avec chauffeur) se dissimule une lutte entre deux monopoles aussi féroces l’un que l’autre contre leurs chauffeurs qui peinent à (sur)vivre de leur travail.
Le groupe des taxis G7 avait réussi à instaurer un véritable monopole capable d’organiser la pénurie des licences, d’étouffer les taxis indépendants et même de racheter, dans un secret gardé pendant 10 ans, son concurrent Taxis bleus. Il en tirait évidemment une rente substantielle.
La libéralisation d’abord, le changement technologique ensuite, vont faire naître un autre monopole concurrent. En 2008, Attali (déjà et encore lui !) avait écrit qu’il fallait « lever les barrières pour devenir taxi ». à partir de 2009, le VTC est autorisé et accessible avec une licence d’à peine 100 euros Les plateformes de commercialisation et les applications comme Uber, qui permettent de commander une course en voiture via son smartphone, vont donner toute sa dimension au phénomène.
Entre les deux systèmes, la concurrence fait rage pour une même clientèle qui n’est pas extensible à l’infini. La loi Thévenoud était supposée mettre un peu d’ordre dans la jungle ainsi créée en durcissant les conditions d’accès au statut de VTC. Mais le décret fixant les conditions concrètes des formations et de leur validation n’est toujours pas sorti. Grave dilemme pour le gouvernement, qui doit arbitrer entre les taxis et VTC déjà en place qui ne veulent pas de nouveaux arrivants, et la sacro-sainte concurrence libre et non faussée supposée créer emploi et croissance en « déverrouillant l’économie » ! De plus, la loi d’organisation du transport intérieur (LOTI) permet de contourner la non-délivrance du statut à de nouveaux chauffeurs en les autorisant à travailler via la « capacité de transport » de l’entreprise qui les emploie sans formation particulière. Elle concernerait 30 à 40 % des chauffeurs de VTC.
Les chauffeurs grands perdants
Dresser les exploités (ici chauffeurs de taxi contre chauffeurs de VTC) les uns contre les autres est un grand classique du capitalisme. Là encore, le secteur est en pointe. Pourtant comme le dit le responsable du syndicat des VTC : « la victoire n’est pas pour nous les chauffeurs mais pour les plateformes qui nous paupérisent », et comme le souligne un autre, « c’est le même système d’exploitation des chauffeurs » car « le système mis en place par les applications est en fait copié de celui des centrales de taxis comme G7, avec une centrale de réservation qui redistribue les courses vers des chauffeurs affiliés ».
En pointe, ce secteur l’est aussi en ce qui concerne le torpillage du code du travail et l’art de fabriquer « des salariés parfaitement déguisés en patrons ». Côté G7, les chauffeurs travaillent exclusivement pour la centrale, et le plus souvent paient le droit d’utiliser la licence, la location d’une voiture qui ne leur appartient pas, le service de la centrale radio... De son côté, Uber fait miroiter à des chômeurs un avenir d’(auto)entrepreneurs, prétendument « partenaires » de l’application, mais il a décidé unilatéralement de baisser les prix de 20 %, imposant des salaires mensuels de 1 500 à 1 800 euros par mois pour 60, 70 voire 80 heures par semaine. Dans les deux cas, les chauffeurs subissent bel et bien la subordination qui caractérise le salariat, mais le droit du travail et la protection sociale en moins !
Les Uber et autres imposent l’exploitation la plus crue sans les « entraves » du code du travail : le rêve néolibéral de Macron devenu réalité. Ils se drapent dans le vocabulaire de l’économie collaborative, et veulent nous faire prendre le capitalisme le plus sauvage pour son antithèse. à nous de redonner vie à un projet de société, à des alternatives concrètes mettant réellement en œuvre le partage, la mise en commun, l’usage partagé, plutôt que la propriété.
Christine Poupin
En Île-de-France, les tours de passe-passe de Huchon, Pécresse et Hidalgo
Depuis le 1er septembre 2015, les cartes d’abonnement aux transports (Pass Navigo) sont à un tarif unique de 70 euros par mois. Pour les scolaires (carte Imagin’R), 333,90 euros par an. L’aboutissement d’années de luttes qui doivent être poursuivies jusqu’à la gratuité complète pour touTEs.
Jusqu’en 1975, chaque mode de transport avait sa carte d’abonnement : bus, métro, trains de banlieue (il n’y avait pas encore de RER ni de tramways). Vers 1970, des syndicats et la gauche animèrent des luttes pour la « carte unique de transport ». Et les « gauchistes » ajoutaient « payée par les patrons ». C’était une revendication sociale au profit des travailleurs. Les loisirs, les études, n’étaient pas à l’ordre du jour, l’écologie encore moins...
La Carte orange fut finalement créée en 1975 avec plusieurs tarifs : la moins chère pour Paris et la proche banlieue, la plus coûteuse pour aller jusqu’en grande banlieue. En 1982, le ministre PCF Fiterman décida que les employeurs devraient rembourser à leurs employés la moitié de leur Carte orange.
Promesses électorales
Pour les régionales de 2004, le PCF mit dans son programme le tarif unique pour toutes les zones, mais ne réussit pas à le faire accepter à ses partenaires PS et Verts. En 2010, les Verts reprirent l’idée à leur compte et entre les deux tours des élections régionales conditionnèrent la fusion de leurs listes avec celles du PS à un engagement de mettre en place le tarif unique à mi-mandat, soit en 2013 (le NPA qui avait mis la gratuité en première place de son programme n’eut pas d’élus). L’engagement n’a été tenu qu’en fin de mandat, et l’alignement se fit à un niveau tarifaire plus élevé que ce qui avait été promis, car chaque année, les tarifs augmentaient d’environ 3 %, soit bien plus que l’inflation...
Les critiques n’ont pas manqué, notamment de la droite qui dénonçait l’alourdissement de la fiscalité des ménages payant la taxe foncière et des « charges » des entreprises qui financent directement plus du tiers des transports publics. D’autres, en particulier la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, souvent mieux inspirée, ont affirmé qu’en grande banlieue, beaucoup souffraient plus de l’absence ou de l’insuffisance des transports en commun que de leur prix, ce qui n’est pas faux. Mais comme c’est là que se trouve une bonne partie des poches de pauvreté de la région, beaucoup souffrent et des carences de l’offre et des tarifs. Bizarrement, ces bons apôtres de la « priorité à l’amélioration du réseau » ne sont jamais allés jusqu’au bout de leur logique, aucune réflexion n’a été lancée et les budgets prédominants consacrés à la voiture jamais remis en cause.
Bartolone, candidat du PS à la récente élection, a eu beau se prévaloir de la réalisation de la promesse faite pourtant à contre-cœur par Huchon, c’est Pécresse qui a été finalement élue en promettant de ne pas revenir sur cet acquis.
Tarifs réduits
Mais sous prétexte de financer le déficit qu’il engendre, au lieu d’augmenter le versement transport des patrons ou de supprimer les subventions qu’elle compte leur faire comme ses prédécesseurs, odieuse mesquinerie, elle annonce le renforcement de la chasse aux fraudeurs et la suppression du tarif réduit accordé aux sans-papiers bénéficiaires de l’aide médicale d’État. Il est effectivement anormal que certains Français en grande détresse soient moins bien traités, mais dans ce cas, il aurait suffit de leur accorder à eux aussi ce tarif réduit !
Certains retraités bénéficient aussi de tarifs réduits (Cartes Émeraude et Améthyste), mais les critères diffèrent d’un département à l’autre. C’est Paris qui offrait le barème le plus avantageux jusqu’en avril 2015. Depuis, comme en banlieue, seuls les revenus les plus bas jouissent de la gratuité ou d’un tarif modique. Les autres ont vu brutalement leur carte augmenter de manière vertigineuse, alors que les retraites sont gelées depuis des années. Et le PCF, les « Frondeurs » et les Verts ne se sont pas désolidarisés d’Hidalgo sur ce sale coup... comme sur bien d’autres !
Jacques Capet