LES DÉFIS DU DÉPASSEMENT : QUÉBEC SOLIDAIRE À LA CROISÉE DES CHEMINS
1. Après les élections de 2014 - un bilan contrasté
On continue d’avancer
Il y a une augmentation des votes dans la vaste majorité des circonscriptions électorales (sauf dans les 20 comtés à fortes populations allophones).
Il y a l’élection de Manon Massé, troisième députée de Québec solidaire.
QS s’est imposé sur la scène politique comme acteur important... malgré toutes les remises en question ; QS est identifié comme un parti indépendantiste, féministe et écologiste… QS est reconnu dans le paysage politique québécois.
Mais, les membres de Québec solidaire aspirent à un saut qualitatif…
La lenteur de la progression rejette la perspective d’un pouvoir gouvernemental à un horizon indéfini (10 %… au niveau national).
Au-delà de l’autosatisfaction – et de l’espoir d’un développement continu dans un temps uniforme, l’espoir d’un saut qualitatif face aux dangers de faire du surplace… et d’éventuellement rentrer dans une spirale de reculs, il y a une baisse du et des difficultés à assurer le renouvellement des membres …
2. La recherche des voies de dépassement de la situation actuelles et les débats qu’elle entraîne
Depuis juin 2014, on discute. Quelques idées apparaissent :
– Il y a une nécessité d’avoir des candidatures plus connues ayant une bonne crédibilité et pour certainEs une expertise économique.
– On devrait former une équipe de candidates et de candidats qui peut apparaître comme des ministrables.
– Et approfondir la professionnalisation de nos stratégies de communication – ce qui est déjà bien entamé.
– Enfin, développer une crédibilité économique – ouverture aux propositions des acteurs de l’économie sociale, des coopératives pour tenir compte de leurs préoccupations dans l’élaboration de propositions.
Ces idées sont en débat. Il n’y a pas de consensus.
– Il y a des résistances en défense de la place de la base militante et de ses liens avec les luttes sociales réelles comme les candidat-e-s du parti – volonté de laisser aux bases le choix des candidat-e-s, peur que la pression de vedettes ne nuise au maintien de la parité hommes-femmes.
– On se pose la question sur la remise au point du programme est nécessaire. Le dernier congrès a permis la clarification de l’enjeu 4 (lutte contre l’oppression des femmes, sur la prostitution, les revendications LGBT), ce qui a permis de dégager consensus très importants à ce niveau.
Pour le prochain congrès (juin), il est encore question de raffiner le programme, notamment sur la question de l’économie et de l’environnement (lutte contre les changements climatiques, bourse du carbone, etc.). Il y a un sentiment diffus, mais important que ces débats sur le programme nous éloignent des questions « chaudes » d’actualité.
Un autre débat important concerne la question du rapport de QS à l’indépendance.
Pour certains, il faut atténuer l’importance du thème de l’indépendance face au recul de la perspective de la souveraineté qui se serait manifesté dans ces élections. Pour d’autres, il faut au contraire préciser notre profil indépendantiste demeuré trop flou (mandat donné à la constituante qui aurait un mandat d’élaborer une constitution d’un Québec) et préciser nos rapports avec le PQ et le bloc souverainiste sous la direction péquiste. Il a été décidé que le congrès de juin n’aborderait pas frontalement cette question.
Le débat (à venir) sur l’indépendance rejoint un autre débat. Il importe en effet de se démarquer d’une coloration chauvine que prend de plus en plus le nationalisme québécois (discussion sur l’intégration et la lutte antiraciste – problématique de l’immigration qui va devenir très importante – démagogie de la CAQ, etc.). Cette question a été retenue pour le congrès de juin de QS (ce qui ne veut pas dire, cependant, de reprendre le débat sur la place de la laïcité dans notre conception de l’État québécois).
3. Des débats et des expérimentations qui placent Québec soliaire devant des choix stratégiques
La question des alliances et de la convergence indépendantiste
De type A
Il faut caractériser le PQ comme un parti néolibéral qui hégémonise un mouvement souverainiste pour mieux l’utiliser. Le PQ divise la société québécoise – sur une base ethnique à partir de logique identitaire. Il prétend séparer indépendance nationale et projet de société – mais il défend l’austérité, le libre-échange, et la politique pétrolière canadienne lorsqu’il est au pouvoir. Donc pour QS, une alliance avec ce parti (pacte électoral notamment) n’est pas pensable. L’accès à l’indépendance doit passer par la souveraineté populaire. La bataille indépendantiste doit se faire par les luttes concrètes dans le cadre des luttes citoyennes et la construction d’un nouveau bloc social indépendantiste autour des classes ouvrières et populaires.
De type B
Le PQ est encore le navire amiral de l’indépendance. Nous devons démontrer que nous sommes partie prenante de la famille indépendantiste. Nous devons avoir une politique de la main tendue vers les secteurs progressistes du PQ et entamer des discussions portant sur un pacte politique avec ce parti en incluant le mouvement social souverainiste non partisan. Ce rapprochement pourrait se faire sur la base d’une feuille de route spécifiant, par exemple, la tenue d’un référendum sur l’indépendance du Québec dès un premier mandat suite à la réalisation d’une assemblée constituante, -et ainsi démontrer que nous faisons partie du camp indépendantiste et que nous ne plaçons pas les intérêts de QS avant l’indépendance. Nous discuterons s’il est possible de concrétiser cette alliance au niveau électoral. - Sans oublier qu’il faut se débarrasser du gouvernement Couillard et éviter d’être coincés par la ’logique " du vote stratégique.
Le parti des urnes et le parti de la rue
Par ailleurs, il y a un vieux nouveau débat sur QS, plus spécifiquement, sur la question du « parti des urnes et le parti de la rue ». La succession des campagnes électorales ces dernières années a déplacé l’accent vers la joute électorale. Depuis le printemps érable également, les mobilisations ont faibli dans certains secteurs.
– Pour certains, il faut miser sur une dialectique d’un renforcement convergent de QS et des forces porteuses de la résistance à l’offensive néolibérale et de projet de transformation sociale. QS à ce moment doit accompagner le mouvement social par la présence de ses porte-parole et de ses militantEs dans les différentes mobilisations.
– On pourrait même regrouper les militantEs et les bases de QS sur la base des mouvements sociaux, créer des réseaux militants (syndicaux, étudiants, féministes, populaires, écologistes, etc.), un peu comme cela s’expérimente avec les comités intersyndicaux de Québec et Montréal depuis l’automne 2015. On parle même de modifier les statuts de QS pour faire une place à de tels regroupements sectoriels.
– Ces propositions soulèvent des débats cependant. On craint que QS se transforme en « gérant d’estrade » des mouvements sociaux.
La rue et les urnes
De type A
Les comités intersyndicaux (Québec et Montréal) visent à réunir des militantEs sur une base thématique plutôt que géographique pour favoriser l’ancrage de QS dans les mouvements sociaux et dans la population et impliquer des membres sur une base thématique. Il faut des moyens politico-organisationnels permettant l’enracinement de QS dans les mouvements sociaux : mouvements syndical, féministe, populaire, Il faut intervenir dans la lutte du Front commun, s’aligner sur les secteurs combatifs soutenir des formes d’action les plus militantes, d’effort concerté pour organiser et outiller nos militantEs présentEs dans le mouvement.
De type B
Il est préférable de ne pas prendre trop d’initiatives à ce niveau malgré la proposition de renforcer les liens avec les mouvements sociaux. Focus sur les campagnes politiques de QS, par exemple pour l’automne, sur la défense de l’école publique. Ne pas sortir sur les stratégies de lutte – refuser de se prononcer la grève sociale – ni comme perspective du mouvement communautaire ni comme stratégie possible du mouvement syndical. Maintenir avec les mouvements sociaux un rapport d’accompagnement, QS et mouvements sociaux ayant une tâche spécifique.
Confronter les politiques d’austérité
On convient sans avoir tout réglé qu’il faut un programme économique alternatif dans le contexte d’une offensive généralisée d’austérité et du tournant pétrolier, au-delà de la seule mise au point d’un discours électoralement rentable.
La question de la rupture et de la respectabilité
De type A
Un programme d’action requiert la nécessité d’une série de ruptures. Il faut focaliser sur les privilèges de caste corrompus accaparés par les élites, leur refus de payer la fiscalité, le lien entre lutte contre le changement climatique et la logique capitaliste de la croissance à tout prix. Il faut renforcer les dénonciations du comportement de l’oligarchie et mettre de l’avant la transition énergétique qui compte sur les investissements publics et le contrôle citoyen.
De type B
Le programme doit chercher à rehausser l’importance de la politique économique de QS, notamment en documentant comment la prospérité sociale et la défense du bien commun seront enrichies par nos propositions. Il faut sonder les entreprises d’économie sociale, les petites et moyennes entreprises, les chambres de commerce et les syndicats pour voir leur plan économique, et voir en même temps ce que nos instances régionales peuvent apporter comme idées (campagne de 3 ans, document de la campagne sur l’économie, etc.).
Pour ne pas conclure
QS entreprend une période qui sera à la fois exaltante et difficile. Plusieurs débats précis et concrets arrivent à maturité. Sans compter quelques questions « existentielles », qui n’interpellent pas seulement QS, mais toutes les formations de gauche dans le monde actuel. Plusieurs textes amorcent ces débats, dont celui de Simon Tremblay-Pepin (« Les prochaines étapes de QS. Vers un parti hybride », Nouveaux Cahiers du socialisme, n° 15, février 2016).
– La question du pouvoir. Faut-il le « prendre » ? Peut-on le « prendre » ? Faut-il miser sur une logique de rupture anticapitaliste, ou plutôt, sur une optique de gouvernance progressiste et sociale-démocrate ?
– Considérant le fait que le pouvoir réel est de moins en moins localisé sur le terrain politique dans le contexte des oligarchies opaques qui gèrent les « choses essentielles » sans aucune imputabilité, que reste-t-il de l’espace démocratique ? Peut-on le réformer ?
– Quel est le positionnement de QS face à des mouvements sociaux de plus en plus articulés ? Comment concrétiser la convergence ? Comment construire des rapports interactifs entre le parti et les mouvements ? Comment QS peut contribuer à la construction d’une identité populaire, de l’unité et de l’auto-organisation des mouvements en travaillant à un objectif à long terme, l’érection d’un pouvoir populaire ?
– Comment intervenir sur le terrain électoral sans détourner l’attention des luttes sociales ? Quelle est la place de l’intervention parlementaire dans le contexte d’une action (lutte) politique plus large ?
Bernard Rioux