DÉCLARATION CONCERNANT LES ATTAQUES CONTRE LES ATHÉES, LAÏQUES, ET MINORITÉS RELIGIEUSES AU BANGLADESH
Une initiative internationale parmi tant d’autres.
3 mai 2016
Nous, les soussignés universitaires, intellectuels, défenseurs des droits de l’homme et organisations du Bangladesh et du monde, condamnons sans équivoque les récentes déclarations des représentants du gouvernement du Bangladesh semblant blâmer écrivains, éditeurs et militants pour leur propre mort des mains d’extrémistes sanguinaires suspectés de liens avec des groupes islamistes militants. Nous exhortons le gouvernement du Bangladesh à prendre immédiatement des mesures pour protéger vigoureusement les droits de (non-)croyance et d’expression, tant en paroles qu’en actes.
Depuis février 2015, nombres d’ attaques meurtrières contre des athées, humanistes et écrivains laïques, des blogueurs et des éditeurs au Bangladesh, ont été commises, à chaque fois par des militants armés de machettes. Le 26 Février, 2015, Avijit Roy, fondateur du site et forum de libres penseurs Mukto-Mona, a été mis à mort alors qu’il quittait une foire du livre, où il était en visite avec sa femme, l’ auteur et activiste Rafida Bonya Ahmed. Ahmed a survécu, mais a été grièvement blessée. Le 30 Mars 2015, Washiqur Rahman a été massacré par un groupe d’extrémistes alors qu’il se rendait au travail. Le 12 mai 2015, Ananta Bijoy Das a été tué de la même façon. Le 7 Août, 2015, Niloy Neel fut assassiné lorsque six hommes purent le duper, s’introduire dans sa maison, et le frapper à mort après avoir enfermé sa compagne dans une pièce attenante. Le 31 octobre 2015, Faisal Arefin Deepan, un éditeur musulman de livres laïcs, fut lui achevé dans sa propre maison d’édition. Le même jour, trois autres - Ahmedur Rashid Tutul, Tariq Rahim et Ranadipam Basu - ont été grièvement blessés lors d’ une attaque similaire dans une autre maison d’édition. Et le 6 avril, 2016,l’ étudiant en droit Nazimuddin Samad a été attaqué et mis à mort alors qu’il rentrait chez lui.
Des croyants de minorités religieuses, des militants des droits LGBT et des professeurs d’université ont également été l’objet de menaces et d’attaques violentes. Entre octobre et décembre 2015, 37 leaders chrétiens ont reçu des menaces de mort. Le 27 Novembre 2015, des hommes armés ont attaqué une mosquée chiite, tuant une personne et en blessant trois. Le 25 décembre 2015, un kamikaze a blessé trois personnes dans une mosquée ahmadie. Le 21 février, des militants islamistes ont massacré un prêtre hindou et blessé un dévot. Le 15 mars 2016, un religieux chiite a été tué. Le 23 Avril 2016, le professeur d’université anglais Rezaul Karim Siddique a été exécuté sur le chemin du travail. Le 24 avril, un autre dévot hindou a été occis. Le 25 Avril, 2016, Xulhaz Mannan, rédacteur en chef du premier magazine LGBT du Bangladesh, et un militant des droits LGBT et artiste de théâtre, Mahbub Tanay, ont été poignardés à mort. Et le 30 avril 2016, un tailleur hindou précédemment arrêté et emprisonné pour avoir prétendument fait des commentaires désobligeants sur le Prophète Muhammad, a été assassiné, une fois de plus à coup de machettes.
Tandis que certaines de ces attaques ont été revendiquées par des groupes terroristes tels que Ansarullah Bangla et Ansar al-Islam, la branche d’Al-Qaïda au Bangladesh dans le sous-continent indien, d’autres ont été revendiquées directement par Daesh (ISIL).
La réponse du gouvernement du Bangladesh à ces attaques a été extrêmement décevante et la réaction aux attaques contre les athées et les militants laïques particulièrement décourageante. Personne n’a été pour l’instant mis en accusation pour ces meurtres. Alors que certaines arrestations ont eu lieu, très peu de charges ont été retenues contre les auteurs. Certains athées et laïcs menacés, qui sont sur des listes de cibles rendues publiques par les groupes islamistes militants impliqués dans les attaques en cours, ont été conviés à l’auto-censure ou à l’ exil lorsqu’ils ont demandé l’aide des autorités. De nombreux militants ont également des réticences à contacter la police, car ils craignent d’être accusés en vertu de la Loi sur les Technologies et Communications qui criminalise les écrits qui s’en prennent aux croyances religieuses . Les représentants du gouvernement n’ont pas pris de mesures pour aider à protéger les athées ou laïcs menacés, ni même n’ont publiquement condamné les meurtres. Les fonctionnaires ont plutôt pris leurs distances avec les victimes, ou même semblé blâmer les défunts pour leurs propres assassinats.
Après l’assassinat de Niloy Neel, la Premier ministre Sheik Hasina a déclaré : « Vous ne pouvez pas attaquer la religion de quelqu’un d’autre. Vous devez arrêter de faire cela. Il ne sera pas toléré que le sentiment religieux d’un autre soit blessé. « Après l’assassinat récent de Nazimuddin Samad, le ministre de l’Intérieur Asaduzzaman Khan a déclaré qu’une partie de l’enquête viserait « à déterminer s’il n’y a rien de répréhensible écrit dans ses blogs », indiquant par là même une certaine justification à la mort de Samad. Le Ministre Khan a également indiqué, « Les blogueurs, doivent contrôler ce qu’ils écrivent. ... Je veux dire que les gens devraient faire attention à ne blesser personne - ne pas dire de mal de telle ou telle religion, croyance ou chefs religieux « . Quelques jours plus tard, la Premier ministre Hasina est allée dans le même sens, déclarant en ce qui concerne les blogueurs laïcs. « Je considère ces écrits non comme de la libre pensée, mais comme un verbiage obscène. Pourquoi quelqu’un devrait-il écrire de telles choses ? Il n’ est en aucune manière acceptable que quelqu’un écrive contre notre prophète ou d’autres religions. Pourquoi le gouvernement prendrait-il ses responsabilités si ces écrits mènent à des incident fâcheux ? Tout le monde devrait rester décent. Nous ne pouvons prendre la responsabilité de défendre des attitudes non civilisées ».
Il n’est pas nécessaire d’être en accord avec les opinions d’une autre personne sur la religion pour lui reconnaître le droit d’exprimer ces opinions et de vivre dans une paix relative. La réponse à une opinion choquante ne doit pas être la violence meurtrière, mais une contre-opinion argumentée.
Ces meurtres d’écrivains innocents, blogueurs, éditeurs, militants et croyants minoritaires - simplement pour avoir exercé pacifiquement leurs libertés fondamentales - volent au Bangladesh nombres d’ esprits brillants et de courageux défenseurs des droits de l’homme.
Il est inexcusable que les représentants du gouvernement se soient positionnés globalement du côté des extrémistes meurtriers, aient demandé aux citoyens de pratiquer l’auto-censure, et aient omis de fournir une protection suffisante aux militants ou de demander des comptes aux tueurs.
Le Bangladesh s’est engagé à respecter les droits humains fondamentaux. La Constitution garantit à tous les citoyens le droit à la vie (article 32), la liberté de conscience et d’expression (article 39), et la liberté de religion (article 41). En outre, le Bangladesh est signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui protège le droit à la vie (article 6), à ne pas être victime de discrimination pour divers motifs (article 2), à la liberté de pensée, de conscience ou de religion ( article 18), et à la liberté d’expression (article 19).
Ces droits incluent la liberté d’adopter ou non une croyance religieuse, de modifier ou d’abandonner une religion ou une conviction, d’observer et de manifester une croyance religieuse , soit individuellement ou en commun, de parler librement et participer aux débats publics concernant leurs croyances , idées ou convictions, sans crainte d’attaques, de représailles ou de répression de la part du gouvernement.
Nous appelons donc :
• Le gouvernement du Bangladesh à protéger vigoureusement le plein exercice de la liberté de religion, de croyance et d’expression, des athées, des laïques, des minorités, et tous ceux qui exercent leurs droits dans leur pays ;
• Les représentants du gouvernement du Bangladesh à arrêter de citer la religion dans ses déclarations publiques comme justification pour nier les droits de certains Bangladais, et de condamner avec force et catégoriquement les attaques violentes contre les athées, les laïques, les minorités, et tous ceux qui exercent leurs droits dans leur pays ;
• Le gouvernement du Bangladesh à mener des enquêtes rapides, approfondies, efficaces, indépendantes et impartiales sur les meurtres survenus depuis février 2015, et veiller à ce que tous les responsables soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables qui respectent les normes internationales ;
• La communauté internationale à apporter un soutien et à fournir une assistance au Bangladesh pour répondre à cette crise sans précédent des droits humains.
SOURCE ET LISTE DES SIGNATAIRES : http://www.centerforinquiry.net/docs/opp/Bangladesh_statement.pdf
Signatures aussi disponible sur ESSF (version anglaise de l’appel) (article 37852), A call on the Bangladesh government after the attacks on atheists, secularists, and religious minorities in Bangladesh :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37852
Encart du blog Solidaires athées
“Aujourd’hui, les religieux radicaux au Bangladesh font tomber une chape de plomb terroriste sut tout un pan de la société, à l’instar de ce qui s’est passé en Algérie durant les années 1990. Le Hefazat-e-Islam avait publié une liste de 84 « blogueurs athées » exigeant que le gouvernement les poursuive pour blasphème. Au moins cinq des victimes depuis 2013 étaient citées dans cette liste.
Ils commencent à faire de nouveaux émules. Ainsi, au Yemen, le jeune blogueur Omar Mohammed Batawil, 18 ans, a été enlevé, puis abattu de deux balles dans la tête . En Ecosse, Asad Shah, né au Pakistan, a été poignardé 30 fois (!) par un musulman pakistanais – Shah était un ahmadi, un courant religieux auquel bien des sectes dénient le droit de se réclamer de l’islam .
On peut craindre que les assassinats ciblés de laïques, athées, libres penseurs, apostats, intellectuels – même musulmans, mais n’affichant pas la bonne « croyance » (un euphémisme pour idéologie religieuse) –, ne se répandent parallèlement aux attentats aveugles.”
Voir également l’article complet de Pierre Rousset :
Terreur intégriste : vague d’assassinats ciblés au Bangladesh 2 mai 2016 sur :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article37849