Les révélations sur les conditions d’emploi de salariés polonais (3,30 euros de l’heure) dans la centrale électrique de Porcheville (Rouge du 26 octobre), ou les luttes fréquentes de salariés surexploités dans les chantiers navals d’Alstom à Saint-Nazaire, prouvent, qu’avant même de franchir un nouveau pas en avant dans la « libéralisation » des services, l’Union européenne a déjà un cadre légal autorisant bien des passe-droits. La directive 1996/71/CE, appliquée à grande vitesse depuis 2000, organise les conditions de « détachement » de salariés fournissant des prestations de services hors de leur pays. Cette directive précise bien qu’en matière de droit social (durée maximale du travail et repos, congés annuels, taux de salaire minimal, sécurité, santé, hygiène...), ce sont les lois ou conventions collectives du pays d’accueil qui doivent s’appliquer. Elle stipule même qu’un « noyau dur de règles protectrices, clairement définies, devrait être observé par les prestataires de services ». Mais ces considérations générales sont assorties de multiples dérogations, en fonction notamment des durées de détachement des salariés (huit jours, un mois ou davantage, etc.). De même, les procédures de déclaration des salariés détachés auprès des autorités du pays d’accueil peuvent être inexistantes ou contournées, tant que des contrôles ne sont pas effectués par la vigilance syndicale, ou des prises de conscience suite à des comparaisons de bulletins de salaires.
Un cas typique en Europe, au moment du débat constitutionnel, a été dénoncé avec succès par les syndicats suédois. Une entreprise de bâtiment lettone (Laval) devait rénover une école en Suède et y avait détaché des salariés lettons. Mais les syndicats suédois du bâtiment ont vite constaté qu’elle n’appliquait pas les conventions en vigueur du pays. En février 2005, ils obtiennent l’arrêt du chantier. Laval conteste la décision en invoquant que la convention appliquée n’avait pas, en Suède, un caractère suffisamment général. La Cour de justice des communautés est saisie de l’affaire et il semble que l’avis de la Commission aille dans le sens du syndicat.
Dernièrement, le sénateur UMP Francis Grignon a rendu public (Le Monde du 25 octobre) un rapport décrivant les très nombreuses fraudes à l’application de la directive 96/71/CE, notamment dans le secteur du BTP (bâtiment), qui emploie 80 % du total des salariés détachés, soit plus de 150 000 personnes. Le sénateur note que « le BTP représente 81 % des interventions non déclarées identifiées » et que « les interventions des entreprises étrangères du BTP contrôlées se révèlent à 95 % inconnues de l’administration ». Conclusion sénatoriale : la directive 96/71 se révèle « perméable à des fraudes, constitutives de concurrence déloyale, notamment en matière de salaire ».