Le 2 septembre 1945, Hồ Chí Minh proclame la République démocratique du Viet Nam, Etat indépendant ; sa déclaration se réfère à la déclaration des droits de l’homme de la Déclaration de l’indépendance américaine et à la Déclaration française de 1789. Mais il précise aussitôt que la France a trahi les droits de l’homme en soumettant les Vietnamiens à sa domination et que le régime colonial a démenti la devise de la république française : Liberté-Égalité-Fraternité, de façon permanente. La double référence à l’histoire n’était pas innocente car les événements passés que Hồ Chí Minh évoquait, concordaient avec la situation de la fin 1945 : les colonies anglaises d’Amérique s’étaient révoltées contre la Couronne britannique et le Viet Nam venait de rejeter le joug de la France, simultanément la monarchie viêt séculaire venait d’être abolie (abdication de l’empereur Bảo Đại) comme le fut celle de France en 1792 après l’abolition de la « féodalité » (4 août 1789).
En 1925, il explicita ses accusations dans un pamphlet intitulé Le procès de la colonisation française où il dénonçait le paradoxe flagrant de la France, patrie des droits de l’homme et Etat impérial conquérant. Le 9 novembre 1946, l’Assemblée nationale de la République démocratique du Viet Nam adopta la première Constitution qui comportait un préambule où les droits de l’homme étaient affirmés [1]. Cependant, cette Constitution fut élaborée à la veille de la guerre franco-vietnamienne qui ne favorisa pas – c’est le moins que l’on puisse dire – son application. Lorsque le conflit militaire de neuf ans prit fin, l’Etat dont Hồ Chí Minh avait pris la tête afficha clairement des objectifs révolutionnaires qui conduisit à une deuxième guerre, celle de l’unification du pays et de l’instauration d’un Etat socialiste de type soviétique (1976).
L’intérêt du sujet tient à sa contemporanéité parce qu’ il concerne la nature et le fonctionnement du régime politique de la République socialiste du Viet Nam ainsi que les facteurs potentiels de démocratisation.
Hồ Chí Minh fait connaissance avec les droits de l’homme
1. Le séjour en France de 1917/1919 à 1923
Le jeune Nguyễn Tất Thành, qui se fit appeler Nguyễn Aí Quốc en 1919 puis Hồ Chí Minh en 1942, a édifié sa personnalité au cours d’une trentaine d’années passées hors de sa patrie. Suivre ses pérégrinations nous éclaire en tenant compte du fait qu’Ho Chi Minh était un homme d’action et un pragmatique. La théorie n’était pas son fort et je m’avance à dire qu’il se méfiait d’elle. Il faut donc nous reporter aux témoignages de ceux qui furent ses proches et aux nombreuses anecdotes qui ont été recueillies et publiées à des fins d’édification. Dans son parcours, Hô Chi Minh rencontra les droits de l’homme tels qu’ils sont définis dans la philosophie politique occidentale et placés en exergue dans les régimes politiques qui s’y référent.
Très tôt, dès l’enfance, il prend conscience que son pays est sous le joug étranger, mais la domination française présente un caractère ambiguë que révèle la sévère répression qui s’abat sur le mouvement des lettrés modernistes. Une des principales figures de ce mouvement, le lettré Phan Châu Trinh est accusé d’avoir fomenté la révolte fiscale dans la province du Quảng Nam en 1908, il est condamné à mort, mais sa peine commuée, il est déporté au bagne de Poulo Condor. Ses amis français de la Ligue des droits de l’homme (Il y avait plusieurs sections de la LDH en Indochine) obtiennent qu’il soit exilé en France où il continue d’exprimer librement ses opinions contre la monarchie, le mandarinat et, indirectement, le protectorat français. Par exemple, il prend à partie, publiquement et irrespectueusement l’empereur Khái Định qui est en visite officielle en France en 1922.
En 1914, il est emprisonné pendant quelques mois ainsi que son compatriote et mentor Phan Văn Trương pour complot en collusion avec l’Allemagne. L’accusation n’étant pas fondée, les deux hommes sont libérés en 1915 sur l’intervention de la Ligue des droits de l’homme [2].
À la fin de la guerre, les deux hommes sont rejoints par Nguyễn Tất Thành, Nguyễn Thế Truyền et Nguyễn An Ninh. Ce groupe rédige les ‘’Revendications du peuple annamite’’, sous la signature collective ‘’Nguyễn Aí Quốc’’. Thanh saisit l’occasion de la tenue de la Conférence de la Paix à Versailles en 1919 (où le président Woodrow Wilson avait inscrit l’autodétermination des peuples dans ses fameux ‘’ Quatorze points’’) pour porter les ‘’Revendications’’ à la connaissance des délégués. Jusqu’à la dispersion du groupe connu sous le nom « les cinq dragons », de 1923 à 1925, ces cinq hommes qui sont étroitement surveillés et parfois harcelés par la police, poursuivent leurs activités militantes de manière ouverte et publique. Ils sont soutenus et protégés par la mouvance anticolonialiste française, de la Ligue des droits de l’Homme aux partis socialiste et communiste. Nguyễn Tất Thanh est donc parfaitement informé de cette situation, il adhère au parti socialiste puis au parti communiste français (1920) en sachant que cette appartenance lui confère une relative immunité légale et pratique.
Des cinq hommes, celui qui se fait appeler désormais Nguyễn Aí Quốc, choisit la voie révolutionnaire pour reconquérir l’indépendance de son pays tandis que les autres ont toujours foi dans le réformisme et l’action légale. Nguyễn Aí Quốc rejoint Moscou où il se met au service de la IIIe Internationale parce qu’il estime que la révolution est plus apte que les réformes et le légalisme à mettre en application les droits de l’homme. À compter de cette période, il est clair que Quốc accorde la priorité et la prééminence au droit des peuples à l’autodétermination sur les droits des individus, un choix clairement déterminé par sa condition de colonisé.
2 . Les moments soviétiques (1923-1924 et 1934-1938) sont déterminants pour plusieurs raisons.
L’adhésion à la révolution d’Octobre 1917 et au léninisme implique davantage que modifier l’ordre de priorité des droits de l’homme ou les hiérarchiser : elle fait reconnaître le droit des travailleurs et celui des peuples. En outre, le léninisme exalte le rôle historique d’une classe sociale, le prolétariat [3]. Cette conception est-elle compatible avec la philosophie libérale universaliste des droits de l’homme issue du mouvement intellectuel de l’Europe du XVIIIe siècle [4] ? K.Marx refusait d’admettre l’existence et l’universalité du droit naturel et il insistait sur le contexte social et historique, il n’envisageait l’homme qu’en tant qu’il fait partie d’une société déterminée. Les philosophes confucianistes, particulièrement Xun zi (341-305 a.c), ne sont pas loin [5].
La conception que l’homme « n’existe que par les autres » (Marcel Mauss ) est capitale aux yeux de Nguyễn Aí Quốc qui, lors de son premier court séjour à Moscou (1923-1924), ne manque pas de revendiquer sa formation confucéenne [6]. Lorsqu’il est à Moscou, et, à chaque fois qu’il en a l’occasion, il marque la différence vis à vis de ses camarades occidentaux en affirmant l’antériorité du confucianisme progressiste (qu’il distingue du conservateur). Pour lui, Confucius fut le premier humaniste, le premier internationaliste (« les hommes sont frères sur les quatre océans ») et le premier socialiste (partage égalitaire du terroir de la communauté villageoise). Mais il écrit également que la lutte des classes n’est pas la même en Asie qu’en Europe [7] : dans les sociétés d’Asie, les disparités socio-économiques sont faibles par rapport à celles de l’Occident capitaliste et industriel. Les révolutionnaires asiatiques doivent prendre en compte ces spécificités. Quôc adhère à une doctrine révolutionnaire qui invoque les droits de l’homme comme ceux de la philosophie des droits naturels, mais il s’est mis au service d’une organisation révolutionnaire qui se réclame d’une doctrine exclusive : la lutte des classes et la dictature du prolétariat. L’aspiration à la démocratie y est inévitablement contrariée et le respect des libertés individuelles y est aléatoire sinon impossible. Quôc est pris au piège inévitable où étaient tombés les révolutionnaires français comme Saint Just, partisan tout à la fois de la démocratie souveraine et de la dictature révolutionnaire.
Aussi, lorsque Quôc invoque les valeurs liberté et égalité, la liberté n’est pas celle de l’individu mais c’est la liberté du peuple, de la nation. Autrement dit la liberté collective, l’indépendance nationale.
Le droit à l’égalité est également un droit primordial qui le conduit à faire l’éloge du kolkhoze qui, dans la vision qu’il en eut, est l’application du droit au travail, où les paysans ont le même statut, jouissent de mêmes revenus, du même niveau de vie, où leurs enfants bénéficient du droit à l’éducation. Plus tard, lorsqu’il est incarcéré à l’hôpital de la prison britannique de Hong Kong, une infirmière chinoise lui demande « qu’est ce que le communisme ? », Quốc lui répond que c’est d’abord l’égalité, « vous portez une collerette bleue et l’infirmière-chef anglaise une collerette rouge, dans le régime communiste il n’y aura pas deux collerettes de couleur différente pour marquer la hiérarchie » [8].
Ces anecdotes confirment ce qu’il écrivait en 1921 :
« L’Asiatique-bien que considéré par les Occidentaux comme arriéré – comprend pourtant mieux la nécessité d’une réforme totale de la société présente Et voici pourquoi […] le Grand Confucius préconisa l’Internationale, prêcha l’égalité de fortune […] L’égalité annule la pauvreté […]. Son disciple Mencius continua sa doctrine, il traça un plan détaillé d’organisation de la production et de la consommation. La protection et le développement d’une saine enfance , l’éducation et l’obligation au travail des adultes, la condamnation sévère du parasitisme, le repos des vieillards, rien ne fut négligé dans sa thèse… » [9]
Les séjours à Moscou permettent à Quốc d’ observer, une fois de plus, le décalage entre théorie et réalité ; quel que soit le régime politique du pays dans lequel il séjourne, il ne peut pas ne pas remarquer que la réalité ne concorde pas avec les idéaux affichés. Dans le premier séjour, il attribue l’écart aux facteurs objectifs : « l’encerclement capitaliste » qui oblige les révolutionnaires à défendre la jeune république des soviets et à établir un régime d’exception, les difficultés économiques, la déstructuration de la société. Mais au cours du deuxième séjour (1934-1938) qui correspond à la période des grandes purges staliniennes dont il manque de peu d’être la victime, il n’est pas davantage aveugle et sourd devant ce qui se passe. Son silence sur cette période laisse supposer qu’il admet que la fin justifie les moyens et /ou, son but prioritaire étant l’indépendance de son pays, il lui faut suspendre l’application des droits de l’homme. Pour réaliser son dessein, il a un besoin absolu de l’Internationale et de l’Union soviétique [10].
Cela ne l’empêche pas d’écrire que la Constitution soviétique de 1936 est « la meilleure du monde », en quoi il ne fait que répéter Staline qui passait pour le principal inspirateur ou rédacteur. Il convient de noter que la nouvelle Constitution soviétique proclamait les droits de l’homme, mais les assortissait des devoirs des citoyens envers l’État et le Parti (la Constitution française de l’An III/1795 associait, elle aussi, des droits et des devoirs).
Pour Nguyễn Aí Quốc, les aspects négatifs de l’Union soviétique sont imputables au fait que le révolution est trop récente pour produire ses aspects positifs. S’adressant à ses trois compatriotes délégués au 7e congrès du Comintern (1935) au cas où ils rencontreraient des bandes de bezprizorniki, jeunes sans surveillance et souvent délinquants ainsi que d’autres aspects « négatifs » de la réalité soviétique, il leur rappelle que l’URSS « revient de loin » et que, de toutes manières , la « situation des colonisés en Indochine est pire » [11]. Trente ans plus tard, si l’on en croit Hoàng Tung [12], Hồ Chí Minh admettait qu’il savait à quoi s’en tenir sur la dictature de Staline et de Mao Zedong mais qu’il considérait l’unité du camp socialiste comme primordial, la libération nationale l’emportant sur toute autre objectif.
3. En contrepoint de sa confrontation avec la dure réalité soviétique, Nguyễn Aí Quốc fit deux expériences contrastées : celle du régime pénal britannique (1931-1934) et celle des geôles chinoises de la province du Guanxi (1942-1943).
Dans le premier cas, incarcéré dans la prison de Hong Kong après que les réseaux de la IIIe Internationale en Extrême-Orient fussent tombés dans un coup de filet de la police anglaise (1931), Quốc bénéficia de l’habeas corpus (notion qui existait dans le droit britannique, mais pas dans le droit français). La garantie juridique de la liberté individuelle lui évita l’extradition demandée par le gouvernement général de l’Indochine, de sorte qu’il échappa à la peine capitale qui avait été requise contre lui par un tribunal du protectorat d’Annam. Non content de le préserver d’un sort fatal, le gouverneur britannique exfiltra Nguyễn Aí Quốc vers la Chine d’où il rejoignit Moscou en 1934 [13].
Dans un second épisode de sa vie aventureuse, Quốc fut arrêté par la police nationaliste chinoise en août 1942, il passa une année dans les prisons de la province du Guanxi, dans des conditions éprouvantes qui lui fournirent matière à rédiger ses Carnets de prison. On peut imaginer que s’il ne cultiva pas la nostalgie de la prison Victoria de Hong Kong, il fit des comparaisons à l’avantage des geôles impérialistes… [14]
4. Les droits de l’homme pendant les trente années de la tragédie vietnamienne (1945-1975), ont-ils été mis de côté voire oubliés ou leur application a-t-elle été ajournée jusqu’à la restauration de la paix, de la prospérité économique et de la stabilité sociale et politique ? Entretemps, ont-ils servi d’idées-force au mouvement d’indépendance et d’alibi à un pouvoir d’exception ?
On ne peut nier le poids décisif des conditions objectives dans la définition et l’application des doctrines philosophiques, des aspirations des peuples, Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836) a exprimé le fait en une phrase « Pourquoi transporter les hommes sur le haut d’une montagne et de là, leur montrer tout le domaine de leurs droits puisqu’on est obligé ensuite de les en faire redescendre pour les placer dans l’ordre politique où ils doivent trouver des limites à chaque pas ? » [15].
Hồ Chí Minh et les droits de l’homme dans la mémoire de Vũ Đình Hoè
À ma connaissance, le seul témoignage qui évoque Hô Chi Minh et sa conception des droits de l’homme, est celui de Vũ Đình Hoè (1912-2011). Juriste, formé à l’université de Hanoï, il fut représentatif de l’intelligentsia vietnamienne qui émergea dans les années 1930 et 1940. Il anima un groupe d’intellectuels dont plusieurs juristes qui publiait la revue Thanh Nghị (1941-1945) [16]. Celle ci traitait principalement des questions de société, d’économie et de culture générale du Viet Nam contemporain. Lors de la révolution d’août 1945, le groupe rallia le Viet Minh (organisation frontiste dirigée par le Parti communiste indochinois). Il se transforma en Parti démocrate du Viet Nam (Đảng Dân Chủ Việt Nam) auquel Ho Chi Minh assignait un rôle précis au sein du Viet Minh/Liên Viêt : représenter la fraction de la bourgeoisie moderniste, les « experts » pour éduquer, éclairer les révolutionnaires professionnels, les cấn bộ politiques et équilibrer la balance des pouvoirs.
Vũ Đình Hoè accepta le poste de ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement provisoire d’Ho Chi Minh puis il devint le ministre de la justice en 1946 jusqu’en 1960. Il fut un conseiller de confiance de Hô Chi Minh pendant toute la durée de la résistance antifrançaise dans la haute région du Nord Vietnam et après le retour du gouvernement de la République démocratique du Vietnam à Hanoï [17].
Vũ Đình Hoè nous confirme quatre idées-clefs que Hồ Chí Minh n’eut de cesse de répéter : il n’est pas concevable d’isoler les individus de leur société et de leur culture, l’indépendance nationale (la liberté collective) est la condition sine qua non de la liberté individuelle, les hommes ont des droits et des devoirs, le Droit est inséparable de la Morale.
Cependant, en plusieurs occasions, et dans des circonstances précises, Hô Chi Minh chargea Vũ Đình Hoè de corriger des « erreurs », un euphémisme qui désigne des abus de pouvoir, les actes et les effets de la coercition violente induite dans le communisme de guerre. Par exemple, Vũ Đình Hoè livre le récit de la mission qu’il accomplit après l’échec de l’opération Léa que le commandement français déclencha en octobre 1947 pour capturer le gouvernement de la résistance dans la région de Bac Kan.
Ses pérégrinations pédestres de 3.000 kilomètres durèrent quatre mois. Il vérifia que les prisonniers français étaient bien traités [18] ; il enquêta sur le « zèle » d’un cadre de la Sécurité, « esprit borné, coupé de la population, procédant à des arrestations sans preuves, faisant disparaître certains détenus », il présenta à la population et aux victimes de l’arbitraire, les excuses du gouvernement [19].
Vũ Đình Hoè cite un autre exemple significatif : pendant la résistance anti-française, un médecin, le Dr Trần Hư Tươc, refusait de participer aux séances collectives de critique et d’autocritique (Chỉnh huấn), aux plaintes répétées des dirigeants de la Zone III, « Oncle Hô répondait avec placidité le chỉnh huấn repose entièrement sur le libre consentement. Si quelqu’un le refuse il ne doit pas y être contraint » [20].
Par conséquent, Vũ Đình Hoè témoigne que les droits de l’homme dans leur déclinaison collective comme dans leur déclinaison individuelle, étaient au centre des préoccupations de Hồ Chí Minh, mais de façon inséparable du dessein ultime que cet homme voulait accomplir : la restauration de l’indépendance de sa patrie et de l’État national. Dans ses pérégrinations d’une trentaine d’années, on peut imaginer qu’Ho Chi Minh n’a cessé de s’interroger ‘’ comment concilier les droits de l’individu avec ceux de la collectivité’’ ?
Lorsqu’en 1985, le secrétaire général du parti communiste décréta le Đổi Mới ou Rénovation, dont les commentateurs étrangers ne relevèrent que le volet économique, la parole fut libérée dans tous les domaines y compris dans la culture et la politique [21]. Le Bicentenaire de la révolution française en 1989 fut l’occasion d’une reprise de la parole par les partisans d’une rénovation politique approfondie qui se référa à la Révolution et particulièrement à la Déclaration de 1789. Vũ Đình Hoè rappela en maintes occasions que Hô Chí Minh insistait pour que les gouvernants vietnamiens ne perdent jamais de vue cette référence et la mettent en pratique. Pour Vũ Đình Hoè, il fallait en finir avec le « le socialisme autoritaire et le social-féodalisme » [22].
Hô Chi Minh et sa conception des droits de l’homme.
En se présentant comme l’héritier et le porte-parole des idées cardinales du président Hồ Chí Minh, en matière des droits de l’homme, Vũ Đình Hoè confirme le pragmatisme de la démarche hochiminienne. Celle ci nous permet de supposer que l’adhésion au marxisme-léninisme, à son idéologie exclusive (lutte des classes et dictature du prolétariat) était fortement contrebalancée par l’empreinte plus profonde de la culture humaniste sino-vietnamienne [23]. Cette dernière valut à Hồ Chí Minh d’être fortement critiqué par des camarades ‘’purs et durs’’ et d’être écarté du pouvoir décisionnaire à partir des années 1960. Mais elle éclaire également la décision du parti-État d’engager le pays dans la voie de la réforme, Đổi Mới, en 1985, une politique d’ouverture dont les commentateurs étrangers et vietnamiens ignorent ou cachent le registre culturel et politique [24].
Lorsque Nguyễn Aí Quốc écrivait que faire de la lutte de classes le moteur de l’Histoire repose sur les analyses des sociétés européennes or, ajoutait-il, « qu’est ce que l’Europe ? Ce n’est pas toute l’humanité […] il faut envisager de réviser le marxisme, quant à ses assises historiques, l’affermir par l’ethnologie orientale » [25], il se situait dans une logique syncrétique qui le conduisit à associer Marx, Mencius, Jesus dans une vision humaniste que l’on peut qualifier de générique. En ce sens, Hô Chi Minh apparaît comme un passeur de la modernité dans le Vietnam du XXè siècle.
Pierre Brocheux