L’aspiration révolutionnaire est à l’origine même du surréalisme et ce n’est pas un hasard si l’un des premiers textes collectifs du groupe est intitulé « La révolution d’abord et toujours » (1925). Cette même année, le désir de rompre avec la civilisation bourgeoise occidentale conduit les surréalistes à se rapprocher des idées de la Révolution d’Octobre, comme en témoigne le compte rendu du Lénine de Léon Trotsky par André Breton. Si plusieurs surréalistes adhèrent en 1927 au Parti communiste français, ils ne gardent pas moins, comme ils s’en expliquent dans la brochure Au Grand Jour, leur « droit de critique ».
C’est le Deuxième Manifeste du Surréalisme (1930) de Breton qui tire toutes les conséquences de cet acte, en affirmant « totalement, sans réserves, notre adhésion au principe du matérialisme historique » : « le surréalisme se considère comme lié indissolublement, par suite des affinités que j’ai signalées, à la démarche de la pensée marxiste et à cette démarche seule ».
Cette adhésion au communisme et au marxisme n’empêche pas qu’il existe, au plus profond de la démarche des surréalistes, une posture irréductiblement libertaire. Il suffit de rappeller la profession de foi du Premier Manifeste du Surréalisme (1924) : « Le seul mot de liberté est tout ce qui m’exalte encore ». Walter Benjamin, dans son article de 1929 sur le surréalisme, appelle Breton et ses amis à articuler « le composant anarchiste » de l’action révolutionnaire avec la « préparation méthodique et disciplinée » de celle-ci — c’est-à-dire, le communisme.
La suite de l’histoire est connue : de plus en plus proches des positions de Trotsky et de l’opposition de gauche — certains, comme Benjamin Péret, y avaient adhéré dès la fin des années 1920 — la plupart des surréalistes (sans Louis Aragon !) vont rompre définitivement avec le stalinisme en 1935. Ce n’est en rien une rupture avec le marxisme, qui continue à inspirer leurs analyses, mais avec l’opportunisme de Staline et ses acolytes qui ont trahi « les composantes essentielles de l’esprit révolutionnaire » qui sont : le refus spontané des conditions de vie proposées aux êtres humains et le besoin impérieux de les changer.
En 1938, Breton rend visite à Trotsky au Mexique. Ils vont rédiger ensemble un des documents les plus importants de la culture révolutionnaire au XXe siècle : l’appel Pour une art révolutionnaire indépendant, qui contient le célèbre passage suivant : « pour la création culturelle la révolution doit dès le début même établir et assurer un régime anarchiste de liberté individuelle. Aucune autorité, aucune contrainte, pas la moindre trace de commandement !... Les marxistes peuvent marcher ici la main dans la main avec les anarchistes... ».
C’est dans l’après guerre que la sympathie des surréalistes pour l’anarchie va se manifester plus clairement. Dans Arcane 17 (1947) Breton écrit : « au dessus de l’art, de la poésie, qu’on le veuille ou non, bat aussi un drapeau tour à tour rouge et noir » — deux couleurs entre lesquelles il refuse de choisir.
D’octobre 1951 à janvier 1953 les surréalistes vont collaborer regulièrement, avec des articles et des billets, avec le journal Le Libertaire, organe de la Fédération anarchiste française. Leur principal correspondant dans la Fédération était à ce moment le communiste libertaire Georges Fontenis. C’est à cette occasion qu’André Breton écrira le texte flamboyant intitulé La claire tour (1952), qui rappelle les origines libertaires du surréalisme.
Cet intérêt et cette sympathie active pour le socialisme libertaire ne le conduit pas pour autant à renier son adhésion à la Révolution d’Octobre et aux idées de Léon Trotsky. Dans une intervention le 19 novembre 1957, André Breton persiste et signe : « Contre vents et marées, je suis de ceux qui retrouvent encore, au souvenir de la Révolution d’Octobre, une bonne part de cet élan inconditionnel qui me porta vers elle quand j’étais jeune et qui impliquait le don total de soi-même. » Saluant le regard de Trotsky, il proclame : « Un tel regard et la lumière qui s’y lève, rien ne parviendra à l’éteindre, pas plus que Thermidor n’a pu altérer les traits de Saint-Just. » Enfin, en 1962, dans un hommage à Natalia Sedova qui venait de mourir, il appelle de ses voeux le jour ou enfin « non seulement toute justice serait rendue à Trotsky mais encore seraient appelées à prendre toute vigueur et toute ampleur les idées pour lesquelles il a donné sa vie ».
En 1961, les surréalistes seront parmi les initiateurs du “ Manifeste des 121 ” pour le droit à l’insoumission, et, malgré la mort de Breton en 1966, ils seront présents dans le mouvement de Mai 68. Une fois dépassée la crise de 1969 — la prétendue “ dissolution ” du mouvement — le groupe surréaliste de Paris se réorganise, sous l’impulsion de Vincent Bounoure et ses amis, et continue jusqu’aujourd’hui son activité subversive (tracts contre les deux guerres du Golfe, soutien au soulèvement zapatiste, etc).
Il ne faut pas oublier, cependant, que le surréalisme contient ce qu’Ernst Bloch appelait « un excédent utopique », un excédent de lumière noire qui échappe aux limites de tout mouvement social ou politique, pour révolutionnaire qu’il soit. Cette lumière émane du noyau infracassable de nuit de l’esprit surréaliste, de sa quête obstinée de l’or du temps, de sa plongée éperdue dans les abîmes du rêve et du merveilleux.