L’Europe avance enfin vers l’adoption des paquets législatifs sur la sécurité maritime Erika I et Erika II. Mais Conseil, Commission et Parlement européen refusent toujours de prendre des mesures contre les système de complaisance que favorise le dumping social, fiscal et technique. Roseline Vachetta, rapporteur pour avis sur ces 2 paquets voient ses amendements sur les normes sociales, la responsabilisation des acteurs et la transparence rejetés.
1) le « paquet Erika 1 »
Suite au naufrage de l’ERIKA en décembre 1999 et à la demande notamment du Parlement européen, la Commission de Bruxelles avait présenté le 21 mars 2000 trois propositions visant à renforcer la prévention des accidents et à améliorer la protection de l’environnement marin et côtier.
– une modification substantielle de la directive existante sur le contrôle des navires par l’Etat du port en vue de renforcer les contrôles qui restent insuffisants à l’heure actuelle. Les éléments essentiels de cette proposition concernent le bannissement des navires inférieurs aux normes (avec établissement d’une liste noire de navires ne pouvant plus entrer dans les eaux de l’Union européenne) et le renforcement des inspections sur les navires « à risque », dont les pétroliers. L’ensemble de ces modifications implique une augmentation du personnel chargé des contrôles dans les ports des différents États membres.
La première proposition vise à modifier la directive 95/21/CE sur le contrôle des navires par l’Etat du port avec notamment le bannissement des navires de plus de 15 ans qui ont été immobilisés plus de 2 fois au cours des 2 années précédentes et qui figurent sur la liste noire des pavillons, l’inspection systématique des navires dont le coefficient de ciblage est élevé, l’inspection renforcée obligatoire tous les ans pour les navires à risque à l’entrée d’un port de l’UE.
Dans l’accord politique conclu le 2 octobre 2000, le Conseil s’est prononcé pour les critères plus stricts que ceux de la législation actuelle mais inférieur aux propositions de la Commission, notamment en raison du manque d’inspecteurs qualifiés. 3000 bateaux devraient être systématiquement contrôlés contre 5500 couverts par les propositions de la Commission. On ne peut que regretter les prises de positions du président du Conseil en exercice, Jean-Claude Gayssot qui a manqué de courage politique.
Le rapport Watts (PSE, Grande-Bretagne) de la commission des transports a sensiblement renforcé les dispositions concernant le refus d’accès de certains navires non seulement aux ports de l’UE mais aussi à ses eaux territoriales. Il propose notamment qui si un navire présente un risque grave relevé par la liste de ses immobilisations ou par son pavillon, l’accès aux ports de l’UE doit lui être refusé quel que soit son âge. Il demande également un nombre suffisant d’inspecteurs qualifiés pour effectuer les contrôles.
– Une modification de la directive existante concernant les sociétés de classification auxquelles les États membres délèguent une grande partie de leur pouvoirs de vérification, qui vise de manière générale, de renforcer les contrôles sur les activités de ces sociétés.
La deuxième proposition modifie la directive 94/57 sur les sociétés de classification afin de renforcer les mesures pour leur reconnaissance avec des possibilités de nouvelles sanctions (suspension de la reconnaissance pouvant aller jusqu’au retrait) et la mise en œuvre d’un système commun de contrôle des organismes chargés de la sécurité. Le Conseil a conclu un accord sur ces propositions qui ont reçu l’aval du rapport Ortuondo-Lerrea (Verts, Espagne).
– une proposition de règlement qui vise à généraliser l’interdiction des pétroliers à simple coque en fonction d’un calendrier analogue à celui des États-Unis, ce qui permettra une introduction accélérée des pétroliers à double coque qui offrent une meilleure protection contre la pollution en cas d’accident. Selon ce calendrier, l’utilisation des doubles coques sera obligatoire dans la plupart des catégories de pétroliers en 2010.
La troisième proposition consiste en un nouveau projet de règlement relatif à l’introduction accélérée des normes double coque ou équivalentes. La Commission définit des limites d’âge et les échéances auxquelles les pétroliers à simple coque doivent se conformer. Les limites d’âge proposées sont, soit inférieures à celles prévues par la convention MARPOL 73/78, soit s’appliquent à des catégories de pétroliers qui, en raison de leur faible tonnage, ne sont pas couverts. La Commission propose également un échéancier pour l’application de ces normes.
Le Conseil a conclu un accord pour l’élimination des pétroliers à simple coque d’ici 2015 (au lieu de 2026 qui est l’échéance prévue par la convention MARPOL de l’OMI). L’échéancier serait différent selon le tonnage des bateaux.
Le rapport Hatzidakis (PPE,Grèce) de la commission des transports est moins contraignant que les propositions de la Commission, notamment en reportant les dates pour la mise en œuvre des prescriptions et en adoptant le seuil de 3000 tonnes alors que la Commission proposait 600 tonnes.
Les amendements du rapport pour avis Vachetta de la commission de l’environnement ont été tous rejetés par la commission des transports bien qu’ils avaient été adoptés à l’unanimité par la commission de l’environnement. Ils concernent notamment le respect et l’amélioration des normes sociales (conditions de travail à bord, problème des équipages abandonnés par les armateurs), le renforcement des inspections, l’augmentation des sanctions financières, la lutte contre les pavillons de complaisance. Ces amendements (17 au total déposés au nom du groupe par Roseline Vachetta), que nous avons repris pour la plénière, font le lien entre conditions sociales et sécurité : « L’application de normes sociales de haut niveau est une condition centrale de la sécurité maritime » ont tous été rejetés.
2) le paquet Erika 2
« même après l’adoption du premier paquet de mesures, des navires, sous-normes pourront échapper aux contrôles au sein de l’Union européenne » document de la Commission de Bruxelles.
Si le paquet Erika 1 concernait principalement des modifications d’une législation existante, le paquet Erika 2 se propose de mettre en place de nouvelles mesures législatives, mais les travaux parlementaires ne commenceront qu’à partir d’avril 2001.
Lors de son vote sur le rapport du libéral belge Dirk Sterckx sur le contrôle du trafic maritime, le Parlement a introduit essentiellement trois changements dans la proposition de directive de la Commission : 1) météo : les autorités seront tenues « d’aviser » les capitaines de navires lorsque les conditions météos sont mauvaises, et non de « suspendre » l’appareillage de manière autoritaire ; 2) les « ports ou zones refuges » tenus d’accueillir les navires en détresse devront « pouvoir compter sur un prompt remboursement des frais », 3) équipements des refuges : les Etats membres devraient investir dans les infrastructures d’accueil des « ports refuges » (notamment pour se doter de remorqueurs puissants) et de prendre les dispositions nécessaires pour que ces ports et mouillages soient suffisamment nombreux. Comme l’a montré le naufrage de l’Erika, « il est important que les ports soient dotés d’infrastructure d’accueil adéquat », a plaidé le rapporteur lors du débat. Le Parlement a en revanche rejeté (par 325 voix contre, 139 pour et 11 abstentions) un amendement du rapporteur qui aurait permis aux « vieux » navires construits avant 2002 de ne pas être contraint de se doter de « boîtes noires ». La Commission aurait refusé cet amendement, avait annoncé la Commissaire Loyola de Palacio, lors du débat. Elle est en revanche favorable aux amendements sur les « ports refuges », a précisé la Commissaire. Le PE a également rejeté l’amendement du groupe de la Gauche unitaire, qui introduisait l’élément humain dans les renseignements que les navires doivent signaler aux autorités.
En adoptant le rapport du Français Alain Esclopé du groupe UEN, sur la création d’un fonds européen d’indemnisation complémentaire en cas de pollution maritime pétrolière, le Parlement a voté à une très grande majorité (421 voix pour, 54 contre et 8 abstentions) pour que le Fonds d’indemnisation soit étendu aux pollutions par des « substances dangereuses » définies par la Convention internationale de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation pour dommages liés aux transports par mer de substances nocives et dangereuses. Le rapporteur et son groupe s’étaient opposés à cet amendement proposé par la commission transports du PE, en soulignant lors du débat que ces conventions n’ont pas encore été ratifiées ni mises en œuvre. Cet amendement risque de « bloquer la mise en œuvre de la directive », a-t-il souligné, soutenu en cela par la Commissaire de Palacio. Le Parlement a également adopté à une écrasante majorité (421 pour, 53 contre, 12 abstentions) les amendements qui prévoient que les armateurs devront également participer au financement du fonds européen, et non les seuls grands importateurs de pétrole. La Commissaire de Palacio s’est opposée à cet amendement en soulignant qu’il risque d’être incompatible avec la législation internationale sur l’indemnisation des victimes de pollution. Elle aurait aussi refusé un amendement libéral, rejeté par le PE, qui aurait introduit des sanctions pour le nettoyage des soutes en mer, le « dégazage ». Enfin, le PE a introduit la possibilité de versement anticipé et provisoire dans un délai de six mois pour les victimes (475 voix pour, 2 contre et 2 abstentions).
Les parlementaires ont rétabli le système traditionnel de comitologie, en rejetant les amendements du groupe EDD qui aurait créé une « commission tripartite » pour la gestion du fonds, incluant les parlementaires européens, et les amendements du GUE pour inclure des représentants des autorités locales dans le comité. Ils ont également rejeté les amendements du GUE qui aurait porté le plafond du Fonds d’indemnisation de 1 à 2 milliards d’euros.
En adoptant le rapport du socialiste grec Emmanouil Mastorakis, sur la création d’une Agence européenne de la sécurité maritime, le Parlement a renforcé l’indépendance de la future agence à l’égard de la Commission et de son conseil d’administration, allant ainsi dans le sens des premières orientations du Conseil mais contre celles de la Commission. En revanche, il a rejeté les amendements des groupes PSE, GUE et Verts, qui prévoyaient la présence, au sein du conseil d’administration de l’Agence, de représentants du PE (287 voix contre, 183 pour et 9 absentions), du secteur maritime, d’ONG ou des pêcheurs. « Il serait schizophrène de la part du Parlement de demander en même temps l’indépendance de l’agence et la présence de parlementaires européens dans son conseil d’administration », a souligné notamment le député allemand du PPE Georg Jarzembowski, élu à Hambourg.
Le PE a rejeté en outre les amendements du rapporteur liant le choix du siège à ses « traditions maritimes », ou du groupe des Verts le liant à « la fréquence des accidents maritimes » dans la région, critères que la Commissaire de Palacio était prête à accepter. Tout en émettant des doutes sur le surcroît de bureaucratie que l’Agence risque de créer, le rapporteur E. Mastorakis a plaidé pour que le siège soit au Pirée, en Grèce. Lisbonne ou Lübeck ont aussi été cités pendant le débat
3) En finir avec le système de complaisance
Laborieusement, sous la pression des opinions publiques européennes, l’Europe légifère en matière de sécurité maritime. Mais :
– Avec le principe fondamental énoncé dans la convention de Montego bay (droit international de la mer), il conviendrait de rétablir le lien substantiel entre la nationalité d’un propriétaire et le pavillon concerné. Contre les pavillon de complaisance (Kerguelen).
– La responsabilisation des acteurs : interpellation des différents acteurs du transport (propriétaire, armateur et affréteur) devant une juridiction pénale.
– La transparence et contrôle : implication des élus, des représentants d’associations de protection des milieux marins, des syndicats de marins.
– Le cadre réglementaire nécessaire mais également des moyens humains et matériels remorqueurs, installations portuaires de réparation navales pour son application. Le nombre des inspecteurs, contrôleurs, gardes côtes.
En France, on est passée de 63 à 68 inspecteurs pour l’ensemble de ses côtes.