- Peux -tu me présenter l’Association tunisienne des femmes démocrates ?
Ahlem Belhadj - L’association est née en 1989. Elle est autonome, lutte pour l’égalité entre les sexes et a pour références les conventions internationales en matière de droits de l’Homme.
- Vous avez publié un rapport. Sur quoi porte-t-il ? Comment a-t-il été élaboré ?
A. Belhadj - L’association a ouvert en 1993 un centre d’écoute et d’orientation des femmes victimes de violences. Cette année, nous avons recensé tous les cas de femmes qui ont contacté le centre. Le rapport recense ces violences et relate les difficultés que ces femmes ont rencontrées et que nous avons affrontées en tant qu’association voulant les accompagner. Ces difficultés commencent dans les postes de police où elles sont très mal accueillies. Même quand les lois qui protègent les femmes existent, elles ne sont pas toujours appliquées. Certains médecins abusent de leur pouvoir et demandent aux femmes de renoncer à la plainte ou refusent de donner le certificat médical initial. Parfois même, on a trouvé dans des rapports médicaux des formules remettant en cause l’honnêteté des plaignantes. Nous avons aussi relayé l’absence totale de structures et de lois protégeant les femmes victimes de violences.
- Avez-vous transmis ce rapport au gouvernement tunisien ?
A. Belhadj - Oui, nous avons transmis ce rapport aux ministères de l’Intérieur, de la Justice, de la Femme, mais également au Parlement. Nous demandons l’adoption d’une loi générale qui reconnaîtrait les violences morales, le harcèlement sexuel, la violence sexuelle, notamment le viol conjugal, etc.
- Quelle est aujourd’hui la situation des femmes en Tunisie, à une échelle plus globale ?
A. Belhadj - La situation des femmes dépend de la situation générale. Chacun sait que les libertés sont loin d’être respectées en Tunisie. La situation économique est également difficile, l’accès aux soins, à l’éducation, etc., étaient auparavant mieux garantis que maintenant. Le licenciement et la flexibilité du travail instaurée en 1994 touchent de plus en plus les femmes. Concernant l’égalité entre les sexes, nous luttons pour que les lois discriminatoires soient abolies.
- Le pouvoir tunisien met en avant la situation des femmes et s’en sert d’alibi démocratique. Dans ce cadre, qu’est -il possible de faire pour l’association ?
A. Belhadj - En fait, nous essayons de montrer la situation des femmes en Tunisie. Cela même si nous sommes conscientes qu’elle est meilleure que celle des femmes dans le reste du monde arabe : les acquis des femmes tunisiennes sont réels, mais cela remonte au Code du statut personnel de 1957. Ce texte comporte l’abrogation de la polygamie, le droit au divorce, tout ce qui concerne le mariage nécessitant l’accord de la femme.
L’association est en train de lutter pour l’égalité successorale. La législation en matière d’héritage s’inspire de la Charia : entre autres, les enfants de sexe féminin reçoivent moitié moins d’héritage que ceux de sexe masculin. Notre campagne dure depuis deux ans. Dans un pays qui se prétend pour l’égalité entre femmes et hommes, nous rencontrons beaucoup de difficultés. Les seules réponses que nous avons eues affirment que nous sommes un pays musulman et qu’il y a un texte coranique clair, donc à respecter.
Concernant les violences à l’encontre des femmes, le pouvoir maintient un discours à côté de la réalité. Par exemple, le ministre de la Femme a déclaré : « la question ne nous concerne pas encore mais elle concerne d’autres pays et donc, au vu de la mondialisation, nous procèdons par prévention ».
Il y a également d’autres lois qui restent discriminatoires comme le droit à la tutelle des enfants. Les femmes n’y ont pas droit, sauf en cas de décès du père ou de son absence totale.
- Que fait l’association en dehors de tout cela ?
A. Belhadj - Nous luttons pour les libertés. D’ailleurs, nous faisons partie d’un réseau interassociatif qui englobe la Ligue des droits de l’Homme, l’Association des jeunes avocats, la section d’Amnesty et les étudiants. Nous soutenons les personnes victimes de harcèlement policier. L’année dernière, nous avons organisé toute une campagne pour le droit à l’octroi du passeport. Nous luttons aussi pour la liberté de la presse ou les droits des prisonniers politiques. L’association a aussi soutenu toutes les femmes victimes de harcèlement ou de violences physiques de la part des policiers.
- Le fait que vous luttiez spécifiquement pour les droits des femmes pose-t-il des problèmes avec les autres organisations qui luttent pour la démocratie ?
A. Belhadj - Même au sein des associations pour les droits de l’Homme, la question des femmes n’est toujours pas à l’ordre du jour, ni même assimilée par certains militants. C’est une lutte quotidienne pour que ces questions soient réellement prises en compte. Mais dans les pays où il y a très peu de démocratie, la lutte pour les questions spécifiques aux femmes et la lutte pour les questions générales sont intimement inbriquées.