Tirer les leçons de la résistance des cheminots japonais est une nécessité pour les luttes à venir contre la politique libérale de leur gouvernement. Sitôt arrivé au pouvoir en 1982, le Premier ministre Nakasoné défendit une pure politique néolibérale. Il présenta un projet de loi pour privatiser et régionaliser les chemins de fer comme mesure inéluctable pour éradiquer les déficits. Le syndicat Kokuro défendit l’idée du service public et notamment le maintien des lignes déficitaires en zone rurale.
Dans l’intention de licencier 100 000 employés, la direction organisa une véritable stratégie de terreur et de discrimination à l’égard des syndicalistes contestataires : départs à la retraite anticipés, menace de non-réintégration dans la nouvelle société, relégation à des postes subalternes, affection à des « centres d’exploitation des ressources humaines » qui sont des centres de rééducation destinés à détruire moralement les syndicalistes. Présentées par les médias comme des nantis et des feignants, quelques 150 personnes se suicidèrent entre 1984 et 1987 lorsque la privatisation devint effective.
Les plus combatifs s’organisèrent malgré tout pour obtenir l’application de la loi sur le travail. Ils intentèrent plusieurs procès à la société de chemin de fer. Bien que déboutés par les tribunaux et trahis par leur propre direction syndicale, ils continuèrent de se battre pour leur réintégration. Sept mille personnes ont été employées trois ans par l’organisme de liquidation des chemins de fer japonais, mais on ne leur proposa que des emplois précaires et pénibles. Mille quarante-sept (dont 966 du Kokuro) furent licenciées en 1990 et formèrent à partir de 1996 des comités de lutte régionaux. A ce propos, un film fut réalisé : Vivre comme des humains, de Matsubara Akira et Sasaki Yumi.
Les syndicalistes les plus actifs ont tiré un bilan de leur lutte : si le syndicat les soutenait, en revanche, sa direction les a trahis et ils auraient dû être plus actifs dans les négociations. Une difficulté majeure rencontrée a été l’absence d’un large soutien de la population, surtout à partir du moment où de nombreux plans sociaux et de licenciements ont été mis en œuvre. Ils regrettent d’ailleurs de ne pas avoir accordé plus d’importance à la solidarité entre tous les ouvriers licenciés. Il faut savoir par ailleurs que le mouvement ouvrier japonais est devenu rachitique et qu’il est fortement marqué par le sectarisme. Même le mouvement antiguerre, pourtant pas très important, s’est scindé en deux. Un des enjeux majeurs des années à venir est de trouver le chemin pour permettre de reconstruire une unité de la classe ouvrière. La participation aux Forums sociaux mondiaux, le lien avec d’autres syndicats comme SUD-Rail en France ou des syndicats de Corée du Sud et de Taïwan peut être un moyen pour surmonter ce sectarisme chronique et destructeur qui marque le mouvement ouvrier japonais. En retour, la solidarité internationale à l’égard des cheminots et des travailleurs japonais peut être également une aide pour aller dans ce sens.