Au moment où les pouvoirs effectifs, à tous les niveaux, sont concentrés entre les mains de la Royauté, en concordance avec les parties qui édictent les politiques néolibérales (la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Union européenne, ...), des élections auront lieu à nouveau le 7 octobre 2016 pour former un « parlement ». C’est en même temps une occasion de faire participer de façon très marginale des partis bourgeois corrompus, et un masque pour dissimuler le despotisme instauré au Maroc depuis l’indépendance formelle.
En effet, c’est l’essence de la Constitution de Hassan II de 1962 qui est toujours en vigueur au Maroc. Mettant le pouvoir réel entre les mains d’une seule personne, celle-ci bafoue toute volonté populaire afin de servir les intérêts d’une minorité de capitalistes locaux et leurs alliés néocolonialistes, une armada d’entreprises multinationales qui pillent le Maroc, et de banques étrangères qui épuisent ses ressources à l’aide du mécanisme infernal de la dette.
Le régime refuse toute concession restreignant ses pouvoirs. Il se détourne des revendications de l’opposition historique « réformiste », lui imposant la capitulation totale après s’être servi d’elle dans le gouvernement de façade (appelé gouvernement d’alternance depuis qu’Abderrahmane El Youssoufi a été utilisé comme « premier ministre »).
La pression populaire exercée par les manifestations du Mouvement du 20-Février en 2011 dans le contexte de la vague révolutionnaire qui a secoué la région a contraint le régime à faire de maigres concessions et des promesses mineures dont la mise en œuvre incertaine s’étalera inévitablement sur des décennies. Les concessions étaient proportionnelles au niveau de pression, étant donné que le Mouvement du 20-Février était incapable de se développer et d’atteindre, aux niveaux quantitatif et qualitatif, la force permettant d’imposer un changement réel.
La pauvreté croissante, le chômage endémique, la destruction continue de ce qui reste des services publics de la santé et de l’éducation, l’aggravation de la crise de logement, l’avenir qui semble bien obscur pour des millions de jeunes, l’oppression écrasante dont sont victimes la majorité des femmes, et la surexploitation de la classe ouvrière, … tous ces problèmes vont sans aucun doute s’amplifier et empirer avec n’importe quel gouvernement de façade issu de la mascarade électorale.
En effet la réalisation des aspirations populaires exige avant tout :
– de balayer la tartufferie politique en cours dont le but est de dissimuler la tyrannie et l’injustice,
– la mise en place d’un système politique qui reflète la volonté de la majorité des travailleurs et des masses laborieuses.
Cet objectif ne sera atteint que par la lutte de masse menée par les millions de victimes du système politique, économique et social en place. Les énergies de lutte des masses laborieuses ne convergeront vers cette voie qu’avec l’existence d’une avant-garde consciente qui se chargera de leur éducation politique, eux les victimes de la marginalisation et d’abrustissement dont sont complices, au même titre, le régime, et son opposition issue du mouvement national bourgeois.
Le grand malheur qui a frappé les travailleurs du Maroc et l’ensemble des démunis est causé par l’échec des efforts pour construire le parti socialiste révolutionnaire des travailleurs, sous les coups de la répression d’une part, des faux pas de l’autre. Un malheur qui est à la fois une cause et une conséquence du retard politique des masses populaires, qui limite sa réponse à l’oppression de classe dans les explosions spontanées de colère dépourvues d’horizons politiques (1965-1981-1990, ...). De ce fait, elles sont devenues un simple outil de pression, foncièrement inconscient, pour ainsi dire entre les mains de forces bourgeoises, en particulier au niveau syndical, les engageant dans des escarmouches sans rapport avec ses intérêts effectifs, les modelant politiquement soit pour courir derrière les illusions d’un changement par les élections, ou se recroqueviller dans la passivité de l’abstention lors des élections.
Il n’y a pas d’autre voie pour la réalisation des aspirations populaires que celle de construire les instruments de lutte, de façon démocratique et combative, et réunir ses composantes les plus conscientes et les plus combatives dans un parti autonome. Ce parti adoptera la lutte en dehors des institutions comme moyen d’action principal pour élever la conscience des travailleurs et des masses populaires.
Il mettra au point toutes tactiques de la lutte en fonction des rapports de force entre les classes, dont l’utilisation des institutions élues comme tribunes de lutte, ainsi que tous les canaux qui permettront de réveiller les franges des masses populaires jusqu’alors victimes de la marginalisation et de l’abrutissement politiques.
Telle est la vision du courant ouvrier révolutionnaire al-Mounadhil-a, qui rassemble aujourd’hui un petit nombre de militantes et de militants, de syndicalistes et de jeunes hommes et femmes, tout convaincus que l’avenir est à la lutte de la classe ouvrière, en dépit des difficultés énormes accumulées depuis des décennies, et malgré la pression des développements négatifs dans notre région au cours des cinq dernières années.
Notre position sur les élections en cours diverge du soi-disant « boycott » tel que pratiqué historiquement par la gauche marocaine. Il rejette ses justifications, étant donné que les conditions réelles pour un boycott révolutionnaire sont inexistantes. Il va de soi que rater l’occasion de la campagne électorale implique la perte de la possibilité d’utiliser de façon révolutionnaire une tribune offerte. Notre courant rejette également la participation qui sème les illusions comme le font des forces peu démocratiques et qui sont responsables de ce qui affecte le mouvement syndical marocain, en termes d’incuries bureaucratiques et de défaites désastreuses.
Le courant al-Mounadhil-a n’a pas une force organisationnelle lui permettant de participer aux élections sous une bannière ouvriére et socialiste indépendante. D’autre part il n’y a pas de courants marxistes ni de parti ouvrier, même réformiste, auquel il serait possible d’apporter un soutien critique.
Cependant cette réalité concrète ne doit pas servir pour justifier le maintien de positions erronées et politiquement absurdes.
Le régime mettra en place un nouveau gouvernement de façade à l’image des gouvernements précédents, vu que les partis en lice sont unanimement d’accord — même s’ils s’efforcent d’afficher un semblant de désaccord — pour continuer la mise en œuvre des politiques du Fonds monétaire international et de l’Union européenne.
Les attaques vont se multiplier davantage contre ce qui reste des droits et acquis et de nos maigres libertés.
Il est de notre devoir d’adhérer pleinement aux luttes de résistance avec un esprit unitaire et démocratique, et une organisation des forces de lutte sur les plans syndical, populaire et politique.
Le changement global et profond sera le produit de gigantesques luttes de classe dont la dynamique du 20 Février n’était qu’un simple exercice d’entrainement. Gagner la victoire de la bataille décisive dépendra du degré d’indépendance politique et organisationnelle de la classe ouvrière, tâche immédiate de tous les militants ouvriers et socialistes dans notre pays.
Al-Mounadhil-a, 29 septembre 2016