Près de trois mois après l’attentat qui fit 73 morts, le 8 août, dans un hôpital de Quetta, une ville du sud-ouest du Pakistan proche de la frontière avec l’Afghanistan, des terroristes ont attaqué une école de police située à 19 kilomètres de la ville, faisant au moins 58 morts et 118 blessés, selon un bilan provisoire.
Que s’est-il passé ?
Trois kamikazes armés de kalachnikovs se sont introduits dans l’école peu avant minuit dans la nuit de lundi à mardi 25 octobre et ont tiré dans les dortoirs sur de jeunes recrues âgées de 18 à 20 ans. L’assaut a duré près de quatre heures.
Qui est à l’origine de cette attaque ?
L’organisation Etat islamique a revendiqué l’attaque en diffusant une image des assaillants. Le général pakistanais Sher Afgan, commandant du Frontier Corps, chargé de la contre-offensive, a lui identifié les assaillants comme étant des membres du groupe extrémiste sunnite pakistanais Lashkar-e-Jhangvi (LeJ), qui « communiquaient avec des cadres en Afghanistan ».
Mais dès l’automne 2014, des éléments du LeJ avaient été approchés par des membres de l’Etat islamique – eux-mêmes issus d’une tendance des talibans pakistanais –, selon un rapport du département des affaires tribales du Baloucthistan, transmis à l’époque au gouvernement fédéral, à Islamabad.
L’EI et le LeJ partagent d’ailleurs la même haine des chiites. L’hypothèse que les kamikazes soient des membres du LeJ qui auraient fait allégeance à l’EI n’est donc pas à exclure.
Qui sont les extrémistes du groupe LeJ ?
Dès sa fondation, en 1996, cette formation clandestine a affiché sa volonté de lutter contre l’influence de l’Iran au Pakistan et a mené une vague sans précédent d’attaques contre des chiites, notamment en 2012-2013, lorsque plusieurs centaines d’entre eux furent tués dans des attentats.
Interdit par Islamabad en 2001, le LeJ a également pris pour cible le gouvernement pakistanais, des chrétiens, des hindous et des Occidentaux. Le groupe a participé à l’enlèvement et à l’assassinat du journaliste américain Daniel Pearl, en 2002. Ses militants se sont, depuis, réfugiés dans les sanctuaires djihadistes de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan, où ils bénéficient de la protection des talibans pakistanais.
Une offensive militaire baptisée « Zarb-e-Azb » (« attaque de l’épée du Prophète », en ourdou) lancée en juin 2014 contre les deux régions tribales jusque-là épargnées par l’armée, le Nord-Waziristan et Khyber, refuges de prédilection des groupes djihadistes, est loin d’avoir été concluante. Elle a poussé les militants à se réfugier dans la région voisine du Baloutchistan, dont Quetta est la capitale, sans vraiment éliminer les réseaux djihadistes.
Quel est le contexte dans la province du Baloutchistan ?
Lashkar-e-Jhangvi et les talibans pakistanais ont multiplié les attaques dans cette province instable, l’une des plus pauvres et pourtant la plus riche en ressources naturelles, en proie à des conflits intercommunautaires ainsi qu’à une insurrection séparatiste. Entre la fin de 2014 et juillet 2016, six attaques attribuées au groupe djihadiste Jamaat-ul-Ahrar, une faction dissidente du mouvement des talibans pakistanais, ont fait environ 160 morts. Le rythme s’est brusquement accéléré en août et en septembre, faisant 135 morts, dont une majorité à Quetta.
Le Baloutchistan est stratégique car y débouchent d’ambitieuses infrastructures routières et énergétiques reliant la Chine à la mer d’Arabie. Le couloir économique sino-pakistanais, d’un coût estimé à 42 milliards d’euros, a été la cible de nombreux attentats. Les chantiers de construction sont désormais protégés par l’armée. L’attaque sanglante de l’école de police a eu lieu après que le chef de l’armée, Raheel Sharif, eut qualifié, dimanche 23 octobre, l’opération « Zarb-e-Azb » de « guerre pour la paix », qui aurait créé un « environnement de paix et de prospérité ».
Julien Bouissou (New Delhi, correspondance)
Journaliste au Monde