Le cadre politique habituel, dans la Chine de Xi Jinping, n’a pas subi de variation importante. Le parti maintient sa forme centrale habituelle, entendue comme structure porteuse du pouvoir. La tentative récente de confier aux organismes étatiques et provinciaux un poids majeur dans la gestion des fonctions, n’a pas changé la situation. Et cela, même au-delà de l’affaiblissement de crédibilité que le leadership rencontre face à un corps social de plus en plus en fibrillation, là où l’on peut assister à des pulsions divergentes et disparates.
Il se trouve que dans la Chine contemporaine nous assistons à une situation extrêmement contradictoire et complexe, qui est une émanation de l’expérience réformatrice de Deng Xiaoping de 1978, lorsque, malgré le développement global que le pays avait connu à l’époque postrévolutionnaire, une « impasse » s’était déterminée (provoquée d’un côté par une non-participation de la société civile au pouvoir, et d’autre part d’un climat de luttes féroces entre les dirigeants du parti). Cela, au moment de la fin du pouvoir de Mao, avait suggéré à Deng et à son entourage, un tournant qui puisse redonner une impulsion à la production et le fasse sortir des difficultés dans lesquelles il s’était enlisé à cause de l’idéologie du « maoïsme » le plus orthodoxe, là où les exaltations obsessionnelles des vertus du grand timonier (la « pensée parfaite de Mao Zedong »), fusionnaient avec les procédures répressives pour tous ceux qui différaient.
Plus spécifiquement, on pensa à introduire certains éléments des catégories de l’économie de marché dans l’économie planifiée, dont on voulait en tout cas garder les structures de base. Ce n’est pas au hasard, par ailleurs, que même Deng, au moment du lancement du projet global, souligna que l’expérience « réformatrice » n’aurait pas dû dépasser des limites précises, dans le sens où la nature « socialiste » de la Chine n’aurait pas dû changer. On ne manqua pas d’élaborer une formule de garantie, celle des « quatre points cardinaux », qui fut aussi élaborée pour réagir aux critiques violentes des « conservateurs » liés à Chen Yun, ceux-ci essayant de s’opposer à résolument à la « réforme », craignant des conséquences telles à pouvoir mettre en question les conquêtes révolutionnaires, risquant d’altérer les traits essentiels de l’Etat chinois depuis 1949. Néanmoins, Deng réussit à prévaloir et à imposer son projet, basé sur l’expérimentation empirique et sur l’approche pragmatique ; mais surtout, le projet de Deng, entre hésitations et relances problématiques, fit connaitre une ouverture sans précédent aux capitaux étrangers, qui interceptèrent une main-d’œuvre copieuse arrivée dans les milieux urbains, après la dissolution des « communes » qui avait créé un surplus de plus de 200 millions de travailleurs. Par ailleurs, par une procédure rusée, on avait imposé le maintien en vigueur de la clause maoïste de l’Hukou, selon laquelle les paysans auraient dû rester dans leurs propres villages d’origine, sous peine de ne plus bénéficier de droits sociaux ; finalement, cette colossale migration de paysans dans les milieux urbains (sur laquelle la réforme était conçue), était simplement ignorée au niveau officiel, de manière à obtenir une exploitation sans limites de la force ouvrière, sans pour autant que les entrepreneurs en assurent les charges sociales. Le faible coût de la main-d’œuvre a progressivement permis d’appliquer un prix plus bas aux marchandises destinées à l’international, pendant que l’Etat Chinois, grâce à une politique fiscale efficace, pouvait accumuler des réserves formidables de devise étrangère, et des dollars en premier.
On ne peut pas nier que ce projet a généré, globalement, des succès économiques importants. Il est incontestable que la Chine a connu un développement extrêmement soutenu par les forces productives, pour devenir la deuxième puissance économique mondiale, derrière les Etats unis ; la consommation a visiblement augmenté dans tout secteur social ; les réserves en dollars ont atteint des niveaux sans précédent. Malgré cela, le schéma adopté (et ses montées en puissance mises en œuvre par les successeurs de Deng Xiaoping, soit Jiang Zemin et Hu Jintao), a eu des conséquences négatives inévitables.
Premièrement la corruption. Celle-ci a concerné à plusieurs niveaux l’ensemble du parti, qui n’a pas semblé vouloir la combattre. Il est bien vrai que, malgré toutes les initiatives adoptées pour contenir le phénomène, cette couche sociale de détourneurs illégaux de fonds publics a œuvré jusque maintenant en toute impunité, que la valeur des fonds illégitimement sortis de Chine entre 2002 et 2011 atteint 700 milliards de dollars. Le tout largement permis et « couvert » par une grande partie de la fonction publique.
Ce n’est que récemment que ces comportements, largement diffusés dans la politique chinoise, ont été combattus de manière plus résolue par l’entourage de Xi Jinping, dont la commission créée à ce but a enquêté sur les comportements de plus de 200.000 cadres, avec des arrestations de plusieurs centaines de personnes. Cela a été une sorte de « repulisti » qui a touché plusieurs secteurs de la fonction publique, comme dans le cas de Zhou Yongkang qui est passé de son rôle de responsable de la « sécurité » à détenu pas vraiment enthousiaste de l’une des principales prisons du pays. Il est important de mentionner que jadis d’importantes sources journalistiques étaient arrivées à démontrer les liens entre nombreuses entreprises et le président Xi, dont le résultat avait été la création d’un véritable empire : un événement jamais vraiment démenti, qui a montré toutes les limites de l’action anticorruption adoptée par le régime, pour essayer de limiter un phénomène aux dimensions structurelles et irréversibles.
Une conséquence ultérieure du processus « réformateur » a été celle de la destruction de la plupart des protections sociales qui, à l’époque « maoïste », avaient été assurées et qui à l’époque de Deng on connus de fortes privatisations, telles que maintenant beaucoup de prestations doivent être payées personnellement par les citoyens. Pareillement, de remarquables différences salariales ont été produites au fur et à mesure que la »réforme« s’acheminait, c’est-à-dire à partir du moment où les catégories du marché devenaient prééminentes, en dépassant les limites que même Deng avait prudemment tracées au moment du lancement de la »réforme« . Une évaluation crédible d’un bon nombre de chercheurs occidentaux affirme que les 500 hommes les plus riches de Chine perçoivent les revenus de 900 millions de personnes pour deux ans ; ou une autre évaluation de la Banque mondiale dit qu’en 2010, 1% de la population s’est emparée de 41% du revenu national, pendant que le régime lui-même a confirmé que les différences sociales se stabilisent, ou parfois carrément s’accentuent. Cela nous fait dire que dans le »socialisme aux caractéristiques chinoises« , les »caractéristiques chinoises« sont évidentes, alors que du »socialisme" il n’y a plus trace.
Néanmoins, au-delà de considérations évidentes sur un modèle de développement qui a vu privilégier le sort de classes sociales bien précises, il est évident que tout cela visait à se gagner le marché mondial grâce à la pénétration des capitaux, au soutien fourni aux investissements et aux marchandises produites, à la suite aussi d’une exploitation infernale d’une main-d’œuvre à laquelle on refusait toute forme de défense ou de représentants syndicaux. Les oukases prononcés par les éminences grises du régime (ou du camp qui l’a emporté après de furieuses luttes fractionnelles furieuses), pour pouvoir s’assurer le contrôle des centres de pouvoir qui comptent.
Ce cadre global a, en tous a cas, assuré un développement des forces productives. Il a néanmoins connu une mutation brusque lors de la crise occidentale de 2008 ; les capitaux internationaux en Chine ont commencé à diminuer, tandis que la marchandise chinoise connaissait une crise en dehors des frontières nationales. On a par conséquent assisté à la faillite de 67.000 entreprises (petites et moyennes), au licenciement d’environ 20 millions de travailleurs qui sont devenus, du jour au lendemain, des chômeurs. La classe dirigeante qui entourait Hu Jintao a dû faire face aux problèmes et a mis en œuvre un plan d’investissement public de 586 milliards de dollars, pour essayer de relancer un développement économique qui semblait destiné au déclin.
La simple dynamique de l’économie de marché était jugée insuffisante pour relancer un développement économique ; c’est pour cela qu’on a décidé de se livrer à une sorte de gigantesque « socialisation des pertes », afin de tenir debout un projet économique qui accusait des symptômes évidents de fatigue, depuis 1978. Il y avait des indices assez clairs : d’un côté la marchandise chinoise montrait une crise à l’étranger, d’autre part les grandes multinationales étaient toujours plus réticentes à transférer en Chine intérêts et capitaux. C’était la reddition des comptes de la loi du marché. Pour éviter un déclin désastreux (« hard landing »), il ne restait rien d’autre que de soutenir un grand processus productif au travers d’un grand programme de marchés publics, qui auraient fortement chargé les finances publiques.
Le résultat de ce plan de sauvetage lancé par Hu Jintao (et par son entourage) a été en tout cas extrêmement contradictoire ; d’une part, le déclin économique a été arrêté ; d’autre part, la quantité faramineuse d’argent public injecté dans l’économie a contribué à alimenter sensiblement la dette publique jusqu’au chiffre astronomique de 3,4 trillions de dollars. Il faut dire aussi que ce montant a été atteint à cause aussi des organismes périphériques du pouvoir qui, pour faire face aux exigences les plus disparates, n’ont pas hésité à faire appel à du capital spéculatif (« hot money ») avec la collaboration des « banques de l’ombre » (« shadow banks »), ce qui a provoqué une véritable crise du crédit (« credit crunch »), et le risque logique d’une crise financière catastrophique et généralisée.
Ajoutons à cela que beaucoup de ressources ont été dirigées vers une sorte de « financiarisation » de l’économie (vers les banques et non pas vers l’économie réelle et les secteurs productifs). Bref, un ensemble de facteurs qui a conduit le nouveau leadership issu du XVIIIe congrès du PCC à lancer de nouvelles mesures pour remettre dans la bonne voie le cheminement du processus productif, qui désormais présentait des symptômes de dégradation. Concrètement, le nouveau projet dessiné par Xi Jinping et Li Keqiang visait la valorisation des marchés internationaux ; mais au lieu de privilégier l’exportation de marchandises à coup très bas, l’objectif était une forte croissance des investissements chinois à l’étranger, la création d’un vaste réseau de structures financières régionales et globales pour le développement, le projet d’une nouvelle « route de la soie » afin de dominer le commerce international dans des régions ciblées, une internationalisation du secteur bancaire et des assurances, la suppression des barrières aux mouvements de capitaux et la croissance du rôle du Yuan comme devise sur le marché international.
Les répercussions sur le plan national auraient été inévitables : une réforme du système financier basée sur des mesures visant la libéralisation des taux bancaires et la création d’instruments financiers du marché (actions, obligations) de manière à déterminer, de façon autonome et sans l’intervention de l’Etat, une structure complète des taux d’intérêt basée sur la durée et sur la catégorie du titre. Enfin, la réforme vers le marché devait être achevée. Voilà donc la clé pour un « renouveau ». Non pas des injections de ressources d’Etat pour stimuler l’économie (selon le plan jusqu’à présent adopté par Hu Jintao et son entourage), mais viser une augmentation de la consommation interne pour compenser la diminution de l’export, en essayant de faire évoluer la proverbiale vocation des Chinois à l’épargne (augmentée à la suite de coupes budgétaires dans le domaine social).
Pareillement, il était importance de faciliter les procédures et d’annuler les contrôles des structures centrales pour se livrer aux mécanismes « sauveteurs » et propulsifs du marché. Pour cela, des centaines de mesures qui auparavant nécessitaient des autorisations préventives, devenaient facilement activables par les entreprises privées. En même temps, de nombreuses fonctions étaient déléguées à ces autorités décentralisées qui auparavant avaient été accusées d’avoir énormément augmenté la dette publique, au point de mettre en danger la stabilité du système dans le moyen et long terme.
Néanmoins, la situation qui en découle après l’adoption de ces mesures (pas vraiment toujours cohérentes) reste caractérisée par une forte incertitude. La Chine peut compter sur des taux de croissance assez soutenus, grâce aussi en renforcement de sa devise (le yuan), et du dynamisme acquis sur les marchés internationaux, là où la vaste réserve de devise étrangère de 3.300 milliards de dollars permet à la « Chinese Investment Corporation » de financer des opérations extrêmement efficaces. Le Yuan a par ailleurs acquis son statut de devise substitutive du dollar dans les échanges internationaux. Et enfin, par un geste qui a été vécu comme un défi à l’hégémonie historique des Etats unis dans le domaine international, il a été créé l’A.I.I.B (Asian Infrastructure Investment Bank), par lequel on vise à créer un regroupement financier pour des opérations économiques pas du tout négligeables, dirigées par la Chine. Cela n’est pas rien, et se présente comme la synthèse des succès que les Chinois ont obtenus dans les 30 dernières années. Mais il est toutefois assez clair que l’on voit apparaître ’à l’horizon des problèmes qui montrent un déclin réel et un coup de frein aux dynamiques de cette « réforme » lancée par Deng Xiaoping en 1978, qui avait assuré jusque maintenant des taux de croissance extrêmement importants. Les statistiques semblent indiscutables ; avant la crise de 2008, la Chine pouvait bénéficier d’une croissance du PIB d’environ 10% par an ; en 2013, nous sommes passés à 7,3%, tandis qu’en 2015 nous sommes au 6.8%, et dans la période quinquennale 2020-2025 les économistes prévoient des taux de croissance autour de 3,9%.
Il est vrai que beaucoup d’observateurs ont douté de ces données, puisque bon nombre d’organismes internationaux ont fait remarquer que les taux de croissance devraient s’établir autour de 3%. Sans doute ces estimations imposent de la prudence et attendent une vérification empirique. Ce qui apparait clair est que le projet de Xi Jinping visant à relancer l’économie montre des lacunes et des problèmes divers et variés ; premièrement, la consommation interne ne décolle pas, malgré les nombreuses mesures qui ont été adoptées récemment en faveur de la sécurité sociale généralisée et pour une amélioration du régime des retraites. A plusieurs reprises les autorités se sont exprimées en annonçant une amélioration importante dans les années futures. Néanmoins, rien à faire, les Chinois restent réticents à la consommation, méfiant vis-à-vis du pouvoir et de sa propagande et la tentative d’urbanisation des classes moyennes (par des migrations de la campagne) a été visiblement frustrée par des tendances exactement opposées, surtout après les licenciements de 2008. Enfin, le marché global n’arrive plus à absorber la marchandise chinoise et le marché interne a du mal à décoller. Les succès qui se dessinent à niveau international grâce à un dynamisme accentué sur les marchés internationaux ne pourront jamais compenser les tendances à une baisse et à une contraction du développement toujours plus visibles ; de plus, ces tendances, au cas où elles deviendraient plus structurées, finiraient par remettre en discussion les vigoureuses ambitions [actuelles] : une concurrence gagnante avec les Etats unis.
Néanmoins, il n’y a pas que la consommation interne insuffisante qui caractérise en négatif aujourd’hui l’évolution de l’économie chinoise ; une attention majeure doit être portée au phénomène de la surproduction, fortement manifestée dans les secteurs de l’acier et du fer, et qui se transforme en pertes faramineuses dans des secteurs habituellement contrôlés par l’Etat. En effet, ce secteur s’était montré très vif pendant les décennies précédentes, lorsque le marché mondial était en forme et orientait de grands capitaux vers les secteurs des biens d’investissement. Les interventions en matière économique élaborées par Hu Jintao et son entourage avaient augmenté ce type de processus, ainsi que des sollicitations à investir dans ces secteurs de « base ».
De nos jours, les choses ont changé, puisque le marché mondial ne sollicite plus la production de biens d’investissement et ces entreprises « zombie » (comme elles sont définies), doivent être démantelées ou en tous cas drastiquement réduites. L’opération ne sera pas indolore, s’il est vrai que ces processus de rationalisation soi-disant « indispensables » impliquent l’expulsion de plus de 10 millions de travailleurs. Il en découle que la provision de 15 milliards de dollars pour y faire face ne semble pas garantir la résolution des problèmes. Ajoutons à cela que les autorités ne cachent pas la nécessité de créer au moins 10 millions de nouveaux postes par an, pour assurer des débouchés en termes d’emplois aux nouvelles générations. Vu le contexte économique actuel de contraction des données globales, la situation risque d’empirer.
Il semble assez évident que le groupe dirigeant qui entoure Xi Jinping a perçu la complexité de la situation et les difficultés croissantes qui en découlent. La réaction a consisté en une série de mesures souvent contradictoires. Premièrement, on a essayé de garder à des niveaux importants le financement accordé aux PME, plus facilement réalisables dans un climat de difficultés évidentes. Par conséquent, en plus des avantages fiscaux divers et variés, on a imposé aux banques des taux de couverture financière pas du tout élevés ; en début de février 2015, la Banque Centrale a diminué d’un demi-point les réserves bancaires obligatoires, les amenant à 19,5, pour libérer l’équivalent de 100 milliards de dollars à injecter dans le marché. Mais ce qui semble aussi significatif est d’avoir fait appel aux « sollicitations » gouvernementales, au travers de ces procédures très à la mode sous Hu Jintao, et qui récemment avaient été jugées comme « inappropriées », accompagnées par des sermons moralistes sur les dangers de ses effets. Et pourtant, rien à faire. La situation reste telle qu’elle est et ne semble pas présenter des solutions alternatives.
Ainsi, pour 2015, les soutiens publics ont atteint la valeur globale de 115 milliards de dollars, destinés à la construction d’aéroports, chemins de fer, tunnels et ponts. Cela toutefois n’a pas représenté une solution de transition visant à lisser les exigences de la conjoncture. Les lignes de programme exprimées lors de l’Assemblée nationale du Peuple du 3 mars 2016 ont montré des contenus indicateurs des problèmes qui se posent à la direction qui est au sommet du pouvoir depuis le XVIIIe Congrès du PCC. Le rapport de Li Keqiang a clairement mis en évidence la nécessité de viser un développement de l’économie des services qui permette de croiser les exigences d’une société incontestablement « métamorphosée » – et donc de mettre de côté les modèles de développement précédents.
Cela n’a pas empêché le Premier ministre de faire référence aux principes du développement pour l’année en cours ; et, comme par hasard, les « sollicitations » publiques jouent un rôle prioritaire, selon un schéma précis, telles que :
1)
800 milliards de yuans (123 milliards de dollars) destinés aux constructions ferroviaires.
2)
1,65 trillion de yuans (245 milliards de dollars) destinés aux réseaux routiers.
Un total de 377 milliards de dollars, sans lequel le développement indispensable pour maitriser la situation sociale pourrait s’évaporer. Les corrections prévisionnelles au budget ont rapidement suivi. Li lui-même a précisé que le rapport entre dette et PIB jadis fixé à 2,3%, aurait du être élevé à 3%. Cela montre que l’augmentation de la dette est carrément prévue. Du reste, les statistiques à ce sujet sont assez incontestables et confirment l’existence d’un problème qui concerne tant le domaine privé que le domaine public. Dans le premier domaine, on a dû constater une augmentation des « souffrances » bancaires à relier au secteur immobilier, après que le boom immobilier a connu un excès d’offre dans la décennie précédente, soutenu par des phénomènes de spéculation et par des expropriations de la terre aux paysans (destinées aux bâtiments) pas vraiment orthodoxes. De nos jours, au contraire, suite à une contraction de la croissance et à la réduction du pouvoir d’achat, on connait une réduction de la consommation et une offre immobilière qui ne trouve pas d’acquéreurs, en plus des tensions bancaires, de l’insolvabilité répandue, ce qui crée des problèmes importants en ce qui concerne le système de crédit. Mais la partie prépondérante est le fait du secteur public, là où l’expansion des prêts des collectivités locales se transforme souvent en crédits inexigibles (« non performing loans »), tandis que la dette accumulée par les « banques de l’ombre » risque d’emporter investisseurs et épargnants.
Face à ces causes structurelles de la création de la dette, on a récemment fait appel sans regret aux « sollicitations » pour essayer de sauver l’économie et assurer le développement sans lequel les équilibres sociaux et politiques risqueraient de se briser, avec des conséquences difficiles à prévoir – les prévisions à cet égard ne semblent pas du tout rassurantes vu que l’augmentation de la dette connait des rythmes pressants et accélérés. Dans les trois premiers mois de 2016, la dette a atteint 237% du PIB, alors qu’à la fin de 2007, avant la crise, le même index ne dépassait pas 148%.
Ces données ont alerté les centres financiers et économiques occidentaux, vu les connexions financières que la Chine a avec le reste du monde : une augmentation disproportionnée de la dette de la deuxième puissance de la planète pourrait avoir des conséquences pas du tout négligeables. Ce n’est pas un hasard si le Financial Times a récemment estimé que la Chine s’approche d’un « moment Lehman », en référence à la chute du système bancaire américain, qui inaugura la crise en 2007. Finalement, selon certains observateurs, un véritable moment de rupture n’est qu’une question de temps, même si d’autres analystes ont proposé des estimations plus rassurantes, prévoyant que la banque centrale aurait toujours la capacité d’éviter une crise, qui elle, serait fatale à la stabilité sociale.
Difficile d’estimer en avance les répercussions sociales et politiques liées aux perspectives de la Chine de l’après-Deng, même si le régime, de manière désinvolte, insiste à présenter le tout comme parfaitement en ligne avec son projet prioritaire de développement intensif, de renouveau technologique autochtone (et non pas médié par les importations de marchandise étrangère) et d’augmentation de la consommation interne, de manière à viser une baisse de l’export. Cependant, au-delà d’une logique autojustificatrice, il est clair que la tendance à la baisse de la croissance pose des problèmes sérieux au régime, cet appareil dominant qui a annulé toutes les spécificités que la société chinoise avait acquises à la fin de la révolution et qui, en dépit d’une recherche récente d’un cadre d’action légalisé, continue de gérer le pouvoir de manière presque exotérique, à l’abri de toute participation populaire. Concrètement, il s’agit d’un croisement de facteurs qui pourrait montrer une usure de ce « pacte non écrit » (dont certains observateurs ont déjà parlé), selon lequel la société civile continuerait à accepter d’être expropriée de ses droits politiques, en échange d’un développement qui assure de meilleures conditions de vie. Ce pacte, vu ce qui se dessine à l’horizon, semble être manifestement destiné à vaciller, puisque des forces centrifuges sont à l’ordre du jour, visant à remettre en question le contexte des problèmes, même au-delà des critères proposés par les détenteurs du pouvoir.
Ainsi, en témoigne déjà le nombre des « incidents sociaux » en 2011 (autour de 200.000) – alors qu’en 2013 et 2014, ils se sont multipliés à tel point que les éminences grises du régime ont dû suspendre la diffusion des données. Pour cela, la documentation disponible à cet égard est plutôt fragmentée, bien que l’ensemble des sources confirme la tendance à remettre en question la logique inéluctable du profit et des « exigences du développement », comme confirmé par les sources officielles du régime, soutenue par les syndicats officiels, toujours prêts à prendre comme « vérité révélée » les choix du pouvoir. La variété des « incidents sociaux » est extrêmement multiforme : on passe des grèves pour les améliorations salariales aux luttes pour les arriérés auxquels on a droit ; il ne manque pas de manifestations écologistes ou de contestations visant à la libération de prisonniers injustement détenus. Un climat de diversification locale prend souvent le dessus, le syndicalisme est souvent « moléculaire » et vise très souvent la réintégration au poste de travail perdu, ce qui n’est pas vraiment approprié pour une stratégie globale antisystème. Mais les nouvelles générations de travailleurs agricoles récemment urbanisées montrent une propension à l’engagement militant et une tendance à ne pas tenir compte des dispositions du pouvoir. Ces lignes de comportement, dans le fond, s’opposent au projet de « normalisation » et d’efficacité « vendu » par Xi Jinping et par son entourage pour essayer de sortir des difficultés croissantes que la Chine vit à présent, à l’issue d’une baisse de la phase expansive de la « réforme ».
Cependant, ce climat de revendications assez répandu n’a pas encore exprimé les éléments d’une alternative de proportion générale, qui puisse rassembler, à niveau politique, les grandes masses du monde du travail, autour de projets opposés à ceux qui sont exprimés par le pouvoir.
Concrètement, ce qui se passe à niveau « moléculaire » dans le monde du travail n’arrive pas à trouver par la suite, une expression politique globale. Plus précisément, les intellectuels de la « nouvelle gauche », qui s’étaient vivement opposés aux réformes qui ouvraient au marché, marquent un coup d’arrêt ; et cela même à cause du fait que le représentant du régime le plus ouvert à discuter sur ces thématiques (Bo Xilai) a été exclu des centres de décision, suite à une affaire judiciaire pas vraiment claire. Quoi qu’il en soit, la »nouvelle gauche" a été réduite au silence ; raison pour laquelle, on ne voit pas d’alternatives politiques crédibles à l’horizon.
L’ensemble des éléments décrits a poussé les membres du régime à prendre des initiatives pour essayer de rassembler ce corps social – très riche en ce moment en militantisme et envie d’exprimer ses opinions mêmes les plus extrêmes. La sécurité interne a été considérablement renforcée ; désormais, selon certains, les prévisions budgétaires allouées à la sécurité atteignent les 769 milliards de yuans, bien plus que les frais militaires, fixés à 720 milliards. Cela signifie que, au cas où les choses devraient empirer, tout est prêt pour une redoutable répression, qui toucherait les militants les plus « avangardistes » et opposés à la « normalisation » engagée pas le pouvoir.
Entretemps, on essaye même de faire appel, de manière anachronique, à d’autres solutions, comme la revalorisation du Confucianisme et de ses théories de « l’harmonie sociale », le tout exprimant la plus passive acceptation par classes subalternes des choix et des options élaborées par le pouvoir : que le pouvoir ordonne et que les sujets obéissent. Comme d’habitude. A cette idée pas vraiment convaincante, une autre exhumation a suivi, celle de la « ligne de masse » maoïste, qui, a toujours été basée par une implication croissante des masses populaires dans les projets élaborés par le pouvoir ; projets sur lesquels les « masses » n’ont jamais pu dire ou exprimer leur avis. Et enfin, aussi la perspective de « discipliner » en avance les intellectuels, en les menaçant de les envoyer dans les campagnes pour « apprendre des paysans ». Voilà une exhumation assez paradoxale de méthodes propres à Mao Zedong, auxquels le « Grand Timonier" avait fait appel pour démanteler le camp adversaire constitué de toute sorte d’ennemis, en détournant la confrontation et la vérification des positions de ses interlocuteurs. Aujourd’hui, dans le contexte présent, des procédures de ce genre bénéficient d’une réévaluation assez singulière, afin que les destinataires puissent comprendre jusqu’au bout que les intellectuels ne pourront pas avancer ou élaborer des théories ou des avis opposés au pouvoir. En clair : soit on s’adapte au rassemblement social de type paternaliste-correctionnel envisagé par les nouvelles classes dirigeantes du XVIIIe Congrès du PCC, soit on devra subir la répression de la bureaucratie dominante, au risque d’être exilé à la campagne.
Il s’agit d’un projet, en tout cas, qui devra se mesurer avec le développement réel des événements et avec de nombreuses variables économiques, sociales et politiques, difficilement estimables. Et rien ne nous dit que les prévisions et les attentes du pouvoir chinois contemporain se voient confirmées en quoi que ce soit. Les doutes et les incertitudes, dans la Chine de l’après-Deng, prévalent nettement sur les données.
Aldo Bronzo